Jolie petite histoire...
   Une histoire ? Encore faudrait-il qu'il y en ait une à raconter. Bien sûr, l'on peut considérer qu'une vie a son lot de péripéties, de secrets enfouis, ou tout simplement une situation rocambolesque qui vaut la peine d'être racontée. Heather n'a jamais eu la prétention que sa vie ait été différente des autres roturiers nés dans la boue des rues de Londres et dans la famine. Mais s'il était temps de raconter l' "histoire" de sa vie, Heather la relaterait sûrement de cette manière.

Heather Underwood a vu le jour dans une ruelle malfamée, sale, couverte d'excréments et d'un milliard de bactéries en tout genre. Une ruelle d'habitude évitée par sa mère, surtout lors de sa tournée nocturne. Même les prostituées ne s'aventurent pas dans les coupe-gorges. Elles ont l'amour facile et la gorge tendre, d'après ce qu'on sait. Comme on se débarrasse d'un sac d'ordures, Heather fut éjectée sur les pavés glissants et humides. Quand sa mère eut terminé le travail, elle enveloppa la petite sans trop faire attention, puis rentra chez elle le plus vite possible. Il était vrai qu’elle avait hésité un instant à l’abandonner sur place, mais elle savait qu’elle encourrait une peine bien pire si elle abandonnait un nourrisson que si elle le logeait pendant quelques années. Un abandon, ça peut très bien se faire quand le mioche peut marcher. Même s’il braille encore.
On ne peut pas dire que son histoire soit la plus attendrissante au monde, mais, en ce temps-là, sa vie était carrément banale. Sa mère n'était donc qu'une prostituée de bas étage, mariée avec un ivrogne, autrefois brasseur qui a perdu tout ce qu'il possédait au jeu. La maison du bonheur, ce n'était pas réellement pour elle. Sa mère était constamment malade, et sa santé ne pouvait que se dégrader sous les coups de son mari indigne. Mais, en dépit de son environnement insalubre et de la vie familiale pas franchement folichonne, Heather n'était jamais tombée malade. En vingt ans, elle n'avait essuyé que quelques rhumes très légers. Une mauvaise herbe qui ne voulait pas crever. Voilà ce qu'elle était. Du moins, aux yeux de son géniteur.
Enfin, si toutefois elle était bien sa fille. Au regard du métier de sa mère, personne n'a jamais su si elle ou ses cinq frères et sœurs étaient réellement des enfants légitimes. Deux de ses frères avaient effectivement un air de ressemblance avec leur père, mais ses deux sœurs et le plus jeune des fils ne se ressemblaient ni entre eux, ni avec leurs présupposés parents.
Mais peu leur importait. Un an après la naissance du cadet, une pneumonie a emporté leur mère, et leur père suivit quelques mois plus tard, de causes inconnues. Sûrement la boisson, qu'ils disaient tous. Heather s'en fichait royalement. Elle était enfin chef de famille.

La mauvaise herbe avait appris très rapidement à s'occuper d'elle. Puis, au fur et à mesure des naissances, elle s'occupait de ses frères et sœurs. Dire qu'elle avait appris la cuisine, la lecture et la couture seule aurait été exagéré. Elle n'était pas réellement autodidacte, bien qu'elle apprenait avec une rapidité déconcertante. Heather avait eu la chance d'avoir une vieille voisine débordante de bonté qui lui apprenait tout ce que sa propre mère ignorait. Miss Hampshire était une vieille demoiselle qui n'avait jamais été mariée et n'avait jamais eu d'enfants. Elle vivait seule dans la maisonnette voisine avec son chien, Billie, le bâtard le plus calme et affectueux qui soit. C'était elle, le rayon de soleil d'Heather. Avant la naissance de la fratrie, elle passait tout son temps chez la demoiselle, si bien que très souvent ses parents en oubliaient son existence. Et, on ne va pas se le cacher, ça lui convenait parfaitement, à Heather.
Une année après ses parents, la Mort avait emporté la vieille dame. Heather était seule pour s'occuper de cinq bouches. Mais elle ne s'était jamais sentie aussi forte.

Bien qu'elle n'ait reçu aucune éducation à proprement parler, Heather était relativement intelligente et clairvoyante. Elle se débrouillait pour qu'il y ait toujours à manger sur la table, travaillait comme dix, et avait la meilleure volonté du monde. Ce qui faisait son petit caractère pourtant était sa tendance à ne jamais se laisser faire. Elle avait la langue relativement bien pendue et un tempérament de feu. Autrement dit, elle n'était pas du genre à se faire rouler d'une livre par le poissonnier qui voulait lui refiler du poisson de la semaine passée. Sa malice permettait de temps en temps de rapporter une belle pièce de viande qui lui avait coûté trois sous, ou assez de pain pour une semaine.
Si Heather adorait ses frères et sœurs, elle avait cependant d'autres ambitions. Elle était bien trop pauvre pour changer de maison, et vivre dans le taudis de ses parents détestés lui pesait de plus en plus chaque jour. Elle avait besoin de changement. Elle avait besoin de partir.
Elle lisait souvent les petites annonces des journaux qu’elle récupérait sur des bancs publics ou dans les ordures. Ce n'était pas très classe, certes non, mais au moins c'était gratuit. Elle cherchait une place de commis de cuisine, de femme de ménage ou de femme de chambre dans une maison assez correcte. Et l'annonce de Madame Ravenswood était celle qui avait changé sa vie.

Elle avait entendu parler du manoir Ravenswood plus d'une fois. Il était relativement célèbre, et avait une place assez importante dans les racontars des mauvaises gens. Les histoires divergeaient un peu, mais toutes avaient pour base un manoir hanté de plusieurs morts, et une veuve qui était soupçonnée de les avoir tous tués les uns après les autres. Heather était ce qu’on appelait une force de la nature, et sa curiosité ne lui rendait pas toujours service. Mais le jour où elle avait découvert l’annonce, elle n’avait rien écouté d’autre que cette curiosité toujours grandissante.
Elle s’était présentée à la porte du Manoir, en habits du dimanche, pourtant recouverts d’une épaisse couche de crasse qu’elle n’arrivait pas à faire partir. Elle avait un peu honte de se présenter dans une aussi grande maison ainsi vêtue, mais elle ne se prenait pas pour Cendrillon pour autant. Elle n’avait pas peur, elle était même plutôt confiante. Il était vrai qu’elle ne parlait pas beaucoup le patois local et qu’elle savait prononcer les mots de manière à s’exprimer relativement correctement. Elle n’était certes pas parfaite, mais une fois que l’on passait son accoutrement, l’on pouvait se rendre compte qu’elle était de ces perles formées sur les pavés mais qui recelaient un trésor en vérité. Elle avait eu une bonne intuition pour cette place de domestique. Et si c’était à refaire, Dieu sait qu’elle ne changerait pas une seule journée.

Dans la vraie vie, je suis...
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<t>Anna Kendrick</t> → <y>Heather Underwood</y>