you're gonna go far, kid | Percy



 
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you're gonna go far, kid | Percy

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Fergus Lynch
Fergus Lynch

Âge : 36
Emploi : Fondeur
Informations : Orphelin déposé au seuil d'une institution quelques semaines après sa naissance ✘ Ignore tout de ses origines, et n'y accorde aucune importance ✘ Fraie dans le monde de la petite délinquence depuis sa plus tendre enfance ✘ Ancien chef d'une bande gosses aventureux, à présent dissolue ✘ Suite à ça, a passé plusieurs mois en maison de correction ✘ La mort d'un de ses meilleurs amis, atteint de syphilis, a suffi à le convaincre de ne pas s'approcher des prostituées, règle qu'il suit toujours ✘ A fondé la Tribu, gang des rues sévissant à Whitechapel, dont il connait les moindres recoins ✘ Participe régulièrement à des combats illégaux organisés dans des bars, desquels il tire un joli pactole, ainsi que quelques petites cicatrices sur tout le corps ✘ Amateur d'armes blanches, il se sépare rarement de son couteau de boucher, tout comme de son vieux chapeau melon ✘ Se moque bien des forces de police, avec lesquelles il n'hésiterait pas à en découdre ✘ Ne voue que mépris à l'aristocratie et aux autres parvenus, mais grâce aux paiements reçus en échange de l'aide de son gang, il recrute de plus en plus d'adeptes, et accroît l'influence de la Tribu : son ambitieux objectif n'est autre que de faire tomber sous sa coupe Whitechapel et Southwark, pour mieux leur donner un second souffle, ainsi qu'une capacité de réponse envers les injustices infligées par les strates plus aisées de la société.
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MessageSujet: you're gonna go far, kid | Percy you're gonna go far, kid | Percy Icon_minitimeVen 7 Avr - 11:52



You're gonna go far, kid

« We are all in the gutter, but some of us are looking at the stars. »

Whitechapel, 1891

Par une petite lucarne, ouverte dans le toit du grenier comme un petit œil perçant la masse immense d’un visage bien trop grand pour lui, l’on pouvait apercevoir un morceau de ciel, avec quelques étoiles. Oh, le point de vue n’avait rien de sensationnel, ni même de réellement particulier ; après tout, la Tribu n’avait fini de rendre l’endroit à peu près vivable que la veille, après des semaines à enchaîner, pour ceux ayant été en capacité de mettre la main à la pâte et déblayer les gravats, consolider la charpente, combler les brèches béantes ouvertes dans le modeste bâtiment par un incendie, l’usure du temps, et les ravages des intempéries s’étant succédées depuis que ces petites écuries dont l’étage rappelait, telle une bâtardise, une grange, avaient été laissées à l’abandon, comme bien d’autres constructions dans Whitechapel, faute de fonds, de bras volontaire ; d’espoir, tout simplement. De mémoire d’homme, du moins ceux qui, au sin du gang, avaient participé au projet, nul n’avait jamais vu qui que ce fût se présenter comme l’heureux propriétaire du tas de ruines tenant à peine debout, ce qui avait parfaitement arrangé le gang, pour qui la facilité rimait avec un gain de temps sur lequel cracher aurait été une bien belle erreur. Ce n’était pas qu’ils manquaient d’arguments, sous forme de menus pots-de-vin, ou de poings plus que décidés à assurer la pérennité de leur territoire, en fonction de qui ils auraient eu affaire, entre le marchand en faillite ou le bourgeois négligent, de toute façon sans doute trop effarouché pour encore oser s’aventurer aussi loin dans le cœur de ce que Londres avait de plus gangréné.

Fergus ne savait pas encore ce qu’ils feraient de ces deux étages de rien, étendues de parquet grossier pour l’heure aussi planes et désertes qu’une mer d’huile abandonnée par Eole et ses marmots. Un film de poussière avait commencé de s’y déposer paisiblement, comme pour clore les paupières de ce grand malade à présent en convalescence, et bien des possibilités s’offraient à Lynch, quant aux sites à donner pour que leur nouvelle antre, pour le moment à la fois modeste en surface et en contenu, se retrouve valorisée au maximum de ce qu’elle se trouvait en mesure d’offrir. Les autres étaient redescendus, où les anciennes stalles donnaient directement sur la rue, rassemblés autour d’un brasero de fortune autour duquel se féliciter du travail abattu en secret, après d’éreintantes journées aux accents d’éternité passées à trimer à l’usine, après lesquelles rassembler de-ci de-là de quoi restaurer de bric et de broc l’édifice s’était fait à la seule force de la volonté ; Fergus, pour sa part, avait été séduit par le silence flottant sous les combles. Seule une caisse de bois constituait l’unique mobilier, sur laquelle il s’était installé, un coude appuyé sur le pourtour de la fenêtre, sa jambe droite repliée contre lui, talon apposé fermement sur le bois de son siège de fortune. Sa position pouvait sembler inconfortable, difficile à tenir bien longtemps, mais dès que son regard avait été happé par la portion de voute céleste, il s’était abîmé dans une tranquille contemplation, fort de la paisible satisfaction des hommes ayant mené à bien une tâche pénible quoi que nécessaire.

Il semblait certain que l’étage serait réservé à la Tribu, et à ses activités répréhensibles. Installer un tripot juste sous le toit ne paraissait pas dénué de sens, au contraire, à l’inverse d’une fumerie d’opium clandestine, lieu de perdition destiné aux caves, afin que la voluptueuse fumée tant désirée par les clients stagne dans la pièce, et finisse de les empoisonner. Dans un grenier, autant dire que les pertes du précieux et volatile nectar seraient aussi coûteuses qu’horriblement repérables… En faire une salle de réunion, où accueillir autant de membres du gang que possible, notamment pour les réunions extraordinaires au cours desquelles juger un de leurs pairs pour manquement grave à leur code, ou décider d’une action d’envergure, séduisait également Lynch. Dans tous les cas, pour sûr, il serait de bon ton de maquiller le rez-de-chaussée de façon à donner une allure tout ce qu’il y avait de plus légal et de plus inoffensif à leur bastion, à l’aide de frêle cloisons censées délimiter une ou deux modestes boutiques, ou bien d’étroits taudis où loger une poignée de la faune locale, tout en les séparant de l’extérieur, riches en curieux. Bien évidemment, les commerçants ou les familles servant de paravent à la Tribu ignoreraient tout ou en partie des complots ayant cours au-dessus de leurs têtes… Ils garderaient l’escalier, en quelque sorte, et pour ainsi dire, Fergus aiderait son quartier à s’améliorer, oh, juste un peu, tout en le pervertissant un brin par ailleurs, certes, mais au nom d’une cause tellement plus grande que lui ou ses sbires. L’ironie lui aurait presque tiré un sourire… D’autant plus que toute la bâtisse, en un sens, faisait figure de métaphore : depuis son faîte, l’on avait la chance d’apercevoir une échappatoire, un modeste morceau de beauté presque volé depuis le plus souillé des royaumes des hommes, lointain et froid, superbe et attirant, emblème de tous les rêveurs ainsi que de tous les ambitieux. Après tout, un type dont l’Anglais ne parvenait à se rappeler le nom, et qui visiblement en avait entre les deux oreilles, n’avait-il pas dit qu’en visant la lune, en cas d’échec, l’on atteignait quand même les étoiles ? Les aspirations de tous les mortels, le gangster y compris, ressemblaient aux astres nocturnes, à la fois proches et insaisissables, amicales sans pour autant vous faciliter la tâche ; sans compter que, au propre comme au figuré, vous vous teniez sur une base si fragile. Cette baraque avait déjà brûlé, preuve s’il en était qu’une telle chose se trouvait possible… Et pouvait donc se reproduire, par malchance –une bougie malheureusement renversée- ou par acte de malveillance –le bon vieux sabotage entre bandes rivales. Parmi les cendres se noyaient alors vos beaux projets, votre sensation de sécurité et de puissance, le misérable carré de cieux que vous aviez cru pendant un temps avoir la chance de contempler à l’envi jusqu’à la fin de vos jours. Rien ne tenait vraiment à grand-chose, en fin de compte.

Laissé rêveur par les errances de son propre esprit, Fergus revint à la réalité au son émis par les marches, craquement annonçant l’arrivée d’une tignasse rousse bien connue.

-Oh, salut Percy,
l’accueillit Lynch avec un sourire sincère. Tout va comme tu veux ? Tu sais où tu dors, ce soir ?

La question s’avérait presque rhétorique, car il savait le jeune homme bien organisé, parfaitement capable de se gérer seul, sans ingérence paternaliste ; le Britannique aspirait simplement à s’enquérir si tout allait bien de son côté, ce qui était tout de même la moindre des choses, lorsque l’on veillait sur une personne en une situation aussi précaire que celle de son interlocuteur. Des mauvaises langues auraient été tentées de prêcher la zizanie, et arguer que cela arrangeait bien les affaires du criminel, de connaître –de gérer, même, en quelque sorte- les allées et venues de son si utile nouveau pensionnaire… C’était cependant à ne pas s’y tromper : la Tribu ne liait pas ses membres que par des intérêts communs à la nature vénale, n’en déplaise aux plus favorisés, amateurs de manichéisme lorsqu’il était question des brigands des bas-fonds. Des hypocrites profiteurs, il y en avait, tout comme de solides liens fraternels, et jusqu’à preuve du contraire, Fergus avait pris sous son aile le jeune Mortimer, dans un but précis, dont tous deux partageaient la poursuite de concert, ce qui n’empêchait nullement leur amitié de se construire. Bien évidemment, une place attendait toujours le nouveau venu dans le modeste logis de Lynch, quoi qui ait été prévu concernant ses interminables pérégrinations entre les différents foyers de ses camarades, et cela, ça se savait, ça se voyait, ça réchauffait le cœur. Tout, en ce bas monde, n’était pas destiné à finir en cendres.




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Offspring - You're Gonna Go Far, Kid
Oscar Wilde, Lord Darlington, Act III.

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MessageSujet: Re: you're gonna go far, kid | Percy you're gonna go far, kid | Percy Icon_minitimeLun 10 Avr - 15:13



You’re gonna go far, kid

« Maison abandonnée de Whitechapel »

Janvier 1891

- Mais…mais…je risque…Enfin, tu n’as pas…peur que je…que je la casse ?

Décontenancé par la confiance qu’on lui accordait, Percy s’égarait en balbutiements, tripotant négligemment un pan de sa chemise de ses doigts malhabiles. Lorsque son regard se riva sur l’objet de cuivre rouillé et sans valeur, sa poitrine semblait vouloir exploser d’un sentiment nouveau, qui, telle une vague déferlante, engloutissait le peu de maîtrise qu’avait Percy sur ses émotions. Son cœur paraissait comme à l’étroit au creux de cette âme qui découvrait l’amour comme une renaissance. Au moindre témoignage d’affection, même le plus anodin, ce cœur tout neuf, jadis mort, exultait du bonheur d’être aimé. Saul était le père dont Percy avait toujours rêvé, et cette évidence se confirma lorsqu’il répondit à son anxieuse question :

- Mais non, ne sois pas bête. Je suis sûr que tu vas en prendre soin. Allez, files, ou tu vas faire attendre Fergus. Ce que je t’ai montré n’aura servi à rien si tu arrives en retard.

A peine avait-il fermé la bouche que l’homme gigantesque s’attelait à accrocher la chaîne de la montre à gousset à la ceinture de Percy, fourrant l’objet dans la poche de son pantalon. Les yeux du jeune garçon s’embuèrent de larmes lorsqu’ils se levèrent vers le visage rayonnant de Saul. Un sourire paternel était accroché à ses lèvres, quelque peu dissimulé derrière sa barbe hirsute. Percy baissa la tête pour détourner l’attention de ses larmes dont il avait un peu honte, et fourra la main dans sa poche pour mieux regarder l’objet. La montre était sans âge et abîmée, les gravures l’ornant jadis ayant presque toutes disparues, ne laissant gravées dans le cuivre que de vagues lignes informes et dénuées de sens. Ces détails n’avaient pourtant pas la moindre espèce d’importance. Car de la valeur, cette montre en avait pour Saul. Il la tenait de son père et la conservait comme une relique. Percy le savait et c’était cette valeur sentimentale, familiale, qui rendait le geste de Saul si bouleversant à ses yeux.

Car Percy ne savait pas lire l’heure. Cette méconnaissance, alliée à ses faibles capacités de concentration et à sa propension à la distraction, en faisait quelqu’un de très peu ponctuel. Il n’aimait pas être en retard, et il aimait encore moins faire attendre Fergus. L’affection qui le liait au chef de la Tribu frisait l’idolâtrie. A la simple évocation de grand frère de cœur patientant à l’arrivée du Mortimer étourdi, Percy ressentait un vague malaise, oscillant entre honte et ingratitude. Alors Saul avait tenté de lui enseigner la lecture des cadrans horaires. Il avait fallu déployer des trésors de patience à ce père de substitution pour ne pas secouer par les épaules le jeune garçon et ses médiocres capacités de concentration qui avaient de quoi faire sombrer dans la folie le meilleur des pédagogues. Après une heure à arracher sa tignasse brune et emmêlée, Saul avait fini par lui demander à quelle heure il avait rendez-vous avec Fergus, et lui avait montré dans quelle position devaient se trouver la petite et la grande aiguille afin qu’il soit à neuf heures dans la bâtisse abandonnée qui tenait lieu de point de chute pour leur entrevue.

