C'était un lundi, et comme tous les lundis Griffin c'était levé de bon matin pour faire la tournée de ses usines les plus proches afin de donner ses consignes pour la semaine et de faire le relevé des comptes de la précédente.
Il s'était réveillé aux côtés d'une inconnue, une jolie blonde à la peau laiteuse qu'il avait ramassée la veille dans l'une des ruelles de Whitechapel, sans aucun scrupule il l'avait ramenée dans sa propre demeure et avait fait l'amour avec elle dans la chambre juste à côté de celle où dormait sa propre femme, qui était bien entendu au courant des aventures régulières de son mari mais faisait semblant de ne pas en avoir eu vent, car elle préférait encore ça aux histoires de divorce qui ne feraient que déshonorer sa famille d'autant plus.
Avant de quitter la résidence familiale il demanda à l'une de ses domestiques de bien vouloir s'occuper de la demoiselle, elle devait avoir déjeuner, s'être changée et avoir quitté la maison avant que son épouse ne se réveille; c'était une question de bon sens mais aussi une forme de respect comme il aimait à le rappeler.

Après avoir accompli ses tâches habituelles il décida de finir ce qu'il avait commencé, puisque distrait par les charmes de sa conquête de la veille, il en avait oublié ce pourquoi il s'était rendu à Whitechapel ce soir là: acheter sa dose hebdomadaire d'opium. Il monta donc les trois petites marches lui permettant d'accéder à sa calèche et se laissa tomber mollement sur les coussins de velours noir recouvrant les sièges avant de poser mollement sa tête contre la vitre pendant que la diligence démarrait tranquillement, rebondissant légèrement sur les pavés humides. Il soupira, ici le temps était toujours maussade et terne, heureusement que les anglais maniaient les arts avec élégance et si ce n'était pas le cas, ils auraient toujours leurs charmes naturels à offrir.

Son cocher le sortit de ses pensées pour lui annoncer leur arrivée dans l'une des ruelles les plus calmes du quartier, en journée en tous cas. Il bourra sa pipe de tabac, descendit les quelques marches, la porta à sa bouche puis, tout en jetant un oeil aux alentours, l'alluma. Il fit un petit signe de la main au cocher pour lui signaler qu'il pouvait rentrer, puis se dirigea vers le fond de la rue, tirant de temps à autres sur sa pipe.
A cette heure ci les ruelles de Whitechapel semblaient mortes. Il y avait bien une ou deux prostituées et quelques ivrognes ça et là, mais rien qui ne valut la peine de s'arrêter, sauf peut-être le jolie brune qui se tenait dos au mur d'un cabaret.
Il lui semblait reconnaître ce visage, cette peau de porcelaine, ces yeux brillants... Il se permit de l'approcher et effleura de ses doigts la peau nue de son bras.
-Ne serait-ce pas vous qui dansiez à l'une des réceptions de Lord Renfield ?
Demanda-t-il tout en retirant la pipe de ses lèvres, déposant un baiser au dos de sa main tout en se courbant légèrement.
-Excusez mon impolitesse, Griffin Lloyd, j'ai trouvé que vous dansiez merveilleusement bien.

Daisy gémit doucement, fronçant les sourcils en émergeant brusquement de son sommeil. Quelque chose n’allait pas...Elle entendait un bruit, un bruit régulier qui n’était pas là habituellement...Elle entendait certes le bruit de la pluie, mais ça elle n’y prêtait pas attention depuis longtemps. C’était autre chose, plus fort, plus gros… Grognant un peu, elle ouvrit comme elle pouvait les yeux tout en s’asseyant dans son lit. Frissonnant en retirant le drap qui recouvrait son corps nu, elle posa un pied sur le sol… Mouillé.

