Le voeu d'Hippocrate • Lucy



 
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Le voeu d'Hippocrate • Lucy

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Jonathan R. A. Williams
Jonathan R. A. Williams

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Je n'aime pas me décrire...mais on me dit quelqu'un de gentil, tolérant envers beaucoup de choses; et il est vrai que le Seigneur m'aide à voir le bien dans le cœur de tous. Cependant, cette même capacité me rends aux yeux des gens très fanatique et naïf. Je n'avais jamais vu les choses sous cette angle, mais il faut croire que les gens ne voient en moi qu'un pasteur de pacotille. S'il y a une facette de moi que j'apprécie particulièrement, c'est le fait que je sois quelqu'un de très romantique ! Même si tout le monde préfère dire que je suis quelqu'un de niais...mais ne croyez pas que je sois stupide, car il m'arrive d'être très fier et impulsif. Je ne suis pas très courageux, mais je ferai toujours de mon mieux pour protéger les gens que j'aime, comme mon petit frère. J'ai aussi une profonde attirance pour les rousses. On me surnomme Quasimodo à cause de mon apparence quelque peu trapu -et certes poilu bien que blond, par opposition à la magnificence de mon frère.
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MessageSujet: Le voeu d'Hippocrate • Lucy Le voeu d'Hippocrate • Lucy Icon_minitimeMer 15 Sep - 12:03



Le vœu d'Hippocrate

« Existe-t-il pour l’homme un bien plus précieux que la santé ? »

Automne 1892, October 10

Tout allait si vite, n'était-ce pas de trop ? Tout paraissait d'une flagrante évidence, un miroir sans le moindre défaut qui disait « c'est vous, là, maintenant ». Dès l'instant où leurs fatigues creuses avaient formé entre eux ce pont connecté, ce baiser les avait unis pour le restant de leurs vies. Il eut fallu d'une puissante force mentale pour qu'un homme de cette trempe romantique et solaire, n'ayant jamais eu droit à ce genre de contact, ne se laisse emporter par la vague inestimable de cet amour enfin répondu. Jonathan aurait souhaité qu'enfin, il puisse goûter à cette communion intérieure. A cette délicatesse qui fait qu'un homme et d'une femme sont capables de passer les portes d'une nouvelle sensation, presque d'un autre paradis. En tout cas était-ce ainsi qu'il se le fantasmait. Tout une vie à idéaliser, perpétuellement et aveuglément, l'Amour avec une majuscule, portant sur un piédestal toutes les valeurs d'un Seigneur ne priant que pour la réalisation de cet Amour ; une vie à lire des romans de gare, suppurant d'un miel que tous reléguaient aux lectorats de la vierge adolescente et de la vieille ménagère en mal de ses sensations d'autrefois, même elles. Il n'était même pas sûr, même après avoir lu des centaines de livres sur le sujet, sur des centaines d'autres expériences imaginaires, de Jane Austen à Victor Hugo en passant par les idioties décadentes d'un Gustave Flaubert, non, il n'était même pas encore sûr de savoir ce qu'était l'amour, et ce qu'il en désirait particulièrement. Quel devait être l'écho de ce cœur battant qui devait en ressortir ? Il avait écarté Lucy de son corps pendant un peu plus d'un an, ne parvenant pas à discerner dans son cœur ce qui aurait du être l'éclatante et brûlante évidence. Alors qu'à la seconde où il l'avait aperçu, violenté, faible, victime, dans la réalité de ces bas-fonds qu'il ne parvenait à accepter... il avait compris. Compris que le coup de foudre qu'il attendait comme une délivrance était déjà parvenu jusqu'à lui, que cette lumière l'avait déjà étreinte, malgré lui, dans une danse grotesque dont il avait échoué tous les prémices. L'Amour, ils se l'étaient construit lentement, à leur manière. Peut-être s'étaient-ils manipulé l'un l'autre pour atteindre ce parangon de bonheur. Mais le résultat était là.