Percy déambulait donc dans les ruelles de Whitechapel, sa main droite recroquevillée sur l’unique objet qu’en sa malheureuse existence on avait osé lui confier. Le contact glacé du cuivre le rassérénait, comme un talisman, sur l’amour que lui portaient certains membres de la Tribu, et sur la confiance qu’il pouvait leur accorder. Fergus, Saul, Elizabeth ; le naïf Percy les savait sincères, et son cœur lui donnait l’intuition qu’il ne se trompait pas. Il l’aimait cette famille véritable, ceux qui avaient fait pour lui plus que le clan Mortimer en tant d’années et il se promettait de leur rendre au centuple les bontés dont il gratifiait l’ancien petit canard devenu membre à part entière de ce gang naissant aux débuts prometteurs.

Percy se rattrapa de la main gauche à un mur ; comme à son habitude, les yeux dans le vague et la tête dans les nuages, la main toujours serrée sur la montre de Saul, ses pieds s’étaient empêtrés dans les pavés miteux de Whitechapel. Ces ruelles sombres, à peine éclairées par la lueur vespérale, n’étaient pas pour secourir Percy et ses habituelles pertes d’équilibre. Ayant eu peur du devenir de la montre en cas de chute, qui était sienne pour un soir, il se concentra de toutes ses forces pour regarder devant lui et pour ne pas laisser son esprit divaguer.

Il savait très bien où il devait se rendre. Il avait aidé du mieux qu’il l’avait pu les membres de la Tribu à la réfection de ce local désaffecté, s’occupant des menues tâches qui ne nécessitaient ni trop de technique, ni une force physique démesurée. Car Percy était un garçon chétif, et sa corpulence n’en faisait guère un argument de poids lorsque la Tribu devait faire preuve d’intimidation. Il tentait donc d’aider par tous les moyens, mais il savait ses limites vite franchies. Personne, jamais, ne lui avait reproché son inutilité, tout le monde l’acceptait et cela lui suffisait pour être heureux au sein de ce groupe. Il savait aussi que les informations qu’il avait dévoilé sans pudeur aucune étaient extrêmement précieuses à la Tribu. Fergus aurait pu se débarrasser du traître à son clan d’origine une fois les secrets des Mortimer soutirés, mais il n’en fut rien. Percy osait croire que Fergus l’aimait un peu, et le lui rendait bien. Une indéfectible loyauté et une admiration sans bornes le liait au chef de clan qui, à défaut d’un bagarreur musclé ou d’un stratège hors pair, pouvait trouver en Percy un comparse incorruptible à l’amitié sans faille.

A la chétive lueur de la lune, Percy regarda la montre de Saul. Son cœur bondit lorsqu’il vit que la grande aiguille avait déjà légèrement dépassé le grand chiffre tout en haut du cadran. Il s’était encore égaré dans ses pensées brumeuses, jusqu’à en oublier le temps, et Fergus qui l’attendait. Mort de honte, il rangea précautionneusement le bijou dans sa poche, le serrant toujours étroitement de ses doigts, et pressa le pas.

Lorsque les contours de l’édifice délabré se dessinèrent dans la pénombre, Percy reprit son souffle, rendu court par la hâte. Cette rapidité aura au moins eu le mérite de réchauffer ses membres gelés par l’hiver londonien en ce mois de janvier. Réchauffé, il ôta son écharpe de grosse laine, d’excellente qualité parce qu’elle avait appartenu à un de ses frères, et qu’il avait dérobée avant de s’enfuir de cet infect clan qui lui avait trop longtemps servi de famille. Si ces petits larcins avaient été marqués par la nécessité, car Percy a longtemps vagabondé dans la rue avant d’être recueilli par Fergus et sa tribu, il fallait avouer qu’il y’avait là un désir de vengeance plutôt mesquin de sa part. Il avait voulu emporter un objet auquel chaque personne qui lui avait fait du mal tenait. A sa sœur aînée ce pendentif en bois qu’elle chérissait tant, seul vestige de son unique amour déçu, à sa belle-mère le petit plaid qui avait réchauffé son premier-né, son enfant préféré. Il avait pris un sombre plaisir en espérant blesser les odieux membres de sa famille de sang par ces petits vols sans importance, mais qui, peut-être, occasionneraient une fissure, aussi légère soit-elle, dans leurs cœurs de pierre.

Percy était décidément indécrottable. Il divaguait de nouveau. Tentant de remettre ses idées en place, il n’osa pas jeter un nouveau d’œil à la montre, de peur d’être affolé par l’avancée de la grande aiguille. La porte grinça lorsqu’il la poussa du plat de la main, et il entreprit de monter les escaliers poussiéreux, rendus difficiles d’accès par la pénombre qui régnait dans la maison laissée à l’abandon. Les marches de bois craquèrent sous le pas maladroit de Percy, qui se tenait à la rampe tout en essayant de se hâter. Lorsqu’enfin sa chevelure rousse apparut au second étage, il vit d’emblée le visage de Fergus qui lui souriait d’un air détendu. Il était négligemment accoudé à la fenêtre, un pied étendu contre une caisse de bois. Cette posture un peu hasardeuse, qui aurait rendu ridicule le commun des mortels, seyait étrangement bien au chef de clan, lui conférant un air distrait et au-delà des préoccupations de ce bas-monde.

- Oh, salut Percy. Tout va comme tu veux ? Tu sais où tu dors, ce soir ?

Le ton de la voix était aussi tranquille que la posture de Fergus. Visiblement il n’était pas fâché que Percy soit en retard. Ou peut-être était-il habitué. Mais il était clair que le seuil de tolérance dont bénéficiait le jeune garçon n’était applicable qu’à lui seul. Ce qu’il aurait pris chez les autres pour de la provocation, voire de la rébellion, il paraissait l’accepter chez Percy, car il savait qu’il ne le faisait pas exprès, et qu’aucune compétition sordide ne viendrait entacher leurs liens fraternels et amicaux. Mais Percy, gêné malgré tout, sentait une chaleur bien coutumière lui monter aux joues, tandis que ses yeux se rivaient sur le sol de bois maculé de poussière. Le jeune homme ne bégayait presque plus en présence de Fergus en qui il avait une confiance totale. Toutefois ce fléau revenait au grand galop lorsque Percy se sentait honteux :

- Bon…bonjour Fergus…Ca..ça va oui, mais..je suis en retard. Pa…pardon.

Le visage serein de son ami, son sourire tranquille, aidèrent Percy à reprendre ses esprits, et il répondit à sa question d’une voix plus calme, et moins entrecoupée.

- Je…je vais dormir chez Saul encore un soir. Il…il m’a dit oui. Et regardes ce qu’il m’a prêté !!


C’est l’enthousiasme qui lui avait fait oublier sa honte, et qui lui avait permis d’énoncer cette dernière exclamation sans aucun balbutiement. La confiance qu’il avait en Fergus avait la capacité de lui redonner ses moyens à une vitesse vertigineuse. Au moment où il achevait sa phrase, il brandissait avec fierté sa montre de cuivre, qui lui glissa entre les doigts. Elle aurait chu sur le sol si la chaine qui était fixée à la montre n’avait pas été accrochée au préalable à la ceinture de Percy. Devenu cramoisi une fois de plus, le jeune garçon agrippa la montre, le cœur affolé par la maladresse irrécupérable qu’il venait d’éviter, et chamboulé, il regarda Fergus d’un œil malheureux :

- Je…j’avais dit…pourtant…à Saul…pas possible de me faire confiance…Je…je casse tout.

Ce disant, le visage baissé par la honte, Percy, tout penaud, plia les genoux et s’agenouilla, car au moins, si l’objet devait tomber, ce serait de moins haut.

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MessageSujet: Re: you're gonna go far, kid | Percy you're gonna go far, kid | Percy Icon_minitimeMer 3 Mai - 19:08



You're gonna go far, kid

«  Pick up your head, so let the weak ones line up. »

Whitechapel, 1891

Beaucoup de monde s’était demandé ce qui avait bien pu passer par la tête de Fergus, lorsqu’il avait ouvert les bras -ou plus exactement les bras de la Tribu- au fils Mortimer. Au départ, peu de monde avait été mis au courant, le temps de définir comment assurer pleinement la sécurité du nouveau venu, et donc le secret entourant ses déplacements, activités et autres lieux de vie, mais la réaction générale avait été plutôt unanime, entre la surprise et le rejet protectionniste. Lynch les avait écoutées, ces quelques voix proches de lui en qui il avait confiance, ces hommes mis dans la confidence des grands projets que leur chef nourrissait pour eux tous, ces conseillers que le gangster respectait, sans pour autant ne pas se permettre de ne pas prêter l’oreille à leurs mises en garde inquiètes ; son premier instinct l’avait emporté sans l’ombre d’une hésitation, selon une règle perdant autant ses affidés dans l’imprévisibilité de son application que dans l’aspect bien souvent insensé des décisions tranchées sous sa coupe. Personne ne savait jamais trop ce que choisirait de faire le Londonien, même Saul Berensohn en perdait parfois son latin alors qu’il était sans conteste l’allié le plus fidèle et le plus investi de Fergus, et cette fois-ci, ça n’avait pas raté, une rangée de regards ahuris avait salué l’entrée dans leur groupe de Percy Mortimer, rejeton d’un de leurs opposants majeurs, si ce n’était futur ennemi de poids, dans le cas d’une guerre ouverte. Comme toujours, le criminel avait senti ses troupes céder à la confusion ; comme toujours, il avait arboré le petit sourire amusé qui lui allait si bien, propre à ceux qui ont constamment deux coups d’avance sur le reste du monde, et qui trouvent ma foi fort drôle de troubler autrui par de telles prises de risques, qui à long terme se révélaient visionnaires.

Il avait donc le jeune Percy pris sous son égide, se fichant avec superbe du sang qui coulait dans ses veines, ou des a priori que son nom de famille ne manquerait pas de susciter. Bien évidemment, que l’accueillir parmi eux ferait apparaître -voire même tomber- une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, et que les secrets qu’il pourrait bien leur répéter amèneraient tôt ou tard à entériner l’opposition entre les deux groupuscules, peut-être sans qu’éviter de faire couler le sang ne soit possible ; croire Lynch inconscient d’une telle réalité, voire pire, prenant celle-ci par-dessus la jambe, aurait été une belle bêtise. La peur, dans les yeux de ses frères de lutte, il la voyait parfaitement, la sentait presque palpiter à travers eux, par vague, à la manière d’un relent glacé. Pour sa part, cela faisait longtemps qu’il n’avait plus peur, qu’il n’avait même plus le droit d’avoir peur, à présent que de plus en plus d’hommes et de femmes le rejoignaient, aussi avides que lui de renverser les rapports de force écrasant le petit peuple depuis trop longtemps. S’autoriser à craindre le pire, en se laissant ronger par mille et une hypothèses catastrophistes, c’était la voie assurée vers l’échec, et vers les atrocités hantant justement votre imagination. À trop regarder vos pieds, tremblant à l’idée de marcher sur la queue d’un serpent, vous finissiez par trébucher ; non, définitivement, pour aller loin, il paraissait impératif de regarder loin, de tenter ce qui à l’instant présent paraissait déraisonnable, mais qui à long terme avaient de fortes chances de se révéler plus que bénéfique. En changeant de point de vue, Percy passait de l’état de bombe à retardement à celui d’investissement plus que capable de leur servir le gang des docks sur un plateau. Ses sbires ne l’avaient pas encore compris, mais cela viendrait avec le temps, et notamment les premières petites victoires que le savoir du jeune homme leur permettrait d’arracher au clan Mortimer, prémisses d’un anéantissement total qui ne tarderait pas à suivre. Après tout, s’ils avaient été capables de prévoir la suite des évènements pour la Tribu avec autant d’acuité, ils n’auraient pas eu besoin de chef pour les guider et les forcer à ravaler le flux d’angoisse leur nouant la gorge à chaque avancée, même minime ; malgré leurs imperfections criantes, Fergus les aimaient, ces grands dadais aussi fébriles que des chatons s’aventurant loin de leur mère, dès qu’il s’agissait de viser la lune.

Alors oui, sans doute possible, avoir Mortimer avec eux représentait un avantage de poids, en plus d’une bonne compagnie, le rouquin en question n’était pas bégueule pour un sou, bien qu’il n’ait pas obtenu, dès son arrivée à la Tribu, une place de haut rang parmi ses membres, et qu’une part non négligeable de ces derniers ne considéraient pas encore vraiment sa venue d’un bon œil. Le gamin avait de la bonne volonté, une rage intérieure que Lynch avait su lire en lui, comme si sa propre flamme destructrice était entrée en résonnance avec la sienne, frères d’armes dans une guerre contre l’acceptation des chaînes invisibles que d’autres voulaient leur imposer, et cela avait grandement aidé la confiance à s’installer entre eux, Malgré cela… Eh bien, pour le dire en peu de mots, Percy restait Percy.