Sursautant, elle le releva immédiatement, baissant les yeux sur le plancher. Qui était totalement recouvert d’une fine couche d’eau, qui augmentaient, gouttes, après gouttes, après gouttes. Et toute cette eau venait du plafond, qui semblait fuir de partout. Daisy paniqua un instant devant l’ampleur des dégats. Son appartement était situé sous les toits, alors, les fuites c’était chose assez commune. Le lien ou elle vivait n’était, de toute façon, en règle général, pas le plus agréable, il y faisait froid l’hiver et chaud l’été, et effectivement, il arrivait souvent que le plafond ai des fuites..

Mais là, c’était l’entièretée de la pièce qui était trempée. Avec une grimace boudeuse, elle prit son courage à deux mains pour se lever. Elle se dirigea vers sa coiffeuse, son humeur s’assombrissant à chaque bruit que ses pas faisaient dans l’eau. Poussant un long soupir, elle s’assit devant son miroir pour se maquiller, avant de s’habiller et de sortir, ses chaussures à la main. Son propriétaire avait bien des défauts, mais au moins, c’était lui qui s’occupait de ce genre de soucis… Même s’il n’avait pas de scrupules à demander un quelconque paiement dans ces cas là.

Tant pis, elle se débrouillerait. Elle le faisait toujours… Mais là, ce n’était pas une bonne journée. Elle n’avait aucune idée de l’heure qu’il était, mais elle savait qu’il faisait beaucoup trop claire pour qu’elle soit levée… En général, elle ne se réveillait que quelques heures avant d’aller travailler, ce qu’il fallait pour se préparer et s’y rendre, en somme. Mais là...Elle savait qu’il était beaucoup trop tot pour ça. Mais elle n’avait nul part d’autre ou aller. Avec un peu de chance, quelqu’un serait là pour lui ouvrir et elle pourrait aller finir sa nuit dans sa loge…

Mais non. La chance n’était pas avec elle aujourd’hui, elle avait eu beau tambouriner à la porte, personne ne semblait être là. Ce qui n’était pas normal, mais qu’est ce qu’elle pouvait y faire… S’adossant au mur de l’établissement, elle replaça doucement une mèche derrière son oreille en se demandant ce qu’elle pouvait bien faire maintenant… Jusqu’à ce qu’elle sente une main effleurer son bras. Une main particulièrement douce… C’était d’ailleurs la seule chose qui l’avait retenu de se dégager brusquement en hurlant à l’incendie.

Mais ce n’était pas un quelconque ivrogne, il avait l’air riche. Et il lui semblait quelque peu famillier… Mais oui ! Il était présent chez ce Lord chez qui elle avait dansé. Décidement, à ce rythme là WhiteChappel allait devenir un quartier bourgeois. La bonne blague… Mais ce n’était pas le moment de se moquer. Plutôt celui d’apprécier la galanterie de son interlocuteur. Ce n’était pas souvent qu’on la traitait avec autant d’égard… Elle lui offrit donc son plus joli sourire, le gratifiant d’un signe de tête après son baise main.

Il avait aimé sa danse… Bien sur qu’il l’avait aimé, tout le monde l’avait aimé. Mais ça lui faisait toujours plaisir de l’entendre. Elle ne vivait que pour ça après tout, pour l’attention qu’on lui portait lorsqu’elle était sur scène, pour les compliments qu’on lui faisait, les fantasmes qu’elle provoquait… Rien que d’y repenser aidait son moral à remonter. Enfin, ça et la compagnie de Griffin. Elle aimait vraiment les admirateurs plus que tout, surtout lorsqu’ils étaient riches… Avec un peu de chance, lui aussi voudrait l’engager pour une réception. Ce n’était pas le London Coliseum mais c’était déjà ça, et toujours mieux que ce qu’elle faisait dans ce cabaret…

« Daisy O’Malley. » dit elle d’une voix cristaline, en jouant distraitement avec une mèche de cheveux « Et je vous remercie ! C’est toujours agréable à entendre… Mais dites moi, Monsieur Lloyd, une raison particulière à votre venue ? »

Elle avait eu des meilleurs jours pour faire la conversation, mais tant pis. De toute façon, elle voulait qu’il l’embauche pour danser, pas pour coucher avec elle. Alors, la conversation bateau suffirait.

