Tic tac. Ding. Comme à chaque heure, Big Ben marquait la cadence à chaque fin d'heure. Oh oui, il aurait pu dire que c'était chaque renouveau qui était marqué par ces coups de glas, mais à quoi bon. Tout n'était que la fin d'un commencement, il ne le savait que trop bien. Il soupira une nouvelle fois, posant son regard sur ce chien qui tremblait bien plus qu'il n'acceptait de le voir. Il lui sourit, très brièvement. Il n'y avait que cette brave bête qui savait que Dick peut sourire, parfois. Toujours au clair de lune, avec les vers pour seuls témoins. La brave bête aboya faiblement, une fois, y mettant presque toutes ses forces.

"Allez, te décourage pas. On va s'en sortir, tant qu'on est tous les deux, tout ira bien."

Y croyait-il? S'il ne le faisait pas pour lui, il le faisait pour son compagnon. La soirée était plutôt calme, ce qui était surprenant au vu des bruits qui couraient dans les rues de Londres. Mais ce qui l'étonnait un peu, c'était de ne pas avoir encore croisé la beauté de ce lieu de repos. Celle qui inlassablement pleurait un de ses pensionnaires. Pour une personne désespérée elle était particulièrement régulière. Il avait toujours pensé que la douleur rendait brouillon, ça ne la touchait pas. Il se saisit de sa pelle, et retourna donc arranger les tombes laissées à l'abandon. Certaines devraient être ré-ouvertes faute de paiement. Mais ça n'était pas son problème, un os est un os.

La rumeur courait dans les rues de Londres que le croque mort n'était pas vraiment très regardant. Et pourtant, il avait les yeux partout ce jeune homme usé par la vie. Ou plutôt par son opposé. Lui avait presque oublié à quel point son métier était macabre. La vie comme elle vient, mais surtout comme elle part. La vie? Il avait presque oublié ce que c'était au final. Un bref sursaut avant de plonger dans l'abysse. Et cette abysse, c'était son quotidien. Comment faisait-il pour garder la tête froide? En avait-il encore une fonctionnelle? Tellement de questions sans réponses. Il surveillait d'un oeil faussement distrait les mouvements proches de l'entrée. Si son chien était bien mal en point, lui même savait manier la pelle.

Il savait prédire presque au centimètre près les pas des habitués. A trop venir veiller les morts on finit par en devenir un soi même. Ils agissaient ici comme s'ils n'étaient plus habités par autre chose que le passé, répétant les mêmes routines. Inlassablement. Parfois, l'espace de quelques secondes il se sentait peiné pour eux, mais ça ne durait jamais. Il avait du travail, beaucoup de travail, la mort ne prends jamais de repos. Et certainement pas en ce siècle troublé. La jeune Ravenswood n'échappait pas à la règle, elle errait, délicieuse, entourée de ces horreurs qui faisaient le quotidien de Dick. Il se laissait parfois surprendre par la beauté du contraste, vestige de cette période ou la poésie était sa muse autant que son amante. Il ne pouvait maintenant que trouver ça parfaitement stupide. Lui aussi avait aimé, lui aussi avait marché sous la lune. Et tout ça pour quoi? Un boulot fixe au pays des souvenirs.

Sans s'en rendre vraiment compte il s'était approchée d'elle. Les scientifiques disaient qu'on se rapprochait souvent de ce qu'on regardait. A croire qu'il la regardait plus qu'il ne s'en doutait. Il lui adressa un signe de tête, un hochement plus précisément. Il savait qu'elle ne voulait pas déranger, mais il avait pris la peine de lire l'épitaphe dès sa première visite. Il pouvait comprendre. Il avait songé à lui demander quelques pièces pour le dérangement, mais la peine est universelle, et il n'était pas encore devenu si monstrueux. C'était en quelque sorte son échappatoire. Tant qu'il conservait son chien et sa visite, il n'était pas tout à fait perdu. Il se saisit de sa pelle et s'avança vers la demoiselle. Il la gratifia d'une très brève flexion de genou.

"Je vous en prie, de toute façon, eux comme moi n'iront pas bien loin de toute façon."

Parfaitement indélicat. Du Fussle tout craché. Le chien lui vint sentir l'étoffe de la capeline. Il n'avait pas toujours tant de courage. Mais ça ne signifiait rien, elle pouvait très bien sentir le rôti. Les personnes aisées peuvent en manger, et ce pauvre compagnon avait souvent faim.

"P'tetre préférez vous que je vous laisse seule?"

Il surveillerait de toute façon du coin de l'oeil. On ne sait jamais. Il ne voulait pas se retrouver avec un cadavre de plus, qui serait recherché celui la. Surtout pas la pelle à la main. C'est trop facile d'accuser le maître des lieux. Beaucoup trop facile.