Sourcils légèrement haussés, à la manière d’un spectateur ayant droit à une représentation aussi inédite qu’improvisée, il suivit sans mot dire le petit drame dans lequel son visiteur se retrouva plongé, reconnaissant bin au passage la montre de Saul. La détresse de son hôte aurait pu paraître friser le ridicule pour tout autre que lui, au point peut-être même de faire naître une certaine irritation ainsi qu’un désir mordant de lui demander séance tenante d’arrêter de se montrer aussi mélodramatique pour une telle broutille, mais le Britannique gardait à l’esprit que c’était de Percy dont il était question, ce qui changeait tout de même sérieusement la donne en matière de ce qui devenait acceptable ou non. En plus des allées et venues de leur informateur de premier ordre, qu’il s’avérait vital d’encadrer sans pour autant en venir à le séquestrer dans un placard afin d’être bien sûr que rien ne lui arriverait, il fallait également composer avec l’hyper-sensibilité du jeune homme, une tâche grand-frère ou d’ami qui revenait à Fergus, et que ce dernier assurait de bonne volonté.

Sourire ici, même avec une certaine tendresse, aurait pu être mal perçu, marque en apparence d’amical mépris que le malheureux ne méritait pas, et qui de toute façon ne figurait pas dans les habitudes du brigand. Il se contenta donc de tranquillement se lever de son précaire poste de vigie pour s’approcher de son protégé, prostré à ses pieds comme l’avait été Vercingétorix devant César triomphant à Alésia. De toute sa hauteur, Lynch le surplombait, son sourire né de l’enthousiasme de Percy à présent dissolu dans une expression neutre, et un juge n’aurait pas eu en soi une attitude si différente que la sienne, face à un pénitent devant en théorie payer pour ses fautes avant de recevoir l’absolution. La fine stature du jeune homme n’en paraissait que plus frêle, jetée en pâture au jugement d’un aîné dont nul n’ignorait les accès d’intransigeance, ni la rudesse avec laquelle il n’hésitait pas à traiter celles et ceux ayant mérité qu’on leur souffle dans les bronches.

Malgré ce que ce tableau anxiogène laissait présager, Fergus était et demeurait un homme désireux de n’employer qu’une cruauté juste, si un tel oxymore pût concrètement exister, car il demeurait convaincu d’avoir fait le bon choix en accueillant Mortimer, et qu’avoir à gérer ses élans d’émotivité ne constituait qu’un bien maigre moindre mal en comparaison de tout ce que le gamin avait à offrir, en tant que membre de la Tribu et en tant qu’ami.

Après l’avoir dominé quelques secondes de sa haute taille, l’ouvrier s’accroupit souplement devant lui, comme l’aurait fait un parent sur le point de donner une leçon de vie à un enfant en détresse morale :

-Hé…

De la main droite, il lui releva doucement le menton, afin que son regard rencontre le sien, iris bleus-gris à la paisible assurance, sentiment que distillait également les commissures de ses lèvres légèrement relevées comme pour lui dire que tout allait bien, qu’il n’y avait pas de raison de s’en faire.

-Si tu étais aussi catastrophique que ce que tu crois, tu n’aurais pas attaché la montre à ta ceinture, et elle serait en miettes. Tu vois que tu en as, là-dedans, et de l’index avec lequel il lui avait fait redresser le nez, Fergus lui tapota gentiment la tempe.

Son sourire s’appuya un peu plus, pour ne souligner que mieux leur connivence n’ayant en rien pâti de ce petit interlude, et marquer le passage à des sujets bien plus truculents que l’encensement de Saul, sage parmi les sages, qui ne s’était pas trompé en confiant un bien précieux à son hôte temporaire.

-Allez debout, on a du pain sur la planche, annonça Lynch en se remettant sur ses pieds avant de lui donner le dos, ses yeux balayant le grenier comme pour en évaluer le potentiel une nouvelle fois. Regarde-moi un peu toute cette place… Il y a de quoi faire.

Il tendit les bras devant lui, pouces et index formant des angles droits, à la manière des visionnaires visualisant dans leur esprit un bâtiment, un navire, une bataille ou une œuvre d’art avec une telle acuité que l’objet de leurs audacieuses aspirations en devenait presque réel, quoi qu’encore invisible.

-Comment utiliserais-tu un pareil endroit, dis-moi ? Qu’installerais-tu sur chacun de ses niveaux ?

Son ton était enjoué, entreprenant : sa foi en leur avenir commun, indéniable, lui donnait le pouvoir de tout rendre passionnant, même un thème aussi trivial que l’occupation de l’espace dans leur nouvelle grange. Du rang de simple recrue à celui de lieutenant le plus proche, le Britannique aurait posé la même question, exactement de la même manière, sans faire de distinction d’importance entre les êtres ayant choisi d’attacher leurs destins au sien. Chacun avait droit de parole… Et Percy avait également son mot à dire, ce qui finissait d’anéantir toute chance que son modèle, comme il le craignait, le trouve profondément inutile. Non pas parce qu’il était fils de chef de gang, mais parce qu’il avait les capacités de formuler un avis intéressant à examiner -et peut-être un peu aussi parce qu’il était le seul présent à ce moment-là avec lui, pour partager ses rêves grandioses-, le rouquin avait droit de parole, et plus que tout droit de rêver tout haut, car il n’y avait que comme ça que les projets d’envergure naissaient, puis prenaient racine jusqu’à être réalisés et marquer leur siècle : par, simplement, deux rêveurs n’ayant pas froid aux yeux, et ne s’interdisant aucune forme de démesure pour discuter de comment remodeler le monde, un pas après l’autre.




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MessageSujet: Re: you're gonna go far, kid | Percy you're gonna go far, kid | Percy Icon_minitimeMer 10 Mai - 13:18



You’re gonna go far, kid

« Maison abandonnée de Whitechapel »

Janvier 1891


Mortifié par la bévue monumentale qu’il venait d’éviter de peu, Percy, honteux, ne levait pas les yeux du sol, semblant soudain particulièrement préoccupé par les traces de ses pas esquissés dans la poussière. Ses doigts étaient si fermement crispés sur l’antique montre rescapée de sa maladresse que les jointures commençaient à blanchir. Ses joues en revanche ne pouvaient être plus rouges ; elles enflammaient son visage, sensation de chaleur hautement désagréable  qui, hélas, était coutumière chez le jeune bâtard Mortimer. Ses jambes pliées tremblaient d’avoir à supporter le poids pourtant frêle de son corps, mais Percy n’osait pas quitter cette désagréable posture, intimidé par les regards que pourrait lui lancer Fergus. Le jeune roux ne se sentait pas capable d’affronter la désapprobation, la colère ou même le mépris de son bienfaiteur adulé. Cet effroi candide de la déception, cette frayeur puérile de l’abandon, faisait pourtant offense au chef de gang qui était pleinement conscient de la nature fragile et hypersensible de Percy lorsqu’il le prit sous son aile. Et Fergus n’était pas homme à se défaire de ses responsabilités. Mais son cadet, jadis mal-aimé d’une tribu toute entière, la confiance en soi piétinée et réduite en miettes, ne l’avait pas encore compris.

Aussi ses yeux ne se levèrent toujours pas lorsqu’il entendit la caisse de bois qui supportait l’instant d’avant la jambe de son mentor racler le plancher. Les battements de son cœur même s’intensifièrent lorsqu’il vit les souliers noirs s’approcher de lui à pas lents. Sans même lever le regard, Percy pouvait deviner la haute stature du chef de clan qui le toisait. Figé, statue de cire attendant avec résignation la réaction fatidique de celui qui avait le pouvoir de détruire son petit monde d’une simple parole, le jeune homme sentait la chaleur de ses joues l’abandonner, remplacée par une pâleur craintive.

L’attente paraissait intolérable à Percy. Fergus avait-il conscience que dominer ainsi son cadet de toute sa taille et de son silence le torturait ? Il ne s’était pourtant déroulé qu’un instant très bref, mais il semblait interminable au dernier des Mortimer qui se demandait quel sort lui réservait son mentor. Lorsqu’il vit les longues jambes vêtues de noir se plier, il ne fut toujours pas soulagé. Il le serait lorsqu’enfin, Fergus sortirait de son mutisme. Une des mains de l’ouvrier lui fit soudain redresser le menton, forçant son regard à croiser le sien. La teinte d’acier froid de ses prunelles n’était pas pour réconforter Percy. La couleur des yeux du fondeur avait tendance à varier en fonction de ses humeurs, et le jeune homme ne semblait pas voir un bon présage en ce regard gris, qui était, après tout, peut-être tout simplement dû à la sombre lueur vespérale. Contraint de soutenir ce regard qui l’intimidait plus que de raison, le pauvre cadet lui jeta une œillade implorante, que complétait son visage ravagé par la désolation.

- Si tu étais aussi catastrophique que ce que tu crois, tu n’aurais pas attaché la montre à ta ceinture, et elle serait en miettes. Tu vois que tu en as, là-dedans.

Joignant le geste à la parole, le doigt fin du chef de clan martela doucement la tempe de son protégé, tandis que ses lèvres s’étiraient en un sourire rassurant. Le cœur de Percy se remettait doucement de son affolement, tandis qu’une vague d’émotions contraires déferlaient en lui, avec leur violence habituelle due au peu de maîtrise qu’il avait sur elle. Le soulagement lui fit pousser un profond soupir ; car ce qui pouvait paraître banal chez le commun des mortels tournait à la catastrophe chez le fatidique jeune homme, qui s’attendait, à la plus insignifiante bévue, à être rejeté à la rue, abandonné car indigne de confiance, mal-aimé de nouveau, tant il avait cru qu’ainsi serait son destin. Il eut honte aussi. De s’être imaginé un scénario dramatique pour ce qui paraissait une broutille aux yeux du chef de clan. Honte surtout d’avoir douté de la bonté et du sens de la justice de Fergus ; Percy aurait dû savoir que jamais il ne s’abaisserait au sadisme cruel de l’humilier pour une hypersensibilité et une maladresse qu’il ne contrôlait pas. Reconnaissant enfin, car, dans le sourire de son aîné, il pouvait voir l’assurance que leurs relations demeuraient inchangées.

Etranglé par ces sentiments divers, Percy ne dit mot, mais leva vers Fergus un regard d’azur étincelant de gratitude, ses lèvres s’étirant en un léger sourire encore timide. L’aîné se leva soudain, intimant au Mortimer d’en faire autant. Il se redressa vivement sur ses jambes, qui vacillèrent quelque peu, fragilisées par la position désagréable qu’elles avaient tenu un long moment. Il leva la tête vers l’ouvrier qui exécutait un mouvement large de ses bras, comme pour encadrer la pièce nue et temporairement inutilisée de ses doigts qui formaient un angle droit. Il lui demandait son avis concernant les possibilités infinies d’utilisation d’un tel espace au profit de la Tribu. Il lui demandait son avis. Percy se sentit soudain perdu. Son avis ne comptait pas, et il n’était guère habitué à être sollicité. De plus, il savait les idées de Fergus bien meilleures, plus réfléchies, plus intelligentes, plus stratèges. A quoi bon perdre son temps à écouter les piètres réflexions  d’un simplet tel que lui, qui, déjà, avait du mal à garder intact un bien qu’on lui confiait.

En repensant à la montre, il s’aperçut soudain qu’elle était toujours étroitement nichée dans le creux de sa main. Avec une précaution extrême, il la rangea dans la poche de son pantalon usé, tapotant doucement à travers le tissu afin de s’assurer qu’elle avait atteint le fond sans dommage, et qu’elle s’y trouvait en sécurité. Puis, il se concentra de toutes ses forces. Le jeune homme n’avait aucune imagination. Il ne parvenait pas à visualiser un lieu concret et utile en partant d’une maison délabrée et poussiéreuse. Il ne voulait pas décevoir Fergus ; un silence confirmerait son inutilité, tandis que l’évocation d’une idée stupide le rendrait plus ridicule encore. Un peu déboussolé par la confiance que son aîné lui témoignait, il fixait chaque recoin de l’étage d’un air hagard, plissant les yeux avec force pour tenter de se concentrer. Que manquait-il à la Tribu pour s’affirmer ? Pouvoir, influence argent ? Lorsqu’il résidait au sein de sa famille de sang, Percy voyait son père les obtenir, craint, riche, et respecté, mais jamais il n’avait songé à mettre l’idiot du clan dans la confidence de ses secrets de malfrat, encore moins à la demander son avis sur la gestion du gang. Aussi le jeune Mortimer, rejeton du plus important clan Londonien, ne connaissait quasiment rien aux affaires.

Il entendait parfois parler de cabarets, de maisons de jeux, de bordels appartenant au patriarche Mortimer. Il ne s’agissait que de bribes de conversations saisies au vol, Percy n’ayant jamais été invité à y mettre les pieds. Il était impensable pour ce père fantôme, qui ne l’avait pas fait souffrir directement mais qui lui témoignait une froide indifférence, que son vilain petit canard de fils raté reprenne les rênes un jour. Il n’allait donc pas s’épuiser à lui expliquer quoique ce soit en relation avec ses affaires illicites. Aucune autre idée ne vint poindre dans cette tête brumeuse, aussi Percy décida-t-il de ne pas faire attendre Fergus plus longtemps et lui répondit rapidement, comme si il était essoufflé :

- Mon…mon...père. Il…il avait des…maisons de jeux. Je crois…que ça rapportait…beaucoup…beaucoup d’argent. Des maisons…de passe…aussi.