Pendant qu'elle répondait à ses présentations et le questionnait sur sa présence en ces lieux; ce qui était compréhensible étant donné, premièrement, son rang qui aurait du lui valoir d'être à cette heure en présence d'autres bourgeois à l'un de ces fameux "brunch" ou dans tous les cas entouré de personnes ayant plus de moyens et aucun autre souci que de savoir si leurs domestiques avaient épousseté l'argenterie, et secondement, le temps qui, on devait bien l'avouer pouvait donner de multiples envies tel qu'un bon thé bien chaud, mais certainement pas de sortir et encore moins dans ce genre de quartier miteux; il avait laissé son regard glacé se balader le long des pans de sa robe légère, bien trop légère pour le temps qu'il faisait d'ailleurs car même un londonien aurait trouvé cette météo détestable. D'ailleurs n'était-il pas entrain de se mettre à pleuvoir ? Bon dieu, le ciel lui même ne sait plus se tenir, songea Griffin en levant furtivement les yeux.

-J'avais quelques affaires à régler avec un ami de longue date ma chère, rien qui mérite qu'on s'y attarde, mais il m'a semblé reconnaître ce regard circonspect que vous aviez après votre représentation et je me suis dit qu'une jeune femme telle que vous n'aurait pas du se trouver seule dehors avec un air si soucieux sur le visage dans un quartier pareil.
Il avait dit cela tout en prenant la peine de déplier son grand parapluie noir et l’avançant légèrement vers la jeune femme afin qu'elle ne soit pas mouillée en plus du vent qui devait très probablement lui mordre la peau, il lui tendit également le bras afin de l'inviter à s'y accrocher.
-Je vous demande donc en retour la raison de votre présence ici et en ces circonstances et vous propose d'aller nous mettre à l'abris dans l'une des tavernes alentours. Certes, j'aurais aimé pouvoir vous proposer mieux, mais je crains que les nuages n'attendent pas que mon cocher ne revienne que pour se décider à laisser tout ce qu'ils contiennent nous tomber dessus...

Il avait ce regard de désir, de ceux qui signifient qu'on est prêt à tout pour avoir l'objet de notre convoitise, de ceux qui crient le danger en cas de déception, qui se font de plus en plus ardents à mesure que la victoire approche.

Il la voulait.
Plus encore, il voulait qu'elle elle le veuille, qu'elle aie ce même regard d'envie vis à vis de celui qui serait pour elle soit un cadeau, soit une malédiction; car il ne la lâcherait pas tant qu'il n'aurait pas ce qu'il attendait d'elle. Pas un jouet sexuel, il voulait une véritable groupie, prête à tout pour lui plaire; quelqu'un qui serait là pour lui rappeler à quel point lui même se trouvait séduisant et de bonne compagnie. Si elle résistait à ses avances, il lui ferait miroiter monts et merveilles, lui promettant de réaliser ses rêves les plus fous par pure "bonté d'âme", et n'hésiterait pas à passer au chantage si jamais elle ne cédait pas. De toute façon elle finirait pas l'aimer, que ce soit par choix ou par dépit, elles l'aimaient toujours.

Quel gentleman...

Le regard brillant de Daisy s'accrocha au grand parapluie noir soudainement déplié au dessus de sa tête. C'est vrais qu'il pleuvait... Elle ne l'avait pas réalisé de suite, totalement engourdie par le froid. Ou alors, elle en avait simplement l'habitude... Après tout, même dans son propre appartement il pleuvait. Alors, un petit peu plus ou un petit moins d'eau, ce n'était pas ce qui la perturbait. Mais, dans tout les cas, c'était assez galant de s'en préoccuper.

