Jolie petite histoire...Elle est jolie, la demoiselle qui s'installe près de la fenêtre pour lire. Elle est jolie, et elle m'est destinée.
Rose.
Elle porte un prénom plus doux encore que ses sourires. Mais que seraient ses sourires sans ses yeux plus bleus que le ciel ensoleillé d'un matin d'hiver ? Je suis tombé sous le charme. Et son père, Monsieur Huntington m'a offert sa main. Je n'y croyais pas au départ. Je n'y croyais pas parce qu'elle ne m'a jamais regardé. Ses sourires sont toujours destinés à d'autres. Est-ce pour cela que je dois me décourager ? Jamais. Je lui offrirais tout ce dont elle rêve, tout ce qu'elle désire, pour simplement la garder près de moi. Garder mon honneur et celui de son père intact. Car Monsieur Huntington est un homme bon et réputé. C'est d'ailleurs le meilleur tailleur de tout Londres. Les Londoniens s'arrachent ses dernières créations. On dit même qu'il à crée des pièces pour la Reine elle même. Il a beaucoup voyagé pour trouver les meilleures étoffes, de ça et de là du Monde. Rose l'a d'ailleurs maintes fois accompagné. On dit que c'est une fille intelligente et savante. Qu'elle sait parler d'autres langues, les écrire. Comment voulez vous que je ne me fascine pas pour cette femme ?
Je suis invité aujourd'hui à la rencontrer pour la première fois. Et c'est une domestique qui vient m'ouvrir la porte, me saluant poliment avant de m'inviter à patienter dans le petit salon. Son père se présente au bout de quelques minutes et éclats de voix qui me mettent soudainement mal à l'aise... La demoiselle serai-elle réfractaire à ma visite ?
"Mon jeune ami... Comment allez-vous ?"Monsieur me gratifie d'une tape amicale sur l'épaule, tandis qu'il se trémousse de sa masse importante dans son costume impeccablement ajusté.
"Ma foi, fort bien. J'ai cru entendre des cris... J'espère que ma présence n'importune pas mademoiselle votre fille..."Je le vois lever les yeux vers l'étage, visiblement agacé, mais il se reprends bien vite, s'armant d'uns sourire convaincant et rassurant :
"Oh, vous savez... Les femmes sont toujours compliquées, mon cher. Elle va arriver d'une minute à l'autre. Pour le moment asseyez vous. Léonie vas nous servir le thé."***
"Je refuse, Maggie. Tu entends ? Je refuse de rencontrer cet imbécile.""Je le sais, Miss. Mais vous n'avez pas le choix. Votre père tient beaucoup à ce que vous vous mariez avec un bon parti. C'est une question de protocole."Cette simple réponse suffit à me crisper d'avantage. Comment peuvent-ils réellement penser qu'imposer leur choix fera de moi une femme aimante et docile ? Ne se rendent-ils pas compte de ce qu'ils m'obligent à faire ?
"Je n'aime pas la façon dont nous sommes traitées. Ni la façon qu'on les hommes de vouloir imposer leur règles."J'aimerais être libre de mes choix. Libre de pouvoir tomber amoureuse. Pour de vrai. Et pas forcée de devoir m'unir à un être qui me dégoutera jusqu'à la fin de mes jours... Ma gouvernante s'agenouille alors devant moi, posant délicatement ses doigts le long de mon visage :
"Rose... Vous êtes une jeune femme brillante... Mais aussi très intelligente. Sachez que c'est une arme redoutable dont ne sont pas dotées toutes vos comparses. Là où elles tomberaient dans le piège verreux d'un profiteur, vous, vous seriez capable d'en tirer le meilleur des avantages et des bénéfices... C'est la seule chose qu'une femme puisse faire lorsqu'elle le peut. Derrière tout acte d'un homme, il y a les murmures d'une femme."Elle se tait un instant pour me laisser réfléchir aux mots qu'elle vient de prononcer. Nos regards sont profondément ancrés l'un dans l'autre.
"Il vous suffit simplement de trouver l'homme le plus intéressant... Et croyez moi, c'est comme cela que vous pourrez devenir quelqu'un d'influant."***
Les minutes passent. Elles me semblent durer une éternité. Pourtant, c'est un bruit au bas des escaliers qui me fais tourner la tête vers les hautes portes dorées qui scellent le petit salon. Lorsqu'elles s'ouvrent, je reste subjugué. Plus encore que lorsque je l'ai vue derrière cette fenêtre. Je me lève alors pour l'accueillir, attrapant sa main en douceur pour l'effleurer de mes lèvres. Je ne perçois pas un sourire sur son visage angélique...
"Bon, et bien je vais vous laisser discuter, jeunes gens. Léonie reste disponible si vous avez besoin de quoi que ce soit."Monsieur Huntington s'éloigne. Les portes se referment, et me voilà enfin seul avec ce bel oiseau chanteur. Elle dégage une candeur des plus agréables... Et sa peau de lait me semble délicieuse... Mais je range bien vite ces idées là, quelque part où elle ne pourra pas déceler mon envie de la posséder.
La suite se contente d'une discussion très sage.
Je lui apprends que je suis le fils d'un banquier, et que j'ai hérité de la fortune de mon oncle mort lors d'un périple en bateau vers les Indes. D'elle, je n'en n'apprendrais pas plus. Elle se sera simplement obligée à m'écouter. Je le vois, dans ses yeux, que je ne suis pas le bienvenu. Je ne pense pas lui plaire également, dame nature m'ayant offert un physique très banal et sans charme. Plus l'entrevue avance et plus je me sens mal à l'aise. Le tout sera ponctué d'un nouveau baise main, et la vue de la silhouette élancée qui regagne les étages sans un mot de plus.
J'échange une brève poignée de main avec son père, qui me garanti qu'elle changera d'avis. Puis mon fiacre s'éloigne de la belle maison des Huntington.
***
Je m'affaire à disputer une partie d'échec avec ma cousine Hermine lorsque Père fait irruption dans le salon, la mine grave.
"Rose, il faut que je vous parle une minute."J'échange un regard étonné avec Hermine, puis me lève docilement pour le rejoindre tandis qu'il m'emmène à l'écart, dans notre immense hall de réception. Il semble réellement préoccupé et je hausse un sourcil, prenant une voix rassurante :
"Quelque chose ne va pas, Père ?""Si quelque chose ne va pas ?"Il prend un air excédé, puis tour à tour, devient plus doux, peut être plus compatissant, tandis que ses larges mains se posent sur mes épaules :
"Ton futur époux, le fils des Harlington, vient d'être trouvé mort dans sa chambre ce matin... Les causes de son trépas sont encore inconnues..."Je prends alors un air faussement abasourdi, mettant une main devant ma bouche, tandis que mon regard se glace d'effroi, mon autre main s'empressant de faire le signe de croix :
"Mon dieu... Mais pourquoi ? Père ? C'est la deuxième fois... Que..."Et voilà que mon regard se trouve baigné de larmes. Je joue admirablement bien la comédie, vous en conviendrez ?
"Oui, je le sais bien, ma fille. Mais qu'ont ils tous à mourir alors qu'ils s'apprêtent à épouser la plus belle fille du royaume ?"Son regard se fait protecteur et aimant. Sa main caresse alors mes cheveux :
"Je te promets de te trouver le parfait époux, ma tendre enfant. J'en fais le serment."En espérant que cette fois-ci, il choisisse un homme de bon potentiel, et qui me plaise, sinon... Il risque fortement de trouver sa place comme les autres : au cimetière...