Percy rougit terriblement à l’évocation du lieu de stupre qu’il venait d’évoquer. Il se rappela soudain sa dernière entrevue avec Indianna, ainsi que le malaise profond qu’il s’était efforcé de surmonter pour rencontrer sa tendre amie dans la maison de Miss Bolton, au sein de laquelle elle résidait. Bien vite réfugié dans sa chambre, sans avoir croisé une seule de ces filles de joie qui l’effrayait quelque peu, son angoisse s’était bien vite atténuée. Il ne s’expliquait pas ce mal-être pudibond et candide envers ces lieux de débauche qui semblaient ravir la majorité des hommes. Il sourit d’un air un peu niais en pensant à la jolie jeune fille rousse qui lui faisait l’insigne honneur d’être son amie. Sa douce compagnie le rendait fier, heureux, et chaque jour un peu plus sûr de lui.

La douce accalmie provoquée par la pensée d’Indianna fut de courte durée. En fouillant au fond de sa peu fiable mémoire, Percy ne se souvenait pas avoir évoqué son père devant Fergus, hormis pour lui révéler des informations qui serviraient à sa déchéance. Il regretta soudain ses mots, effrayé de la réaction que pourrait avoir le chef de clan à l’évocation de son plus grand rival. Il ne voulait pas non plus que Fergus pense qu’il l’avait cité avec nostalgie ou tendresse. Aucun attachement, excepté la haine et le désir de vengeance, ne liait Percy à sa famille biologique. Il les sacrifierait un par un, sans hésiter, sur un simple mot de son mentor, et peut-être même avec une once de joie sadique, vengeresse et justicière. Aussi, empêtré dans le fatras de ses justifications, il tenta de s’expliquer :

- Fergus, pardon…Je ne voulais pas…parler…enfin…de lui…c’est juste que…ça m’a rappelé…voilà.

Atrocement mal à l’aise, Percy se souvint également qu’il avait évoqué une maison de passe. S’il ne savait que faire de cet endroit, il était néanmoins certain qu’il n’approuvait pas qu’il soit rénové en bordel. Alors, afin de changer de sujet et aussi d’exprimer ce qui lui tenait vraiment à cœur, comme le lui avait demandé son aîné, il continua :

- On ne va pas faire…faire une maison de passe…hein Fergus ? J’ai vu Indy…tu sais, là-bas…j’aime vraiment…vraiment pas.

Le chef de clan ferait bien ce qu’il voudrait de cet endroit pour le moment vétuste, avec ou sans le consentement de son acolyte. Et puis, s’il avait réellement fâché Fergus en parlant de son père, peut-être même l’enverrait-il sur les roses, lui, son manque d’idées et son étrange phobie pour les filles de joie.

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Fergus Lynch
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Informations : Orphelin déposé au seuil d'une institution quelques semaines après sa naissance ✘ Ignore tout de ses origines, et n'y accorde aucune importance ✘ Fraie dans le monde de la petite délinquence depuis sa plus tendre enfance ✘ Ancien chef d'une bande gosses aventureux, à présent dissolue ✘ Suite à ça, a passé plusieurs mois en maison de correction ✘ La mort d'un de ses meilleurs amis, atteint de syphilis, a suffi à le convaincre de ne pas s'approcher des prostituées, règle qu'il suit toujours ✘ A fondé la Tribu, gang des rues sévissant à Whitechapel, dont il connait les moindres recoins ✘ Participe régulièrement à des combats illégaux organisés dans des bars, desquels il tire un joli pactole, ainsi que quelques petites cicatrices sur tout le corps ✘ Amateur d'armes blanches, il se sépare rarement de son couteau de boucher, tout comme de son vieux chapeau melon ✘ Se moque bien des forces de police, avec lesquelles il n'hésiterait pas à en découdre ✘ Ne voue que mépris à l'aristocratie et aux autres parvenus, mais grâce aux paiements reçus en échange de l'aide de son gang, il recrute de plus en plus d'adeptes, et accroît l'influence de la Tribu : son ambitieux objectif n'est autre que de faire tomber sous sa coupe Whitechapel et Southwark, pour mieux leur donner un second souffle, ainsi qu'une capacité de réponse envers les injustices infligées par les strates plus aisées de la société.
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MessageSujet: Re: you're gonna go far, kid | Percy you're gonna go far, kid | Percy Icon_minitimeVen 4 Aoû - 19:06



You're gonna go far, kid

« Fais tes projets en silence,
la réussite se chargera du bruit. »

Whitechapel, 1891

Trop sale, trop exigu, trop morne, trop ennuyeux, trop déplaisant, trop peu inspirant : tout ou presque à Whitechapel ne portait pas franchement en son sein de quoi vous faire croire aux promesses d'un avenir meilleur, ou juste acceptable. Inutile de revenir sur toutes les épreuves, les horreurs et la laideur qui vous attendait si le sort vous amenait, à un moment ou à un autre de votre vie, vous vous retrouviez à devoir surnager dans la fange de ses rues ; tous les à priori et les histoires sordides à propos du quartier que les jeunes nobles se racontaient le soir à la lueur d'une bougie pour se faire peur avaient un solide fond de vérité, et le nier aurait équivalu se voiler naïvement la face.

L'on pouvait en prendre son parti, voire même essayer d'y trouver son compte en se disant que la vie, ça avait toujours une chance d'être pire, ou l'on refusait catégoriquement d'accepter pareille infamie. Etrangement, Fergus, qui pourtant parvenait à fédérer autour de lui des quidams de tous bords, rejetait avec une violence à peine voilée les difficultés innombrables que le fait de naître à Whitechapel lui avait imposées sans rien lui demander, ni lui offrir en retour. Au nom de quoi devait-il supporter en silence les affres de la faim, du froid, des maladies, des humiliations et du mépris des plus chanceux ? N'était-il pas aussi précieux, aussi méritant que n'importe quel autre Londonien ? Pour quel motif, soi-disant altruiste, aurait-il dû se tuer à la tâche, broyé par le système et abîmé par le travail dans une usine, quand c'était pour produire des biens dont lui et ses pairs ne profiteraient jamais, oubliés, rejetés, payés une misère pour permettre aux autres habitants de la ville de continuer de jouir de leurs quotidiens confortables ? Quelle tare en son être, son âme ou son corps rendait sa personne sacrifiable au nom d'intérêts n'ayant rien à voir avec les siens ou ceux de ses semblables ? Les réponses à ses questions remplies de rage et de rancœur, Lynch ne les avait jamais trouvées, même dans les discours pompeux du grand patronat, pourtant le plus à même d'expliquer l'esclavagisme moderne dont il se rendait coupable sans rougir dans leurs prolifiques industrie ; et s'il n'en avait trouvé trace, c'était tout bonnement parce qu'aucun motif logique ou seulement défendable permettait de justifier Whitechapel, son existence, son chemin de croix, sa lente agonie dans les tréfonds des enfers. L'Anglais tenait lieu de ce qui se rapprochait de plus de l'essence des faubourgs les plus pauvres, de par ses idées et son parcours ; pourtant, en un sens, il était également un agent de la destruction, le Chaos émergent de la boue que craignaient tant les puissants, un homme bien décidé à aller jusqu'au bout pour que les choses changent pour les gens comme lui. Pour construire du neuf, il fallait réduire en cendres l'ancien, et repartir sur des bases plus saines.

En cette croisade quasi-sainte, couper les amarres reliant leur univers pour en faire un vase clôt fonctionnant en une presque totale autarcie protectionniste, et donc redonner du sens à ce qui en avait été privé depuis trop longtemps, s'avérait plus ou moins facile. Percy, par exemple, avait été une perle rare plutôt aisée à nettoyer de la gangue de défaitisme et d'auto-dévalorisation : le jeune homme avait déjà entamé sa mue, en fuyant l'aura néfaste de son paternel, avec en tête le souhait profondément ancré en son coeur de prendre sa revanche sur les Mortimer. De là, lui enseigner la même soif d'émancipation vengeresse à l'encontre de tous les profiteurs n'avait constitué qu'une formalité, une modique leçon d'écolier qui avait d'ores et déjà porté ses fruits avant même d'être terminée. Pour leur nouveau grenier, par contre, et bien qu'il semblât plus simple de trouver une fonction à un lieu vide que de formater l'esprit d'un jeune homme, la tâche s'annonçait nettement plus complexe.

Le tout n'était pas de trouver simplement une idée -de ce côté-là, le Britannique ne manquait pas de ressort, et le bâtiment aurait déjà pu avoir un milliard d'étiquettes différentes-, mais de choisir celle qui apporterait le plus de bénéfices de toutes natures confondues à la Tribu, et en s'avérant pérenne, ainsi que porteuse du moins de risques possibles pour leur groupe vis-à-vis de la police ou des autres gangs. Autant dire que ce n'était pas le genre de décision à prendre à la légère, surtout lorsqu'on visait aussi loin que Fergus. La personne ayant pondu le beau proverbe voulant qu'il n'était pas grave d'échouer en visant la Lune, puisque l'on tombait alors dans les étoiles, n'avait clairement jamais projeté de soulever Whitechapel et Southwark contre les sphères dirigeantes, et ce en faisant le moins de vagues possibles. C'était la victoire ou la corde.

Se donner de la peine en valait pourtant la chandelle, et ç'aurait été mentir que de supposer que Fergus ne prenait pas un plaisir certain -pour ne pas dire immense- à mener de front son labeur d'ouvrier de fonderie et le développement tentaculaire de sa création, son hydre à mille têtes, qu'il enlevait avec la même patience et la même assiduité que son propre enfant.

Le sérieux de sa réflexion présente ne perdit donc rien de son efficience lorsqu'un sourire confiant ourla ses lèvres :

-Tu n'as pas à t'excuser : ce n'est pas parce que personne ne parle de lui qu'il va s'évaporer comme par magie. Ton père est une donnée du problème qu'on a tous à résoudre, il ne faut pas lui donner trop d'importance... Ou oublier de lui en donner, justement. Dis-toi toujours, que ça te plaise ou non, que sans lui tu ne serais pas là : il a fait de toi qui tu es, et t'as donné le désir de devenir quelqu'un d'autre, quelque chose de plus, par tes propres moyens. Tu peux lui être reconnaissant d'avoir embrasé ta colère, parce qu'il t'a donné sans le savoir les armes pour le vaincre, et ne plus courber l'échine comme un chien.


Ce qui ne te tue pas te rend plus fort : la naissance de Percy avait été l' "oeuvre" de Mortimer père, sans quoi le jeune homme n'existerait tout simplement pas ; il n'aurait pas alors eu l'occasion d'aider la Tribu, ni de rencontrer tous les êtres qui avaient croisé sa route, ou encore de vivre, voir, sentir et goûter toutes les choses ayant peuplé chaque jour de sa vie depuis son premier cri, bonnes comme mauvaises. Lynch ne voyait pas le passé comme une somme d'expériences plaisantes et d'échecs douloureux, mais tel un brouillon avant le grand saut, un tour de chauffe riche en leçons et en impatience de se lancer dans la suite.

D'une moue pensive, le criminel pesa le pour et le contre, évaluant les avantages comme les écueils de la suggestion proposée puis rétractée de son assistant :

-ça me paraît très peu probable. Il y en a déjà à foison dans nos deux quartiers, et bien implantés, la concurrence ne jouerait pas en notre faveur, et on a mieux à faire qu'à inciter plus ou moins activement les coureurs de jupons à nous choisir nous plutôt qu'un autre établissement. Sans parler du fait qu'il y a mieux pour s'attirer la confiance des gens, et éviter de se mettre tout le monde à dos.

Très peu probable, mais pas non plus impossible ; les considérations d'ordre moral, ou même la simple pitié, ne paraissaient pas entrer en ligne de compte dans la délibération du bandit, à qui l'adversité et les responsabilités de la Tribu à mettre de côté ces questions quand cela s'avérait nécessaire, pour mieux garder la tête parfaitement froide, focalisée sur les intérêts de leur mouvement et sur rien d'autre. Il ne paraissait pas inimaginable que dans une autre vie, s'il n'y avait eu aucune maison de passe dans cette partie de la ville, Fergus ait trouvé l'option qui déplaisait tant à Percy tout à fait acceptable, d'un point de vue financier, organisationnel et stratégique.

Pour s'arroger la paix sociale, la meilleure solution était de ne pas associer au nom de la Tribu l'image poisseuse et détestée des proxénètes, et ainsi conserver d'une part garder une image positive auprès de la population, essentielle pour se protéger du monde extérieur derrière un rideau de portes closes opposées à d'éventuelles incursions de Scotland Yard à la recherche de témoignages, de même que de ne pas engendrer de tensions inutiles entre le gang et les propriétaires d'établissements illégaux de tout poil. Transformer la bâtisse en bar à opium, en salle de paris, de combats ou encore de jeux se trouvaient dans le même panier, auquel se trouvait associé une forte réserve de la part de Lynch. Le jackpot serait atteint en se préservant d'une réputation négative, tout en prélevant un "impôt" à ces fameux lieux de vice, qui demeureraient les seuls visés par le ressentiment latent général.