Ensemble dans cette garçonnière sous terre, Jonathan Williams et Lucy Wood vivaient une douce chanson d'amour, dans leur petit nid réchauffés par la tendresse de leurs élans respectifs. Mais aucun d'entre eux n'étaient encore parvenu à couper les liens avec le passé, et il ne s'en serait manqué d'une chose, seulement une chose : un mariage. Un mariage cathartique, libérateur, un baptême pour une nouvelle vie, un nouveau départ, une illumination. Il fallait à ce passé que tous reconnaissaient pour méprisable, qu'il soit lavé sous une cascade de bienveillance et de pureté. Jonathan était prêt à faire de Lucy une honnête femme au milieu de la société victorienne. Polir ce diamant brute dont il avait apprécié la sauvagerie et le courage au milieu de sa dure condition, dont il avait craint la complaisance pendant les derniers mois de leur « amitié ». Mais cette sublime renarde aux cheveux roux dont il s'était fait la caresse et le bras aidant, était désormais une petite fleur qui n'attendait que de pouvoir s'épanouir dans l'honnêteté et son monde. Lui, le grand orateur, n'avait plus les mots pour décrire l'immense fierté et l'incommensurable joie de pouvoir l'avoir entre ses bras et savoir que ce sourire n'était qu'à lui, qu'il n'y avait plus que ses mains qui pouvaient se poser sur ses joues, sous ses mèches, sur ses hanches et tout autour de son corps pour la tenir au chaud et en sécurité. Elle était peut-être sa petite poupée, mais il aurait tout donné pour que jamais, la scène de laquelle il l'avait sauvé, ne se reproduise un jour. Et pour cela, il voulait lui donner son nom, sa vie, sa main, son corps, son avenir, dans le bonheur et le malheur, la richesse et la pauvreté, et tout cela sous le regard bienveillant du Seigneur, qui savait – oh oui qu'il savait – ô combien ils avaient été terribles les embûches de ses difficiles épreuves divines. Mais Jonathan pouvait bomber le torse, alors que Lucy se tiendrait à son bras, et dire qu'il les avait toutes surmonter.

Mais il en restait encore une, et celle-ci était la plus effroyable de toute. Cette épreuve, ce n'était pas à Jonathan de l'affronter, mais à Lucy. Une vie de débauches dans les pires gargotes de Whitechapel, fusse-t-elle pour se maintenir en vie, ne pouvait être sans conséquence. Jonathan, dans tout son emportement et son amour, restait un homme de son temps, un homme conscient. Un bourgeois gentilhomme qui savait prendre le temps d'analyser chaque situation, ses avantages et ses inconvénients, et tous les dangers qu'elle comportait. Épouser une ancienne prostituée pouvait comporter son lots d'inconvénients – et il n'était toujours pas sûr de savoir comment il réagirait s'il devait faire face à l'un de ses anciens clients – mais l'un des dangers les plus imminents était bien celui-là : les maladies. La pauvreté en elle-même était un vecteur de maladie plus que certain, Jonathan était bien placé dans son métier pour en voir les malheureuses victimes venant quémander chez lui quelques prières pour guérir. Et côtoyer ces hommes qui devaient vaquer de femmes en femmes, de Tamise en bar et de forge en boucherie, il s'agirait bien là d'un miracle de Dieu si tout allait dans le meilleur des mondes. Jonathan aurait souhaité pouvoir s'en moquer. Il aurait voulu croire en la beauté de Lucy et ne pas chercher plus loin, persuadé via une antique loi de faciès que ce qui était beau ne pouvait être malade. Malheureusement, la révolution industrielle était passé par là, et les études sur la santé allaient bon train pour ruiner ce genre de prérogatives médiévales. Étant le grand frère d'un chirurgien de grand talent, Jonathan ne pouvait l'ignorer. Quand il lui en eut parler pour la première fois, c'était sa plus grande peur et Dieu qu'il était furieux à ce propos ; le pasteur ne pouvait lui en vouloir. Quand on perdait son premier grand amour par la faute de la syphilis, pauvre enfant infecté à la naissance, il fallait s'attendre à cela. Jonathan, dans toute la grandiose et naïve force de son amour et de ses élans, ses tortures psychologiques et ses rêves de famille, n'avait jamais pris en compte ce détail. Encore une fois, il se refusait à le prendre en compte. Mais maintenant que le mariage était imminent, et avec lui tout ce qu'il s'en suivait de logique dans la conception chrétienne de la chose : nuit de noce, enfants..., alors il fallait y penser.

