Comment ? L’héritage ne lui reviendrait pas ? Et à qui son ignoble de père remettrait cette fortune colossale qu’il n’avait acquis qu’en épousant une riche héritière Bulgare ? Pandora avait celle de son mari, bien évidemment, elle vivait dans l’opulence depuis son décès…Toutefois, si elle envisageait d’avoir une progéniture, la jeune femme voulait que son partage soit équitable. Autant pour ses garçons que pour ses filles ! La fortune de son père ajoutée à la sienne désormais ferait en sorte de compenser toutes les dépenses de ses filles en toilettes exubérantes, les études de ses garçons et si jamais l’un de ses enfants s’aviserait à les endetter d’une quelconque manière, Dora était certaine de pouvoir compenser leur perte ou rembourser leur dette.

Certes, elle n’était plus toute jeune, une vieille fille et veuve, c’est ainsi qu’on la définissait lorsqu’on parlait d’elle. Pour la société, cela ne signifiait qu’une chose : elle n’avait aucune chance de trouver l’amour. Mais cela ne la dérangeait aucunement. En quoi l’amour serait préférable de toute manière à autre chose ? Son père avait bien tué par amour, et il n’avait jamais avoué son crime, d’ailleurs il en était fière puisqu’apparemment la marquise avait commis l’adultère. Et toute cette affaire avait été rapidement réglée : la coupable avait reçu son châtiment.

En résumé, Pandora Maynfield avait un problème : si son héritage ne lui était pas entièrement remis, elle était certaine que son avenir en pâtirait ainsi que celui de ses futurs enfants.

Ainsi la journée ne démarrait pas d’un bon pied. Elle déclinerait surement l’invitation qu’elle avait reçue pour cette pièce de théâtre, ce soir. Pandora n’était pas d’humeur, du moins tant qu’elle n’aurait pas réglé ce problème de testament. Son père allait mourir, et si elle comptait bien les jours, d’ici à dimanche, il aurait rejoint en ce laps de temps le diable en personne. Le colchique était un puissant poison, remarquable même et personne ne s’était douté de quelque chose. Les faibles doses qu’elle lui avait administrées lorsqu’il prenait le thé en sa fameuse compagnie marchaient finalement.

« Ma Lady, ne serait-il pas préférable de rentrer à présent ?

--Agnès, je ne recevrais pas la baronne d’Oxford. Pourquoi est-ce que je choisirais de rentrer pour l’accueillir alors que Thomas aura le plaisir de lui annoncer que je ne suis pas dans ma demeure ?

--Mais…Elle prévoyait de vous présenter Lord Stanley…continua sa domestique en essayant de marcher à une distance respectable de la jeune femme tout en lui parlant.

--Son cousin est aussi agaçant qu’elle, et je ne voudrais en aucun cas que mon enfant ait ce nez retroussé que leur famille hérite de générations en générations, lui répondit-elle en marchant le long d’un chemin encadré par des arbres aux floraisons magnifiques. »

Agnès garda le silence. Elle aurait bien voulu lui répondre mais sa maîtresse lui aurait rétorqué qu’elle était une duchesse, et grâce à son titre, elle avait alors tous les droits dans cette société. De plus, elle ne s’excuserait pas pour l’affront qu’elle provoquera à la baronne puisqu’elle possédait ce titre.

Pandora savait pertinemment que sa domestique était plus ou moins ennuyée de la manière dont elle avait à se comporter avec ses congénères, toutefois la baronne était la première à lui avoir craché à la figure lorsque, de son vivant, Alexis l’avait malmené à l’époque. Ce n’était pas de la rancune qu’elle éprouvait vis-à-vis d’elle, mais plutôt du mépris que la duchesse ne s’efforçait pas de cacher en la voyant. Sa fierté lui avait dicté de l’humilier de bien des manières, et Pandora s’apprêtait à le faire. En rencontrant justement son pire adversaire en ces lieux. Tout le monde irait raconter que la duchesse de Maynfield ait, au cours d’une longue balade au parc, rencontré la personne que la baronne d’Oxford s’efforce de mettre de côté dans la Haute-Société. D’ailleurs, à l’heure où la jeune Pandora Maynfield aurait dû accueillir celle-ci mais elle avait décidé de lui faire faux bond.

L'on racontait de la médium qu'elle cherchait à surmonter cette échelle qu'étaient les classes sociales. Ceux qui naissaient dans la bonne famille ne développaient aucuns efforts pour garder leur position, et il y avait bien évidemment ceux qui n'avaient pas de chance...Ceux qui devaient se trouver un emploi, comme Agnès, pour nourrir sa famille et d'autres voulaient simplement vivre dans l'opulence: avocats, juges, marchands...Cela l'avait toujours étonné qu'un homme se passionne pour sa fonction. N'étaient-ils pas obligés d'aimer ce qu'ils faisaient ? Au moins pour le revenu que cela leur rapportait.

En lissant les plis de sa jupe pourpre, elle arrangea ses gants puis détourna son regard des feuilles des arbres qu'elle avait contemplé des minutes plus tôt. Pandora ne voulait pas que sa nuque lui soit trop douloureuse. Sa balade allait de toute manière prendre fin, enfin, c'était ce qu'elle en avait pensé en ne voyant la femme qu'elle voulait rencontrer...Jusqu'à ce que son chemin la mène à quelques mètres de celle-ci. D'une robe rouge dont le corset serré moulait parfaitement sa poitrine, la duchesse n'avait pas manqué de la détailler de la tête aux pieds, légèrement surprise par la belle toilette qu'elle avait pu s'acheter. Le chapeau donnait un léger contraste avec sa tenue, et le reflet de sa silhouette projetée par les lueurs du soleil, en cette belle matinée, ressemblait fortement à un tableau qu'on attendait d'y ajouter les couleurs.

Elle voulut lui répondre, mais le nom de la jeune femme lui manquait. Les extrémités de ses lèvres s'étirèrent et le temps qu'elle parvienne à sa hauteur, Pandora finit par ne se souvenir que de son nom:

"Ravie de savoir que l'on parle de moi. Ou bien ou en mal, la société me connaitra par l'une de ces deux voies de toutes manières, plaisanta-t-elle en se plantant devant."

D'un geste de la main, Agnès s'éloigner des deux jeunes femmes pour leur laisser une certaine intimité.

"Mademoiselle Thomas, n'est-ce pas ?"

Elle prit un temps en regardant sur le côté, et son sourire s'élargit en sachant qu'elle venait de voir la soeur-même de la baronne.

"J'ai également entendu parler de vous. Voudriez-vous ?"

À ces mots, Pandora lui proposa son bras. L'attelage devait l'attendre devant le gigantesque portail du jardin public.