L'esprit du bandit, à qui Percy avait donné du grain à moudre, ne s'arrêta pas en si bon chemin, si bien que l'Anglais commença à réfléchir tout haut, comme s'il débattait avec lui-même jusqu'à l'obtention du remède miracle à sa question :

-Une cache pourrait être intéressante, que ce soit pour les objets récupérés pendant nos cambriolages en transit vers le marché noir, ou les denrées qu'on devra gérer une fois le port passé sous notre contrôle. Mais ça me gêne, de mettre autant de choses de valeur au même endroit : même si on multiplie les petits entrepôts, on ne sera jamais à l'abri de vols ou d'un incendie, ou encore d'une descente tant qu’on n’arrivera pas à faire suffisamment peur à la police pour qu'elle ne fiche plus les pieds au cœur de notre secteur. 'Faudrait qu'on arrive à limiter au maximum la durée d'existence de nos stocks, pour ne pas exciter les convoitises.

Il avait recroisé les bras contre son torse ; sa main droite, pourtant, emportée par le flux de ses pensées comme une brindille par le courant d'un ruisseau, avait détachée son emprise de  son coude pour rythmer son propos, et les méandres de son raisonnement. Son regard, quant à lui, avait quitté le visage du rouquin pour se décaler légèrement au-dessus de la tête de celui-ci, signe que la conscience du hors-la-loi était toute entière tournée vers son for intérieur et tous les éléments y étant emmagasinés sur le sujet.

-Une planque aussi, ça aurait ses avantages. Ça m'embête aussi, remarque, de garder comme ça des gars à nous qui se seraient attirés l'attention de Scotland Yard un peu trop près de nos affaires courantes. Je les verrai plus dans une baraque en dehors de la ville, à l'écart, histoire qu'ils n'aient d'autre choix que de se tenir tranquille, et surtout hors de portée.


Il y avait tant de paramètres à prendre en compte, d'hypothèses à intégrer et de risques à côté desquels ne pas passer sous peine de saborder la Tribu... Quand on vous disait que de "simples" combles posaient plus de problèmes que le recrutement de gens de bonne volonté.

Un petit sourire espiègle se glissa sur ses lippes, alors que son regard replongeait dans celui de son interlocuteur :

-... Imagine un peu la tête des gens, si on ouvrait une auberge... Ou même juste si on transformait ces deux étages en un ensemble de piaules. Pour sûr, ce ne serait pas des logis bien grands, de vrais galetas, mais le loyer serait bas, et surtout payable en services envers nous.


Et c'était là où la stratégie de Fergus différait de tout ce qui avait jamais pu être entrepris à Whitechapel comme ailleurs : son but n'était pas de s'enrichir personnellement ou de se retrouver, comme bon nombre de chefs de gang, le seul coq sur son petit tas de fumier isolé ; non, il voyait grand, et pour cela, il escomptait lier à lui et à la Tribu la populace des quartiers pauvres par la reconnaissance, et par l'espoir. Personne ne se souciait de fournir un toit, si ce n'était pour tenter de se donner de l'importance et des liquidités en harcelant ses locataires pour recevoir son dû, chaque mois, et c'était bien sur cet effet de surprise que Lynch misait pour à la fois susciter pour leur groupe la sympathie du plus grand nombre, et obtenir par la même occasion des paires de bras fidèles à la cause, toute dévouées, et qui auraient énormément à perdre -donc à défendre- en tâchant de mener à bien les missions confiées par la Tribu. De là à imaginer que le choix des résidents se ferait sur le critère de leurs talents ou de leur utilité, il n'y avait qu'un pas, plus facile à franchir que l'acceptation du fardeau d'employer des prostituées.

En parlant de fille de petite vertu, d'ailleurs, c'était lui ou Percy venait de citer le nom d'une demoiselle que son mentor ne connaissait pas...? Une lueur de curiosité taquine s'alluma dans le bleu acier de ses iris :

-Indy, hein...? C'est ta régulière, mon grand, ou comment ça se passe ? C'est quoi, son petit nom complet ?

Dans les quartiers pauvres, les miséreux avaient bien peu de loisirs, si bien que les rumeurs et autres potins passionnaient les foules, autour d'un verre ou entre deux portes, et Fergus n'échappait pas à la règle. Friand des petites indiscrétions sur les uns et les autres, il demeurait cependant muet comme une tombe lorsqu'il s'agissait de personnes qu'il appréciait. Tous deux pouvaient bien prendre un instant, au sein de leurs plans d'envergure, pour discuter des histoires de coeur de Percy, vu qu'il semblait évident que ladite donzelle n'occupait pas une place anodine dans le coeur du jeune homme, et que l'Anglais voulait en savoir plus, quitte à faire passer le malheureux par un interrogatoire qu'un grand frère asticoteur n'aurait pas renié.

-Viens t'asseoir, on sera mieux pour bavarder,
lui intima-t-il avec un geste de la main pour l'inviter à le suivre.

Lynch se rapprocha à nouveau de la caisse où il avait trôné, solitaire, jusqu'à l'arrivée de Mortimer ; cependant, il ne reprit pas sa place initiale, la laissant à son invité, comme en témoigna le bref tapotement du bois de ses longues phalanges, intimant à son hôte de prendre ses aises sur cette chaise rudimentaire. Au lieu de ça, et sans cérémonie, il s'assit en tailleur à même le sol, n'ayant cure de la poussière, ou du fait qu'en tant que chef, le seul siège à peu près digne de ce nom, en toute logique, paraissait lui revenir de droit.

Malgré sa haute taille, Percy allait le surplomber de plus d'une tête, mais de ça aussi, Fergus se fichait : il n'existait pas de relation hiérarchique entre eux, pas plus d'ailleurs qu'entre le chef de la Tribu et ses sbires quand ces derniers servaient bien la Tribu ; ils formaient en groupe, une famille, et si on le suivait, c'était par respect et foi en ce qu'il représentait, loin de toute peur de sanction aussi cruelle qu'injustifiée.




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MessageSujet: Re: you're gonna go far, kid | Percy you're gonna go far, kid | Percy Icon_minitimeMar 29 Aoû - 14:25



You’re gonna go far, kid

« Maison abandonnée de Whitechapel »

Janvier 1891

Percy savait, tout au fond de son âme d’enfant, que Fergus ne s’embarrassait pas de ce genre de scrupules pudibonds ; un lupanar, pourvu qu’il soit lucratif et utile et à la Tribu, pourrait très bien être mis en place sous son égide, et le jeune homme se demandait si, parfois, il arrivait à son mentor d’abandonner sa solitude, une nuit durant, dans les bras d’une prostituée. Le grand Fergus n’aurait pourtant pas eu besoin de se monnayer les charmes d’une fille de petite vertu. Toutes s’accordaient à dire qu’il était fort beau, viril, influent, intelligent et charismatique. Mais l’ouvrier ténébreux était de ces hommes de cause, qui relèguent les plaisirs derrière leurs desseins grandioses, utopiques et humanitaires. La Tribu, toujours, passerait devant une femme, quelle qu’elle fut, et ce sens des priorités suffisait à expliquer la solitude que Fergus s’imposait de son propre chef. Toujours par monts et par vaux, infatigable leader d’un clan en devenir, alerte de jour comme de nuit, alliant ruse et méticulosité dans la moindre de ses nombreuses affaires, comment aurait-il pu s’offrir le luxe de s’encombrer d’une femme qu’il faudrait rassurer, choyer, mettre dans les confidences les plus secrètes ? Non assurément le bandit était un solitaire, qui préférait recueillir en son humble logis les vilains petits canards comme Percy, et autres misérables en quête de vengeance et de justice sociale, à qui il accordait sa protection, plutôt qu’y installer une demoiselle dont la compagnie finirait par l’ennuyer.

Voilà pourquoi Fergus se montrait si talentueux dans son rôle de chef de clan. Oublieux de ses propres désirs personnels, il savait s’abandonner corps et âme à ce gang dont la plupart des membres étaient des miséreux mal-aimés qui n’avaient que lui. Et cette disponibilité, ce temps, ce soutien sans failles qu’il leur offrait, les misérables lui rendaient au centuple, reconnaissants à l’excès de l’espoir d’une vie meilleure qu’avait insufflé en leurs cœurs ce bandit à l’âme tendre. De tous ceux-là, Percy était le plus dévoué, le plus admiratif, le plus fidèle. Il aimait Fergus comme jamais il n’avait aimé aucun de ses frères car il avait été le premier à lui prouver qu’il avait droit au respect et que la promesse d’un avenir, sinon radieux, du moins plus éclatant que ténèbres moroses de son enfance martyre, pouvait se dessiner à ses yeux.

Voilà pourquoi il tremblait maintenant, honteux d’avoir pu provoquer le courroux de son bienfaiteur en évoquant l’ennemi juré qui s’avérait être son géniteur. Fergus n’était pas sans ignorer les bévues monumentales que Percy pouvait débiter chaque fois qu’il ouvrait la bouche, aussi ces paroles n’auraient sans doute pas eu d’impact réel, si toutefois elles n’impliquaient pas le chef Mortimer et sa menace omniprésente, épée de Damoclès au-dessus de la tête de toute la Tribu en somme. Car aussi simple d’esprit soit-il, le jeune roux avait conscience des risques qu’avait pris son mentor en lui offrant une telle place au sein du gang. Le pari était fort risqué ; infiltrer au cœur du clan le bâtard maltraité de la famille ennemie, lui accorder entière confiance, lui promettre vengeance pour l’infamie des mauvais traitements reçus au sein de la tribu rivale, voilà qui nécessitait une audace, une hardiesse et un génie peu communs qui contribuaient à faire de Fergus un leader de talent et apprécié de tous. Car n’importe quel autre homme que le fondeur aurait conservé une méfiance instinctive envers ce bâtard Mortimer qui, du jour au lendemain, par défection, par affection, ou simplement par l’appel du sang, pourrait se retourner contre eux. Mais il avait tout de suite cerné en Percy cette haine indéfectible, sans espoir de retour, ces affres de la vengeance qui dévoraient avec un paradoxe effrayant son cœur d’enfant, et il en avait tiré, envers et contre tous, la bonne conclusion : jamais Percy ne ferait machine arrière. Sa dévotion maintenant allait toute entière à Fergus, et c’est le cœur débordant de reconnaissance, de joie et d’amour qu’il l’écouta lui expliquer qu’il n’entendait pas lui interdire de parler de sa famille de sang qui ne représentait plus rien. Le bâtard Mortimer accueillait cette confiance telle une relique, résolu à être digne de l’intérêt et de l’affection que le leader de la Tribu lui portait. Aussi, ému à l’excès, comme à son habitude, Percy, moins bredouillant qu’au début de leur rencontre, rassuré par la bienveillance de son mentor et ami, le remercia pour la tolérance et la justesse de ses propos :

- Merci Fergus…Tu sais, je le déteste vraiment…mon père. Il n’a même jamais…voulu me dire qui était…ma mère. Je sais que tu as…raison…mais je n’arrive pas à être…reconnaissant…Je suis juste…en colère. Mais je ne suis pas aussi sage…que toi.

L’esprit juvénile et simple de Percy lui octroyait une vision des choses toute manichéenne. Là où le chef de clan voyait dans les plaies de l’enfance du jeune roux la puissance d’une arme face à l’existence, insufflant la force vengeresse, la colère destructrice nécessaires à son insatiable soif de justice, le petit bâtard, lui, ne voyait que douleur injustifiée, humiliations sans bornes, marquées au fer rouge dans son esprit dont l’innocence avait été tant de violées par la méchanceté, la moquerie et la cruauté de son propre sang. Il ne parvenait pas encore à reconnaître l’impact positif des maltraitances qu’il avait subies, qui l’avaient obligé à s’émanciper, et donc à rencontrer en la personne de Fergus, de Saul et d’Elizabeth, la famille dont il avait toujours rêvé. Aveuglé par la colère et l’injustice que jamais il n’avait mérité de subir, Percy n’aspirait qu’à laver son honneur dans le sang, le même qui coulait dans ses veines, mais qu’il verrait se répandre sans le moindre remords, peut-être même avec une pointe de satisfaction.

La moue pensive qu’avait son compagnon le tira des sombres tréfonds de ses souvenirs, et de ses non moins noirs désirs de vengeance. Le jeune rouquin, qui commençait à connaître Fergus, avait vu juste ; si l’idée d’un bordel s’avérait lucrative et pratique, il se débarrasserait bien vite des principes moraux et chrétiens qui regardaient une classe sociale à laquelle ils n’appartiendraient sans doute jamais. Un homme ouvertement contre le proxénétisme aurait refusé l’indécente proposition sans même lui accorder une seconde de réflexion. Or, malgré que Percy se soit rétracté quasi immédiatement après, son mentor semblait peser mentalement le pour et le contre de la proposition. Mais, au grand soulagement du prude jeune homme, Fergus n’était pas convaincu que la Tribu puisse soutenir la concurrence des nombreuses maisons closes de Whitechapel, et restait persuadé qu’il ne s’agissait pas là de la meilleure méthode pour s’attirer la confiance des habitants de ce misérable quartier au sein duquel, parfois, on pouvait encore trouver des mœurs respectables, qui se seraient outragés du commerce de la chair. Le fondeur avait exprimé l’essentiel, et bien mieux que ne l’aurait jamais fait Percy ; aussi se contenta-t-il de lui adresser un large sourire pour réponse et pour acquiescement de ses dires. Il était heureux que cette idée soit abandonnée, même si les raisons de Fergus, uniquement pratiques, différaient des siennes, éthiques et morales.