La conversation ne fut pas des plus simples. Comment déclamer la vérité et les craintes de ce bonhomme de Dieu, bien sous tout rapport, à une jeune femme rompue à ses réalités ? Il avait craint de la vexer, bien qu'il n'en eut pas le choix. Le pasteur méprisait le fait de devoir emmener sa fiancé chez un docteur comme certains emmènent le chien errant découvert la veille chez le vétérinaire avant de l'adopter. Il craignait par-dessus tout qu'elle fut malade ; et alors quoi ? Que se passerait-il ? L'abandonnerait-il, cette erreur ne pouvant s'accomplir avec lui sans risquer de le tuer au passage ? Jonathan ne se voyait pas le faire. Il ne voulait pas avoir à le faire. Il espérait s'être déjà fait une raison sur son avenir marital avec son ancienne femme, qu'un nouveau malheur ne saurait échouer une fois de plus. Mais s'il avait lui-même peur, il n'osait imaginer ce que cela pouvait être pour l'intéressée. Pire encore, il n'avait su la rassurer comme il l'aurait voulu. Oh, il l'avait bien prise par les épaules, par les joues, puis tout entier dans ses bras, l'assurant que tout se passerait bien et qu'il n'y avait aucune crainte à avoir. Qu'en soit le simple fait d'aller chez le médecin était une routine habituelle désormais, et qu'il ne fallait pas prendre cela comme une exécution. Qu'il avait, de plus, bien fait attention à choisir une de ces nouvelles femmes-médecins qui venaient de sortir des écoles (Jonathan n'aurait pas supporter de la laisser au prise avec un autre homme devant l'ausculte, fusse d'un point de vu médical) et que cette personne serait au plus grand soin avec elle. Mais il n'avait pas dit la chose la plus importante, peut-être parce qu'il pensait que la force de ses bras enserrant son corps contre le sien était assez parlante : « Ne t'inquiète pas, même s'il y avait un problème, je ne te laisserai pas partir. » Il avait omis cette idée. Comme si le simple fait que cela ne se passe pas bien n'était en soi pas une option. Il fallait que cela se passe bien. Ils avaient déjà traversé tant de brouillards, trébuchant sur des broutilles et des montagnes. Pour une fois, rien qu'une seule fois, il fallait que tout se passe bien.

Tu es prête ?

Jonathan terminait de boutonner sa chemise blanche, souhaitant accompagner sa fiancée en tenue laïc, plutôt que d'attirer l'attention sur son col de pasteur. Se saisissant de son peigne tant usitée, il se détacha enfin du lavabo pour s'approcher de sa belle Lucy. Ses cheveux indisciplinés se jetaient indistinctement sur ses épaules blanches, et cela la rendait si sauvage que Jonathan ne pouvait s'empêcher à chaque fois de sourire comme un bienheureux imbécile. Il écarta les mèches de son visage et, chatouilla une dernière fois sa joue, se mit derrière elle pour brosser ses longues mèches. De là, il pouvait admirer la luminosité sans égale de sa rousseur, et poser un tendre baiser sur le sommet de son crâne. Ce stupide pasteur amoureux pouvait passer des heures à défaire les nœuds de cette délicieuse fourrure, pour enfin lui apprendre à s'en faire un chignon des plus respectables, contraignant cette chevelure dans les règles sacrés et virginales qui leur étaient dû. Une règle qui n'était pas pour déplaire à Jonathan, car enfin il savait que ses mèches se jetant sur son corps blanc, encore une fois, n'était maintenant que pour lui. Il s'était offerte cette vision angélique et la chérirait plus que tout au monde. Après avoir fini de la coiffer, il la retourna très délicatement pour l'embrasser sur le front :

Tu es magnifique.

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Lucy E. Wood
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MessageSujet: Re: Le voeu d'Hippocrate • Lucy Le voeu d'Hippocrate • Lucy Icon_minitimeVen 8 Oct - 21:37



Le voeu d'Hippocrate

« City of London »

10 Octobre 1892

Un œil qui s’ouvre sur la résurrection d’une aube grisâtre. Une main dont les doigts blancs écartent, dans un geste indolent, les sens endormis encore, une boucle rousse aventurée jusqu’à ce regard plein de sommeil. L’azur qui s’entrechoque au sempiternel fog anglais, écrase la clarté de son hâlo plein d’espoir aux brumes épaisses qui étouffent la capitale de l’âcreté de leurs bras. Les deux yeux qui s’ouvrent enfin, résignés, sur la triste matinée qui accueille le réveil de la miséreuse. Les affres moroses de l’automne anglais pouvaient abattre leur chape funeste sur le monde entier ; Et le vent pouvait s’égosiller ; et la bruine amère pouvait bien la geler jusqu’aux os. Sa lumière était là. Près d’une Lucy trop coutumière des réveils en sursaut et des nuits sans repos, Jonathan dormait. Paisible, sa poitrine se soulevait au rythme du sommeil bienheureux qui ne faisait pas tressaillir le moindre le muscle de son visage de pasteur angélique. Les paupières closes semblaient lisses de tout tracas ; et les longs cils entremêlaient leur blondeur, semblaient vouloir se réfléchir au creux de la lueur gémellaire de cette barbe fine qui lui mangeait les joues. D’une main mal assurée, engourdie de sommeil encore, Lucy passa doucement les doigts au creux de cette toison aux allures d’auréole, réprimant l’instinct primitif d’enfouir son visage lourd des stigmates du réveil au creux des bras de l’homme endormi.