La danseuse n'avait pas l'habitude de ce genre d'attention, il fallait l'avouer. Même si, ces derniers temps, elles semblaient se multiplier. A ce rythme là, elle allait finir par croire qu'il y avait des hommes bien... Ahah. Bien sur... Non, elle n'en était clairement pas à ce point là. Elle ne se faisait que peu d'illusion sur ce qui motivaient la gente masculine... Ils voulaient toujours quelque choses. Rien n'était fait sans aucune idée derrière la tête...

Mais, il fallait avouer qu'elle était prête à leur donner ce qu'ils voulaient. Du moment que ça lui donnait ce qu'elle voulait aussi... Il faut ce qu'il faut, après tout. Et c'était ce qui lui permettait de tenir. Cette idée, qu'un jour elle aurait ce qu'elle voulait, lui permettait de s'abaisser à faire ce qu'elle faisait. Peut être qu'hier, elle s'allongeait sur le sofa de sa loge pour quelques pièces, et qu'aujourd'hui elle faisait son plus beau sourire à un inconnu dans l'espoir qu'il l'engage pour danser, ma...

Un jours, elle n'aurait plus besoin de ça. Un jour, elle serait célèbre. Elle serait prisée, admirée. Elle n'aurait besoin de personne, elle sélectionnerait les endroits et les soirs ou elle travaillerait ! Finit les chambres aux toits qui fuient, finit les robes trop légères pour le froid crispant de Londres, et bonjour la gloire, les fleurs, l'amour... Mais pas aujourd'hui.

Aujourd'hui, il fallait qu'elle se concentre sur ce que Griffin venait de lui dire, et qu'elle n'avait que distraitement écouté. Des affaires à régler dans le quartier, mh... Peut être pas aussi fréquentable qu'il en avait l'air, ce gentleman. Elle connaissait assez le quartier pour savoir de quoi il en retournait... Enfin, plus ou moins. Il y avait trois propositions, soit il venait voir une maîtresse à qui il laissait une bourse, soit il était venu chercher un assassin, ou de la drogue. Elle penchait plutôt pour la troisième solution...

Ou la première. Mais dans ce cas, ce serait il attardé à ce point avec elle ? Probablement pas, un homme satisfait ne s’embarrasse pas d'une autre femme, aussi jolie soit elle. Mais elle s'en fichait, c'était loin d'être son problème... Elle préférait nettement s'accrocher délicatement à son bras pour le suivre, peut importe ou il l'emmenait. Elle avait plusieurs heures devant elle, et n'importe où au chaud serait mieux qu'ici.

« C'est très inconvénients de leur part... » commença-t-elle avec un sourire. « Une taverne sera très bien. »

Elle hésita une seconde à éluder la question du pourquoi elle était ici... Elle songea avec un sourire cynique qu'annoncer de but en blanc qu'elle attendait simplement de pouvoir rentrer pour monter sur scène en espérant attirer un quelconque ivrogne qui pourrait payer n'était peut être pas la meilleure chose à faire. Loin de là. Mais, il y avait sûrement de meilleurs façon de dire ça... Elle réfléchit donc quelques secondes avant de parler.

« Je travaille ici. Je suis danseuse, et, malheureusement, pas que dans des grandes réceptions. Je connais donc plutôt bien le quartier... J'y vis, d'ailleurs. »

Elle continua de marcher à ses cotés avant de reprendre la parole.

« Vous, au contraire, vous ne vous fondez pas réellement dans le décor... N'avez vous pas peur de ce qu'on puisse penser, en vous voyant là, dans un tel quartier, au bras d'une jeune femme si peu vêtue ? Et sans chaperon, qui plus est. »

Daisy tourna la tête vers le jeune homme avec un sourire quelque peu ironique, pour juger sa réaction.

« Enfin... Nous savons vous et moi que, ce ne serait pas vous que l'on jugerait mal pour une tel chose. »

Parce que bien évidemment, tout le blâme est rejeté sur la femme. C'est elle qui commet une grave faute en se mettant dans une telle situation, pourquoi en serait il autrement ?