Le cerveau du chef de gang semblait fonctionner à une vitesse folle ; Percy ne lui avait soumis que les deux piteuses idées qui lui étaient venues à l’esprit. L’esprit de son mentor, alimenté par ces bien chétives propositions, imaginait, inventait, proposait, pesait le pour et le contre. Dans ces moments d’intense réflexion et de créativité, Fergus devenait incroyablement bavard, n’ayant presque plus conscience de la présence d’une compagnie, n’attendant plus aucune réponse, laissant planer ses monologues au sein de l’air poussiéreux de la miteuse maison abandonnée. Faire de la masure délabrée un entrepôt ou stocker leurs marchandises illégales le séduisait, mais il craignait les vols et les incendies. Tandis qu’il discourait, son bras semblait animer le flot de ses paroles qui dévalaient en cascade trop rapide pour que le cerveau de Percy puisse les assimiler correctement. Peu importait qu’il comprenne tout, puisqu’il devenait évident que l’ouvrier ne réclamait plus la participation orale du jeune roux, ce qui lui convenait plutôt bien. D’ailleurs Fergus ne semblait même plus le regarder. Il se soumettait à lui-même l’idée d’une planque, apportant des arguments, les réfutant l’instant d’après et le jeune homme regardait, mi- étourdi, mi- émerveillé, son mentor réfléchir à tant d’options à toute vitesse, quand lui était à peine capable de se concentrer sur une idée à la fois.

Mais il lui fallut bien sortir de sa torpeur quand son aîné, semblant soudain se souvenir de sa présence, plongea son regard dans le sien, un sourire malin dessiné sur ses lèvres. Transformer cet entrepôt en plusieurs petites chambres habitables, aux loyers modestes ; en plus de l’assurance de revenus réguliers, même modestes, pour la Tribu, cette source de profits serait à moindre risques, la location de chambres étant activité légale. Elle permettrait, de plus, de contribuer à réduire la misère qui sévissait avec une cruauté indécente dans les rues de Whitechapel, et, de ce fait, de s’attirer la sympathie et la reconnaissance de nombre de parvenus. En somme, l’idée était parfaite ; de ces éclairs de génie qui transfiguraient parfois l’esprit de Fergus et qui jaillissaient de ses lèvres mutines, et qui avaient le don d’émerveiller l’assemblée qui se trouvait présente à ce moment. En l’occurrence pour celle-ci, Percy était seul, mais son admiration sans bornes pour le chef de gang était insatiable. Aussi c’est d’une voix enthousiaste, un large sourire étirant ses lèvres, qu’il s’exclama :

- C’est une idée géniale… Fergus ! Il y’a tellement de gens…dans la rue…ici…à Whitechapel…

Tout au fond de son esprit simple, le jeune homme savait bien que le but premier de son aîné n’était pas de faire la charité. Mais qu’importaient, après tout, ses aspirations premières, si, à l’aboutissement de ses desseins, il s’en résultait une fin altruiste et généreuse ? L’idée qu’un clan accoutumé au banditisme et autres activités illicites s’assure un revenu stable, propre et utile à la fange pullulante londonienne avait de quoi séduire le gentil Percy qui n’aspirait qu’au bien, hormis ce qu’il percevait comme la vengeance personnelle de son enfance déchue.

Le jeune roux fut tiré de sa rêverie par une l’œillade taquine que lui lançait son aîné. Percy avait évoqué sans le vouloir sa douce amie Indianna, et l’avait regretté à l’instant même où son nom avait franchi ses lèvres. Il ne s’agissait pas là d’une question de confiance ; le bâtard Mortimer confierait sa vie à Fergus sans une seule seconde d’hésitation. Mais il semblait prendre son rôle de frère ainé taquin très au sérieux, ce qui avait le don de mettre le timide maladif incroyablement mal à l’aise et de rendre l’ouvrier très fier de ses petites facéties. Son amusement semblait s’accroître à mesure que les joues du pauvre Percy s’embrasaient, aussi, dans sa pudeur exacerbée, en parlait-il le moins possible. S’il avait un instant espéré que sa bévue passe inaperçue, c’était bien mal connaître le chef de gang qui aimait se délecter des ragots, surtout lorsqu’il s’agissait de tourmenter gentiment le pauvre timide qui lui faisait office de frère cadet.

Les taquineries de Fergus fonctionnaient à tous les coups. Percy baissa la tête, les joues brûlantes, sous les embarrassantes questions de son aîné. Il n’allait certes pas laisser une occasion pareille d’en savoir un peu plus sur la tendre amie du jeune rouquin. Mais une pensée horrifiante, presque blasphématoire, traversa Percy. Se pouvait-il que le fondeur crut qu’Indianna, vivant au sein d’une maison close, était une fille de joie ? Le pauvre garçon frissonna à cette idée, qui était une telle insulte envers sa douce amie qu’il se devait, pour son honneur à elle, de rétablir la vérité, et de ne pas laisser un doute si ignominieux planer une seconde de plus dans la tête de Fergus :

- Elle…elle s’appelle Indianna…Et…et…ce n’est pas une…une…c’est la servante…elle fait le ménage justement parce que…parce qu’elle ne veut pas…

L’esprit un peu ailleurs, tentant de se concentrer afin de s’exprimer relativement correctement, Percy suivit l’ordre de Fergus comme un automate et vint s’asseoir sur le caisson de bois qu’il lui désignait, mal à l’aise de voir son aîné s’asseoir par terre près de lui, mais n’osant mot dire et s’imaginant bien que si il avait pris cette initiative, c’est qu’elle ne causait guère de mal à son orgueil. Les jambes rendues tremblotantes par l’émotion, la position assise revigora quelque peu Percy, dont le souffle se fit moins saccadé. Il tenta de rassembler un peu de courage pour regarder son aîné. Comme il était étrange de le surplomber, lui qui était d’ordinaire si grand, et qui devait souvent se baisser pour parler au petit roux qui avait souvent le nez vers le sol à cause de son extrême timidité. Cette hauteur mettait quelque peu mal à l’aise Percy, qui cessa de regarder Fergus, et se concentra soudain sur la marque que ses chaussures avaient faite dans la poussière, avant de continuer :

- C’est juste…une amie…mais tu sais j’ai peur…parfois…qu’elle en ait marre…de faire bonne…et qu’elle…qu’elle fasse…comme les autres…elle est tellement…jolie tu sais…si tu la voyais…Fergus…

Heureusement qu’il ne le regardait plus. Pourquoi lui avoir fait une telle confidence ? Parce qu’il lui accordait une confiance totale, parce qu’il l’aimait ou parce qu’il connaissait les femmes bien mieux que lui ? Paradoxe qui bouleversait le pauvre rouquin, il avait honte que cette idée ait pu même lui effleurer l’esprit. C’était faire insulte au sens aigu de l’honneur et de la fierté qui caractérisait Indianna. Malgré tout, cette idée affolante lui tenaillait l’esprit, et ne cessait de lui revenir en tête. Et c’est justement parce que cette idée lui était insupportable, qu’il avait ressenti le violent, l’irrépressible besoin d’exorciser la terreur qui dévorait ses entrailles.

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Fergus Lynch
Fergus Lynch

Âge : 36
Emploi : Fondeur
Informations : Orphelin déposé au seuil d'une institution quelques semaines après sa naissance ✘ Ignore tout de ses origines, et n'y accorde aucune importance ✘ Fraie dans le monde de la petite délinquence depuis sa plus tendre enfance ✘ Ancien chef d'une bande gosses aventureux, à présent dissolue ✘ Suite à ça, a passé plusieurs mois en maison de correction ✘ La mort d'un de ses meilleurs amis, atteint de syphilis, a suffi à le convaincre de ne pas s'approcher des prostituées, règle qu'il suit toujours ✘ A fondé la Tribu, gang des rues sévissant à Whitechapel, dont il connait les moindres recoins ✘ Participe régulièrement à des combats illégaux organisés dans des bars, desquels il tire un joli pactole, ainsi que quelques petites cicatrices sur tout le corps ✘ Amateur d'armes blanches, il se sépare rarement de son couteau de boucher, tout comme de son vieux chapeau melon ✘ Se moque bien des forces de police, avec lesquelles il n'hésiterait pas à en découdre ✘ Ne voue que mépris à l'aristocratie et aux autres parvenus, mais grâce aux paiements reçus en échange de l'aide de son gang, il recrute de plus en plus d'adeptes, et accroît l'influence de la Tribu : son ambitieux objectif n'est autre que de faire tomber sous sa coupe Whitechapel et Southwark, pour mieux leur donner un second souffle, ainsi qu'une capacité de réponse envers les injustices infligées par les strates plus aisées de la société.
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MessageSujet: Re: you're gonna go far, kid | Percy you're gonna go far, kid | Percy Icon_minitimeDim 14 Jan - 22:34



You're gonna go far, kid

« Que la stratégie soit belle est un fait, mais
n’oubliez pas de regarder le résultat. »

Whitechapel, 1891

La qualité de sagesse que lui attribua l’adolescent lui tira un bref petit rire, de ceux qui faisaient remonter les commissures de ses lèvres telles de petites incisions pratiquées dans la chair de ses joues, pâle prémisse du sourire qui, dans les grands moments de liesse ou d’amusement, venait entailler profondément son visage. Peu de monde se serait risqué lui coller une telle étiquette, aussi méliorative fût-elle, tout simplement parce que Lynch n’avait rien d’un ange, et qu’infiniment peu de monde –personne, même, osons le dire- aurait eu l’audace de s’aventurer à suggérer le contraire, au risque de passer pour un hypocrite de première. Il fallait bien toute l’innocence d’un grand enfant comme Percy pour lui prêter autant de qualités, là où celles et ceux que le brigand aidait d’une manière ou d’une autre se contentaient, dans le meilleur des cas, de le contempler les yeux brillants, tels des chiens errants à qui l’on aurait enfin jeté un morceau de viande faisandée.

Sans doute à la différence de tous ses pairs, ruffians de première s’étant auto-proclamés seigneurs et maîtres d’une troupe de coupe-jarrets lambda, l’Anglais ne se prenait pas pour un demi-Dieu, et ce malgré le caractère unique de ce qu’il avait initié. On n’avait jamais vu, de mémoire d’homme, quelque chose de semblable à la Tribu qui, plus le temps passait, ressemblait de moins en moins au gang de rue traditionnel, et en un sens, on n’avait pas non plus vu d’homme comme Fergus, du moins le supposait-on avec sans doute raison, vu que personne à part le jeune Mortimer ne se permettait de s’adresser à lui avec autant d’admiration. Alors c’était quoi, le truc ? L’élément invisible, le tour de passe-passe expliquant qu’une entreprise aussi ambitieuse que la Tribu ne soit pas un complet naufrage ? Qu’est-ce qui, au-delà de la colère de Fergus, que nous connaissions si bien, alimentait l’hydre en sommeil dont Whitechapel et bientôt Southwark constituerait la tanière ?

Cela revenait à se questionner sur les motivations de Lynch, ce qui le poussait vraiment à se démener contre les lois, le système et les grandes figures du crime déjà en place, ce qu’il cherchait à obtenir pour lui et seulement pour lui, au-delà du bien commun  que, étonnamment, ses actes critiquables allaient en théorie générer. On ne devenait jamais meilleur qu’en cherchant à se dépasser avec détermination et conviction, et pour ça, il fallait un objectif dantesque, ou une sacrée impression de ne plus avoir rien à perdre… Peut-être bien que même Fergus lui-même ignorait tout ou partie de ce qui l’enjoignait à veiller sur des personnes telles que Percy, se prémunir des cuisses des catins, lier des alliances occultes avec ses pairs ou renverser les monopoles durablement installés au nez et la barbe des autorités. Les élans de son cœur, jugulés par son expérience, son bon sens ainsi que son flair, donnaient naissance à des conséquences parfois multiples, inattendues ou à double-tranchant, donnaient la cadence : i cela était bien vrai, ce n’était rien de plus que des intuitions qui les emmenaient tous vers le triomphe ou la mort, des intuitions certes brillantes, mais qui ne différaient pas tant que cela d’audacieux coups de poker. Des paris en chaine sur la relative solidité desquelles dépendait leur survie… Autant dire que si la Tribu naviguait effectivement à vue, dirigée non point par un sage visionnaire mais par un simple mortel, faillible, discutable, impétueux, ce n’était pas le meilleur argument du monde pour rameuter des troupes, et encore moins rassurer ses soutiens, pour une bonne part constitués de pères de famille n’aspirant qu’à offrir un meilleur avenir à leur famille…

En tout cas, quel que fût le degré d’improvisation de Fergus, celui-ci reconnaissait sans mal qu’un peu d’humilité de temps à autre ne pouvait pas faire de mal, même à quelqu’un ayant un égo aussi flamboyant que le sien : se prendre les pieds dans le tapis de façon aussi stupide, et surtout aussi médiocre, très peu pour lui. La gentillesse de Percy prêtait donc à sourire pour lui, sans que cela portât préjudice à la considération que le bandit nourrissait pour sa jeune recrue. En peu de mots, Fergus se sentait idéalement imparfait, et ça lui convenait parfaitement.