Un œil bleu qui s’ouvre, plus clair que le sien, sur le monde et Lucy qui s’éveillent à l’unisson. Le hâlo frémissant d’un pâle sourire, réfléchi par l’éclat de ciel d’été qui luit au fond des prunelles étincelantes. Et c’est la large main qui inaugure le geste réprimé tout à l’heure, quand la frêle prostituée avait laissé à la bénédiction d’un sommeil paisible l’ange salvateur qui l’avait arraché du tréfonds des Enfers. La tignasse hirsute s’enfonce au creux de la large épaule, et des lèvres pâlies des vestiges du sommeil s’extirpent un soupir d’aise tandis que Lucy s’alanguit au creux de ses bras, étirant ses membres souples pour achever là le réveil amorcé sans lui.

Là, lovée au creux des bras tendres et chauds de son futur mari, Lucy se serait volontiers rendormie. Et Jonathan aurait accueilli avec ce plaisir non feint de fiancé alangui le sommeil de sa douce au creux de son étreinte, s’il n’y avait pas eu cette humiliante obligation qui les contraignaient tous deux au difficile lever d’un matin d’automne. Un chaste baiser, un sourire désolé par la déconfiture que son ancien état de putain des rues allait infliger à tous deux, et Lucy s’était levée. Dans toute sa dignité de fille de joie ramassée sur le trottoir par le plus tendre de tous les pasteurs du monde, elle s’était occupée de raviver les braises de l’âtre, pas mortes tout à fait par une nuit d’inattention. Y avait fait frémir la petite marmite d’eau qui avait servi au thé de leur déjeuner. Et même l’appétit enviable de Jonathan semblait s’être étiolé à la morosité ambiante qui planait sur leurs épaules et la naissance de leur amour qui se heurtait au pragmatisme lugubre de ce qu’avait jadis été sa fiancée.

Oh, ils pouvaient jouer les tendres amoureux aux regards chastes et larmoyants. La nature et la société ne seraient pas dupes, et il faudrait endurer là le prix à payer de l’hérésie du passé de Lucy, face au regard scrutateur de la femme de sciences qui assènerait le verdict qui scellerait le destin de la pauvresse. Pureté certifiée et approuvée par le médecin-juge, ou retour aux bas-fonds d’une existence de misère et de stupre imposée par la faim et la survie ? Billet d’entrée au sein de la sphère bourgeoise des femmes bienheureuses en ménage ou retour aux impasses gelées et à l’infâme métier de catin qui se risquait chaque nuit à finir la gorge ouverte sur le pavé grisâtre ? Digne, Lucy n’avait pas sourcillé, prête à assumer les conséquences de l’infâmant gagne-pain qui l’avait si mal nourrie durant tant d’années. Mais elle n’avait rien touché des pains au lait tout chauds façonnés et cuits dans les braises de l’âtre, sirotant son thé avec mesure, la gorge nouée par l’indicible angoisse et l’humiliante posture qu’elle aurait, plus que tout, désiré épargner à Jonathan.

Dignité d’apparât, femme respectable de façade, la jadis prostituée des sombres nuits de Whitechapel n’avait plus que la Lune comme témoin impie des méfaits de son ancien état. Là, dans la sagesse de sa robe de velours brun, nul n’aurait pu deviner la créature détestable qui se nichait au creux des plis dociles de la jupe et du vénérable corsage blanc. La tenue que lui avait offerte Jonathan avait été confectionnée selon l’austérité de ses goûts à elle ; Lucy avait dédaigné les manches bouffantes et leur ridicule accumulation de dentelle et les crinolines qui singeaient un séant et des hanches exagérées, au grand plaisir de Jonathan. Elle l’avait vu au fond de l’azur pudibond de ce regard qui semblait, autant qu’elle, mépriser la coquetterie sous toutes ses formes. Non, le velours d’une discrète teinte de feuille d’automne retombait en plis discrets sur les mocassins de cuir, retenu à la taille par une fine ceinture dont la couleur de cuivre était rappelée à l’ourlet des manches et de la jupe. Le corsage de flanelle immaculée remontait jusqu’à la gorge blanche, un peu fine, achevant là la désormais respectable silhouette de fiancée de pasteur qui se respecte.

La voix légèrement grave, doucereuse du pasteur l’avait extirpée des derniers préparatifs de sa toilette. Il ne restait que les boucles indomptables pour vestige de son passé de catin farouche, lorsqu’elle tourna les yeux vers lui, dissimulant non sans peine l’écume d’humiliation qui surplombait l’océan de son effroi sous la pâleur peu convaincante d’un sourire qui s’efforçait de rester digne ;

- Oui, je dois simplement me peigner.

Taciturne Lucy, qui ne renchérissait jamais. Plus encore lorsqu’un tel nœud lui nouait la gorge et l’estomac, plus encore lorsqu’elle le découvrait si beau et si tendre, avec au fond des yeux cette admiration qu’elle savait ne pas mériter. Statue de sel rendue imbécile par la contemplation de ces doigts qui s’évertuaient à boutonner les manches de sa chemise laïque. Oubliée, la sempiternelle tenue sacerdotale. Oublié le col blanc aux allures d’auréole, quand l’ange pastoral se confrontait à l’avanie du passé de sa future épouse, y jetait à pleines mains la pureté de son âme, se noyant dans l’opprobre de sa fiancée comme pour mieux en étioler la déchéance ; et la mine sacralisée du seul homme qu’elle ait jamais vraiment vu semblait resplendir un peu plus de l’offense qu’il s’infligeait, pour l’amour de la catin des rues récupérée un soir d’hiver dans les alcôves de la petite cave pastorale aux allures de boudoir. Lucy pouvait-elle encore ne plus croire aux miracles, quand même li’nfâmie de sa luxure ne parvenait pas à souiller l’éclat divin qui étincelait dans les tréfonds des yeux de Jonathan ?

Lucy laissa la pureté des doigts blancs se fourvoyer à l’hérésie de sa rousseur brouillonne, savourant la caresse avec le sourire pâle, alangui, de celle qui n’y croyait pas encore vraiment. La catin leva un regard qu’elle se découvrait pudibond sur l’immense pasteur qui la surplombait de toute sa hauteur, lui soumettait son chétif sourire comme une bien piètre offrande à la tendresse énamourée qu’elle n’aurait jamais cru connaître chez un homme. Et la magie se brisa avec leurs regards qui s’arrachèrent l’un à l’autre, les secondes en suspension dans l’air s’égrenèrent de nouveau. Le monde, soudain, sembla de nouveau tourner, lorsque la lueur d’Eden qui étincelait au fond du ciel d’été des prunelles de Jonathan se dérobèrent à la contemplation de Lucy. Poupée fragile offerte à la large silhouette, elle se laissa coiffer, docile, par l’étonnamment adroite main pastorale qui s’évertuait à lisser ses boucles avec une douceur désarmante.

Lucy se laissait faire sans mot dire, s’abandonnant à la vague honte de n’être pas même suffisamment respectable pour savoir se peigner convenablement ; tant et si bien que son trop tendre promis se décidait à s’acquitter lui-même de ce qu’il ne semblait même pas concevoir comme une corvée. Et le confort prit le dessus sur la honte, et Lucy ferma les yeux, le laissant démêler avec une patience infinie la cascade de boucles et de nœuds qu’il déliait avec une incommensurable tendresse. S'abandonnant sans plus de scrupules ou de cérémonie à la caresse de la brosse qui, sur son tendre et patient passage, s'évertuait à faire de la tignasse hirsute et brouillonne une cascade de soie rousse lisse et disciplinée.

Pour enfin sentir les épingles s'enfoncer tendrement dans sa masse de cheveux, relevée sur la nuque par l'agilité des doigts pastoraux. Et Lucy serait restée là des heures, à s'alanguir à juste sentir les mains promises à l'union de leurs deux âmes s'aventurer au creux de la toison de flammes dont elle s'était vêtue comme d'une chape pour le séduire ce soir d'hiver là. La séduction, elle l'avait recherchée, certes. Mais cette séduction d'une nuit, d'une heure qu'elle se connaissait, cet accord tacite scellé dans un contrat dont il n'avait pas voulu. Pas une seconde, elle n'avait osé aspiré à cette charité gratuite, ce don offert à pleines mains de si menues choses qu'elle avait accueilli comme une offrande sacrée, âme trop peu accoutumée aux cadeaux qu'elles qu'ils fussent, toujours habituée à payer beaucoup, trop selon certains, l'impensable selon tous. Tous, ceux aux ventres pleins et aux pieds au chaud, ceux qui se faisaient juges d'une situation qu'ils n'auraient jamais à appréhender, bourreaux insensibles à ces existences de misère qu'ils ne comprendraient jamais.