-'Suffit de rester logique. Les gens ont un mal fou pour ça, alors qu’il n’y a rien de plus simple ; ils se retrouvent à se faire des montagnes avec des riens : ça leur gâche la vie, et pire que tout, ça les rend bêtes comme leurs pieds.

Que Percy devienne donc un homme responsable, à l’esprit clair et à la volonté toute entière tournée vers l’accomplissement de ses buts, quels qu’ils puissent être ; cela ferait un idiot en moins de par le vaste monde, et même mieux, un lascar avec qui il serait agréable de traiter, et un camarade qu’on pourrait être fier de compter parmi ses amis. Si le Britannique n’était pas forcément un modèle à suivre –voire pas du tout, sur certains aspects-, et s’il ne s’était jamais mis en tête de jouer les pères de substitution avec le fils Mortimer, le voir retenir cette petite leçon de vie ne lui aurait pas déplu, au contraire, car il en connaissait la valeur, la puissance que pouvait conférer le fait de se débarrasser de la quantité astronomique de choses inutiles, trimballées à longueur de temps par leur pauvre cerveau exsangue. Ne se pensant pas détenteur de la vérité absolue, celle rendant assurément heureux et bien plus épanoui que toutes les autres façons de voir, le criminel savait par expérience que les résultats se trouvaient au rendez-vous, sans conteste ni la moindre chance de souhaiter revenir en arrière après y avoir goûté. Sans ça, il y avait fort à parier qu’il n’aurait jamais eu la trempe nécessaire pour fonder la Tribu.

Tout le monde n’avait pas la volonté de briser ses chaînes, de changer de point de vue et de se réinventer à l’aune de son potentiel enfin exprimé pleinement, mais Percy, malgré son corps chétif et son esprit embrumé, n’avait-il pas eu le cran de tout quitter lorsque l’humiliation avait été trop forte, et même de choisir de risquer sa vie à chaque instant de sa nouvelle vie en trahissant son père pour mieux le détruire, lui un des hors-la-loi les plus influents de Londres ? Certes, il y avait encore un peu de chemin à faire, mais son apprenti avait encore la vie devant lui, ou du moins une bonne partie si la chance lui souriait un peu malgré les années volées d’office de par sa condition d’homme du peuple ; ce que Fergus avait semé sous son crâne finirait par finir de germer et croître pleinement au sein de ses pensées, graines de liberté disséminées par un Prince qui ne verrait aucun inconvénient à paisiblement installé dans la poussière.

Le bel enthousiasme de l’adolescent, de ceux qui mettent des étoiles dans les yeux, faisait plutôt plaisir  voir, quand on songeait à la mine passablement craintive que Percy avait arborée lors de leur première rencontre, avant qu’ils ne fassent vraiment connaissance et ne réalisent à quel point leurs intérêts, étroitement liés pouvaient engendrer une alliance plus que profitable, sans parler d’une amitié solide, inattendue. L’idée plaisait également à Lynch –encore heureux, puisque c’était la sienne-, mais sans parvenir à le transcender autant que son cher délateur. La façonner, elle comme ses sœurs passées et à venir, le passionnait au point de l’animer d’une énergie inextinguible, jusqu’à ce que sa création soit lancée ou que les résultats soient obtenus, après quoi le Britannique s’en désintéressait à une vitesse affolante, une fois que le défi, en son esprit, se trouvait relevé et que la routine reprenait ses droits. En résultait une sorte de boulimie de labeur, tellement à l’opposé du travail manuel peu gratifiant prodigué par son emploi à la fonderie que Fergus aurait pu y passer des journées entières, juste pour s’enivrer du frisson qu’il éprouvait à chaque fois qu’il avançait ses pions sur le vaste échiquier des faubourgs londoniens, dans le dos des puissants et au nom de principes aussi nobles que troubles. En vérité, ses amours ne se voyaient pas mieux loties que ses stratagèmes : Lynch se lassait des belles ayant goûté ses lèvres aussi vite que celles-ci parvenaient à capter son attention, comme si seule l’ivresse de la nouveauté parvenait à l’enfiévrer avant que l’ennui des terrains conquis et des baisers gagnés d’avance ne fanent son bon plaisir. Prodiguer le bien autour de lui lui apprendrait-il à apprécier de nouveaux petits agréments de la vie ? Ou la mauvaise réputation que certains s’attachaient à lui donner finirait-elle par le convaincre lui-même qu’il se trouvait déjà trop perdu pour pouvoir espérer se racheter ne serait-ce qu’un brin ? S’intéressait-il seulement à ce qu’autrui pensait de lui, malgré son indépendance tonitruante ?

En vérité, la seule chose qui risquait de le détourner d’une projet aussi altruiste, autre que des raisons purement pratiques ou stratégiques que tout à chacun aurait été à même d’apprécier à leur juste valeur, était ce sentiment de lassitude qui parfois l’étreignait en imaginant ces innombrables malheureux tendre vers lui des mains aussi crasses qu’implorantes, toujours en attente d’un miracle, d’une solution et d’efforts démesurés rien que pour eux, toujours pour eux, incapables de réaliser qu’ils auraient également pu agir au lieu de se muer en sangsues voraces. C’était usant, à la longue, de porter avec soi le poids de toutes ces aspirations, de tous ces rêves que Fergus se retrouvait plus ou moins contraint de réaliser, alors que lui-même fuyait toute forme d’engagement comme la peste, tenant à sa liberté comme à la prunelle de ses yeux.

-… On verra… répondit Lynch à son jeune camarade, la mine un brin pensive. Y’aura le temps que pas mal d’eau coule sous les ponts avant que ce coin commence à ressembler à quelque chose, si tout ne nous tombe pas sur la tête avant.

Si l’Anglais se révélait combattif au-delà du possible, l’optimisme, chez lui, semblait tenir d’un concept tout à fait différent, bien qu’on aurait de prime abord été en droit de croire que ces deux notions marchaient main dans la main. La faute à une vie de pauvreté et de luttes incessantes, sans doute… C’était aussi pour cela que la compagnie de Percy lui plaisait : la candeur ébahie de l’adolescent, prompt à s’émerveiller d’un rien, se révélait indéniablement rafraîchissante, comme une brise d’air frais parmi les remugles de difficultés insolubles, de combats incessants et de vagues de suppliques étouffantes. D’une discrétion sans faille, il n’était pas du genre à l’agonir de jérémiades ou de demandes diverses et variées, un fait plus qu’appréciable quand on songeait qu’en tant que fondateur et meneur de la Tribu, le Britannique se retrouvait à jongler avec son poste à la fonderie, ses propres besoins à tenter de combler comme il pouvait en fonction de ses maigres ressources, et la liste interminables des soucis qu’on lui rapportait quotidiennement.

L’idée que Percy puisse se trouver une petite amie, en ce sens, l’amusait, non pas de manière mesquine, comme un cœur cruel pourrait se divertir à l’idée de le contempler tôt ou tard ramasser piteusement ses espoirs déçus, mais comme on trouvait mignon l’éveil d’un enfant à ce que le monde avait à offrir. Fergus avait vaguement compris que la brouille entre Percy et son père s’était définitivement enracinée à propos d’une femme, sans pour autant chercher à en savoir plus ; découvrir un Mortimer s’amourachant de sa belle comme un gamin vivant sa première histoire d’amour ne manquait pas de charme, alors que lui-même sentait bien qu’il ne connaîtrait jamais vraiment un tel sentiment.

-Tu m’en diras tant… lui glissa Fergus, toujours aussi légèrement goguenard. Je te crois sur parole, mon grand.

Loin de lui, pourtant, l’idée d’aller vérifier si effectivement, la dénommée Indianna valait le détour : il n’y avait pas meilleur moyen de s’attirer les foudres d’un homme, même aussi doux que Percy, que de s’intéresser de trop prêt à l’élue de son cœur, et Lynch n’avait pas besoin de ça, que ce soit en tant qu’ami ou en tant que leader. Le rouquin s’avérait trop précieux, dans tous les sens du terme.

Prompt à donner des conseils même lorsqu’on ne lui avait rien demandé, et a fortiori dans un domaine où son expertise aurait tout de même pu être relativement critiqué, le criminel ne s’interdit évidemment pas de conseiller son innocent disciple :

-La meilleure façon de s’assurer que quelque chose ne nous file pas entre les doigts, c’est encore de s'en saisir dès que possible… Demande-moi ce que tout voudra comme astuces pour la séduire, mais par contre, si tu as des questions sur comment on fait les bébés, tu seras gentil d'aller demander à Saul !

Les détails  pratiquo-pratiques, s’ils ne lui étaient nullement inconnus, ne lui disaient pas grand-chose qui vaille en termes de cours à donner à un être aussi ingénu que Percy, sans compter que l’idée d’embarrasser ce bon Saul en lui refilant cette tâche le faisait rire d’avance -comment cela se sentait dans sa voix, rendue légère par le ton de la boutade-, surtout en imaginant le géant venir le trouver pour le « remercier » de sa sollicitude. À sa démarche, avec le nombre de marmot qu’il avait fait, son ami se trouvait en soi bien mieux renseigné que lui sur la question, du moins du côté de la procréation, un domaine qui n’attirait nullement l’ouvrier.

-… Et puis si elle est de confiance, tout va pour le mieux.

Cette remarque, pour le coup, se révélait légèrement plus insidieuse que les précédentes. En effet, Fergus ne surveillait pas spécialement –enfin… uniquement de loin, et discrètement- les fréquentations de son protégé, ce qui, cependant, ne l’empêchait pas de se montrer vigilent. Il était en effet facile, surtout pour quelqu’un d’aussi angélique que le jeune homme, d’oublier sa condition de fugitif, ainsi que les risques pesant en permanence aussi bien sur sa personne que sur le gang lui ayant offert soutien et protection en échange de ce qu’il savait. Fergus avait bien plus bourlingué dans la vie que lui, ce qui suffisait amplement à justifier une méfiance naturelle plus développée chez lui que chez son hôte envers toute nouvelle tête qu’il ne connaissait pas, et qui de plus risquait de le toucher de près via Percy ; les beaux yeux d’une intrigante à la fausse pureté, somme toute, constituaient une bonne méthode pour reprendre la main sur cette épine dans le pied du gang Mortimer qu’était devenu le fils du fameux bandit, malgré la soif de vengeance de ce dernier. Lynch n’irait pas jusqu’à interférer entre Indy et son soupirant… Ce qui ne l’empêcherait pas de simplement rappeler à son disciple ce qu’il encourait en cas de prise de risques hasardeuse, et à quel point le monde réel différait de la vision embrumée que du haut de ses vingt-deux printemps, son vis-à-vis connaissait.

Néanmoins, se montrer prudent ne signifiait pas déployer des trésors de paranoïa cruelle : à Percy de juger de l’honnêteté de sa dame, certes sous l’œil vigilant de son protecteur, mais sans se voir dépossédé de toute marche de manœuvre. Après tout, et n’en déplaise à certains, Mortimer était un homme, et non plus un enfant, capable de faire la part des choses, du moins le fondateur de la Tribu donnait-il tous les signes de le croire, ce qui allait de pair avec le fait que Percy fût conscient des conséquences qui frapperaient Indianna si celle-ci venait à les trahir, et de l’absence absolue d’hésitation que Fergus aurait à faire appliquer leur loi –une implacabilité que l’enamouré était également censé partager, et ce sans réserve.





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Citation : Winston Churchill

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MessageSujet: Re: you're gonna go far, kid | Percy you're gonna go far, kid | Percy Icon_minitimeLun 26 Mar - 16:09



You’re gonna go far, kid

« Maison abandonnée de Whitechapel»

Janvier 1891
Un léger rire, presque imperceptible, s’échappa discrètement des lèvres pincées de Fergus. Rares étaient les personnes qui lui attribuaient la sagesse comme qualité première. Ce leader hardi, au cœur bon mais pragmatique, à l’intelligence instinctive, souvent impétueux, parfois violent, n’offrait guère le portrait idéal de l’homme réfléchi, raisonné et serein que l’on qualifierait de sage. Percy avait ces émerveillements spontanés, ces fraîcheurs simplistes d’enfant, qui rendaient son jugement manichéen, partial et somme toute aveuglé. Fergus était de ces personnalités dominantes, nées pour guider les foules, dardant les rayons éclatants de l’idéal de justice insufflé en leur âme aux disciples qui les suivaient avec vénération. Ce genre d’hommes, à la présence surnaturelle, semblait habité par des préoccupations plus hautes  et moins terrestres que le commun des mortels. Ces bergers des miséreux, des désespérés et des nantis haranguaient les foules par leur charisme fou, déchaînant leur colère avec la toute la passion du juste dénonçant l’oppression de ses comparses. L’ouvrier fondeur était assurément de cette race de héros en quête de justice sociale, mais il n’y avait que Percy pour voir en lui une âme éclatante de pureté et une bonté désintéressée.