Même Jonathan n'avait pas compris, au début. Il avait asséné son jugement divin, avec toute cette charitable bonté qui émanait de tous les pores de son angélique peau blonde et de son âme enchanteresse. Et le farouche animal des rues, dépouillé depuis longtemps des apparâts encombrants et inutiles d'une dignité qui ne nourrissait pas, avait rendu la blessure qu'il aurait été seul capable de lui infligé, avait renvoyé le coup comme pour faire écho à la vivacité de la plaie qui béait par la seule force de ses angéliques litanies, qui, dans l'inconscience de cette pureté confinant à la naïveté qu'elle aimait tant chez lui, lui avait fait tant de mal. Et là, le piteux jeu d'acteurs, enfin, s'était achevé ; dans le lever de rideaux de ces petits égos ridicules rduits au silence par cet indéfinissable lien qui leur échappait, ils en avaient accepté l'étreinte, s'étaient avoués dans un souffle éperdu ce qu'ils ne parvenaient qu'à peine à comprendre.

La farouche et rude créature s'était inclinée à l'éclat triomphal des cieux azurés qui avaient étincelé de cette douceur ineffable qu'elle n'avait pas su combattre. Quand lui avait laissé tomber aux pieds blancs et impies de la catin souillée son manteau de ciel et de sacerdoce, avait brisé son auréole dans sa chute pour la pire engeance de femmes que la terre ait porté en sein. De plus extraction que la sorcière encore, extirpée des fosses les plus abruptes de la Géhenne, surplombant la pureté du monde avec l'insolence de ses terrifiantes origines, dans les flammes dévorantes qui semblaient recouvrir comme une injure la balncheur de lait de ses épaules et de sa nuque. Aussi n'eut-elle qu'un sourire plein d'une mélancolie incrédule, lorsqu'il déposa un chaste baiser sur son front, avoir que ses larges mains l'aient fait doucement pivotée face à lui.

- Ce n'est pas vrai.

C'était dit sans amertume, sans même une once de fermeté. Simplement sa vérité inéluctable à elle, aussi convaincue de sa laideur et de son opprobre tout autant que, par un incommensurable miracle, Jonathan était persuadé de son émerveillement presque sacré pour la beauté de Lucy. Elle lui offrait toujours ce pâle sourire tranquille, tandis qu'elle baissait le regard pour attraper une des larges paumes dans les siennes, s'attelant à lier le bouton de la chemise qui baillait autour de son poignet. Un instant, elle serra ses doigts dans sa petite main blanche, cherchant à s'insuffler le courage dont elle n'aurait d'ordinaire pas eu à manquer, jadis. Quelques secones, elle s'enivra de leur tiédeur rugueuse, inspirant à pleins poumons cette chaleur d'âme qui lui montait droit au coeur, avant de glisser ses doigts jusqu'au col de sa chemise, achevant là de boutonner la chemise laïque dans laquelle elle se surprenait à le trouver plus beau encore que dans l'encre sempiternelle de son habit sacerdotal. Sa blondeur angélique n'en semblait que plus triomphal, plus éclatante encore, nimbée de cet halo immaculé au creux duquel le pieux visage ne luisait que trop bien ;

- Nous pouvons y'aller, mais je peux emporter quelque chose si tu veux...Tu n'as rien mangé...

Encore la lueur d'une énième sourire pâli par la vague tristesse de ce qu'ils allaient s'infliger tous les deux, par sa faute à elle. Nul reproche qui brillait dans les tréfonds de son regard qui savait pertinemment qu'il n'y avait nulle offense faite à sa cuisine. La demi tasse de thé avalée en guise de petit déjeuner lui nouait la gorge, les tripes et l'estomac. Réprimant un soupir destiné à s'encourager elle-même, la taciturne Lucy, mieux qu'avec des mots, fit comprendre qu'elle était prête. La petite cape de velours brun posée sur ses épaules, ses doigts s'affairèrent à en nouer maladroitement le lacet, avant de glisser douceent sa main au creux du coud de Jonathan. Une légère pression du bout de ses doigts qui resteraient inexorablement froids. Le chemin de la rédemption semblait plus tortueux et pénible qu'il n'y paraissait.

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