Il suffisait d’entendre ses tergiversations concernant le devenir de l’endroit lugubre, qui tendaient au monologue. Il ne s’agissait que de calculs, plans et potentiels intérêts sur le long terme. Les hypothèses étaient énoncées froidement, sans l’ombre d’une perspective morale ou éthique, sans embarras d’aucun scrupule. Si le jeune Mortimer avait salué avec chaleur la formidable idée de louer à bas prix des chambres dans le quartier misérable de Whitechapel, il était évident que les raisons des deux hommes d’approuver ce projet hypothétique divergeaient. Là où la candeur de Percy voyait une lueur salvatrice pour une poignée de malheureux condamnés à l’enfer de la rue, Fergus, qui n’avait rien contre faire le bien, s’imaginait surtout s’attacher la loyauté des miséreux en monnayant ces logis de fortune contre quelques menus services rendus à la Tribu. Informations, espionnages, courses sans grande importance. Fergus ne pratiquait guère la charité lorsqu’elle ne lui rapportait rien. Il n’y avait qu’un être comme Percy pour ne pas s’en apercevoir. Rien que la réponse du mentor à l’exclamation ravie de son cadet confirmait cette théorie. Logique. Le chef de gang restait, en toutes circonstances, cruellement logique, implacablement pragmatique. Comment l’émotionnel enfant qu’était Percy aurait-il pu comprendre la gravité placide de ces froides réflexions ?

Sans jamais l’avoir entendu clairement, le jeune homme devinait le sentiment général qui pesait au sein de la Tribu. Comment le fin stratège qu’était leur leader avait-il pu s’encombrer d’un fardeau aussi inutile que Percy ? Comment osait-il prendre le risque d’introduire au sein du clan le rejeton d’une faction rivale, si mal-aimé fut-il de sa famille de sang ? Malgré les témoignages d’affection et de confiance que Fergus témoignait à son cadet, rares étaient ceux qui croyaient que cette amitié improbable fut totalement dénuée d’intérêt ou d’arrière-pensées quelconques. Au bout de quelques mois, ceux qui se méfiaient de Percy furent pour la plupart forcés de s’avouer qu’aucun plan machiavélique ne pouvait se tramer dans cette cervelle trop simple pour les complots, et que cet enfant attardé était en réalité aussi dévoué à la Tribu qu’il le faisait paraître. Les soupçons se portaient surtout sur leur filou, auquel ils attribuaient d’hypothétiques trahisons du jeune homme, après lui avoir soutiré toutes les informations possibles sur sa famille, que le gang rêvait de détrôner. Aussi même les plus sceptiques ne savaient plus que penser de l’immersion de Percy dans la bande qui s’éternisait, de sa fulgurante ascension vers les plus hautes sphères de la Tribu, de son intimité aussi soudaine qu’elle était rare avec ce leader solitaire qui ne s’entichait jamais de personne.

Force était pourtant de constater, aussi difficile que cela fut pour les esprits pratiques, qu’entre Fergus et Percy s’était nouée une affection réelle et profonde, presque fraternelle. Les différences de ces deux êtres diamétralement opposés pouvaient sans conteste expliquer cette brusque amitié. La personnalité dominante qu’était Fergus n’aurait sans doute pas pu s’enticher d’un rival potentiel. La liaison, entachée par la jalousie et la crainte de trahison, aurait reposé sur des bases malsaines et faillibles. L’esprit enfantin de Percy, quant à lui, était rassuré par cette ombre paternaliste qui apportait avec une douce autorité la protection dont son manque de confiance avait cruellement besoin. Le leader de la Tribu quant à lui, pouvait à son aise se rafraichir de l’innocente franchise de Percy, qui n’avait besoin d’aucune hypocrisie et qui n’attendait aucune faveur particulière pour l’aimer.

Mais soudain, aussi vite qu’il était apparu, l’enthousiasme débordant, qui surgissait par crise chez Fergus, s’était évaporé, pour laisser place à un visage songeur et à un pessimisme placide. Il semblait comme redescendu sur terre, regrettant presque son utopique entrain de tout à l’heure. Leur situation précaire, le danger que représentait l’organisation d’un tel clan, laissait peu de chances aux plans bien ficelés d’aboutir. Aussi, selon l’ouvrier, ne valait-il mieux pas faire de plans sur la comète, afin de ne pas voir leurs espoirs déchoir aussi vite qu’ils étaient apparus, et de pouvoir rebondir vers une solution de rechange, et ainsi ne pas se laisser abattre par l’échec. Percy ne sut que répondre à cela, et il aurait aimé avoir l’éloquence nécessaire pour insuffler à Fergus l’enthousiasme candide qui l’émerveillait par bourrasques, mais ne parvenait jamais à exprimer correctement ce qu’il ressentait. Aussi, pour seule réponse, il adressa à son aîné un mince et timide sourire, un peu triste, les yeux baissés.

Mais l’aîné, par une curiosité goguenarde, semblait surtout avoir trouvé un sujet plus distrayant. Entendre Percy parler d’une fille était sans doute une anecdote croustillante, assez rare et peu probable pour que Fergus y prête attention. Qui aurait cru qu’un garçon tel que lui puisse avoir la moindre chance de séduire une fille normalement constituée ? Certainement pas le principal intéressé en tout cas. Encore aujourd’hui, il lui arrivait de se demander ce qui clochait dans ce bonheur insensé, et quand la belle jeune fille viendrait y mettre un terme par des mots cruels, de méchantes railleries ou une trahison quelconque. N’y croyant toujours pas, il se laissait traîner dans cette joie par la fougue naturelle d’Indianna, qui se torturait sans doute moins l’esprit que lui et qui profitait de cette belle rencontre et de l’amour naissant que Percy avait encore peine à imaginer.

Quoi qu’il en soit, le ton taquin de Fergus ne lui donna guère envie de lever le regard vers lui. Avec un tel sujet, inépuisable pour embarrasser son pauvre cadet, le grand chef de gang craint, respecté et admiré, ne résistait pas à l’infantile envie de le torturer, sachant d’avance que ses railleries amicales fonctionneraient à merveille. Aussi, semblant malgré tout vouloir le rassurer, car Percy paraissait souffrir que l’on puisse imaginer sa tendre amie se mêler au vice infâme de la prostitution, il lui assura plus sérieusement qu’il le croyait bien volontiers concernant la chasteté de sa chère Indianna. Il connaissait sans doute trop son prude cadet pour se l’imaginer s’amourachant d’une catin.

Percy crut donc devoir lever les yeux et gratifier d’un léger sourire accompagné d’un timide « Merci » Fergus pour sa magnanimité alors que l’occasion de se montrer taquin était si belle. Les conseils qui suivirent, qui se voulaient fraternels, et que Percy aurait préféré ne pas entendre, lui firent regretter ses remerciements. Atrocement gêné par ce que l’ouvrier laissait sous-entendre et que Percy, malgré son inexpérience, pouvait deviner, il baissa de nouveau vivement le regard, le rivant sur le sol, ébouriffant ses cheveux d’une main nerveuse. Les yeux fermement ancrés sur les bottes de son goguenard mentor, la main toujours crispée dans sa tignasse rousse, il s’exclama d’une voix indignée :

- Fergus ! Je ne veux pas…Enfin…je n’ai pas l’intention…Crois-tu que ? Je la respecte trop, enfin…Je ne ferais jamais…Enfin, tu sais…Mais…Pourquoi crois-tu que ? Partira-t-elle si… ? Ah…Non…Je ne veux pas…entendre encore…Non…N’en parlons plus…S’il te plaît…

Pour parachever ce tableau déjà horriblement embarrassant pour Percy, l’évocation de Saul, qui était pour lui la proche ressemblance d’un père, contribua à amplifier sa gêne monumentale. Jamais, ô grand jamais, le jeune garçon n’aurait l’audace d’aller questionner le bonhomme sur un sujet aussi délicat, malgré son succès en la matière, en témoignait sa nombreuse et turbulente marmaille.

Le cerveau de Percy bourdonnait et s’embrumait plus qu’à l’ordinaire, ayant l’impression d’être un gamin pris en faute, face à un juge accablant et légèrement sadique. Pour ce seul et unique sujet, le jeune garçon n’avait guère envie de suivre les conseils de son aîné. Son instinct d’émotif, de romantique et d’indécrottable candide lui soufflait que Fergus ne se comportait peut-être pas comme le prince charmant idéal envers les filles. A la vérité, si l’affection que Percy lui portait ne tendait pas à la vénération, et si il n’avait pas eu l’atroce impression de commettre un blasphème rien qu’en le pensant ne serait-ce qu’une seconde, il aurait soupçonné l’ouvrier d’être un mufle.

Il n’en savait rien à dire vrai. Fergus était, sur sa vie intime, au moins aussi secret que lui, et jamais on ne le voyait accompagné. Il ne s’agissait que d’une vague impression, renforcée par la manière dont il parlait de « se saisir de quelque chose », là ou Percy se voyait déjà si heureux de partager ces moments de rêve ou il pouvait saisir la main de la jolie rousse, et plonger béatement son regard dans le sien. Là ou Percy voyait émerveillement, gratitude et joie, Fergus semblait ne voir que le plaisir de la conquête, l’ennui de ce qu’il avait obtenu, le rejet de celle dont il ne prenait sans doute même pas la peine de sonder l’âme.

Le jeune homme, muet, aveuglé par un embarras sans nom au fond duquel le mettait sans ménagement et avec quelque taquinerie son aîné, devinait le sourire goguenard de son interlocuteur, ne trouvant pas la force de lever ses yeux troubles vers lui. Il ne parvenait plus à démêler le fil de ses pensées, le cerveau embourbé par la pudeur et la gêne, l’embrasement de ses joues montant jusqu’à la racine de ses cheveux roux. Il fallut une certaine surprise et le ton devenu soudain plus sérieux de Fergus pour redresser d’un coup la tête du jeune Mortimer noyé dans la honte. Même un esprit aussi simple que Percy comprenait l’allusion. Certes, il avait la confiance du leader de la Tribu ; mais ses affections et son entourage ne devaient à aucun prix risquer la sécurité du clan. Le jeune homme ne put s’empêcher de se montrer quelque peu blessé de cette mise en garde déguisée, bien qu’il trouve normal que l’aîné rappelle parfois les règles primordiales à respecter au sein du gang.

Les relations sociales extérieures faisaient prendre un gros risque au clan. A chacun de se montrer d’une vigilance extrême, afin d’éviter les espions éventuels des factions rivales, des forces de l’ordre, et autres ennemis que la Tribu, en s’accroissant, multipliait. Si il était déjà ardu de refouler ses sentiments et de dissimuler une partie de sa vie pour un adulte à l’intelligence émotionnelle normalement constituée, Fergus était en droit de s’inquiéter de la faiblesse d’esprit de son protégé et de la facilité avec laquelle une femme pourrait lui soutirer des informations. Mais Percy restait moins stupide que ce que la foule pensait, et contrairement à ce que lui-même aurait cru, il avait appris de sa mésaventure avec Emma. De plus, sa loyauté envers Fergus le rendait muet, et ne s’accommodait pas avec la confiance pourtant totale qu’il avait en Indianna, intelligente et vivace jeune fille qui se gardait bien de le questionner. Il aurait confié sa vie à sa bien-aimée, sans même une hésitation ; pourtant la peur de trahir Fergus lui clouait la bouche, et jamais la moindre évocation à lui, à ses activités, à la Tribu et à ses membres n’avaient franchi ses lèvres. Si l’ouvrier avait pu lire au fond du cœur, de l’âme et des entrailles de Percy, il se serait ôté le poids d’une inquiétude inutile.

Mais comment Percy pouvait-il formuler un état d’esprit aussi complexe ? Comment exprimer cet enchevêtrement d’émotions, et ainsi rassurer Fergus, alors qu’il avait peine à aligner trois mots sans bégayer ? Lui-même n’était pas certain d’en avoir une conscience très nette. Il savait du fond de son âme qu’il pouvait avoir une confiance aveugle en Indianna, de même qu’il se savait incapable de trahir Fergus ; et cela suffisait à expliquer son mutisme vis-à-vis de sa chère compagne, lui qui pourtant ne mettait pas un instant en doute sa loyauté. La jolie rousse allait même jusqu’à lui faciliter la tâche en se montrant d’une discrétion sans égale, et en évitant de l’embarrasser en l’obligeant à mentir. Les sujets sur lesquels il se taisait, elle ne les évoquait pas. Et ce silence mutuel les comblait. Heureux et paisibles, ne demandant rien d’autre, chacun se fichait de la vérité de leur quotidien qu’ils se taisaient. Il suffisait à Percy de savoir qu’Indianna ne s’abaisserait jamais au métier de prostituée ; il suffisait à Indianna de savoir que Percy lui appartenait. Le reste n’était que détails qui auraient encombré leur idylle merveilleuse empreinte de magie qu’ils vivaient chaque fois qu’ils avaient le bonheur de se retrouver.

Percy devait la loyauté à une si tendre, si honnête et si courageuse jeune femme.  Se sentant ragaillardi par son devoir de défense envers sa bien-aimée, le jeune homme redressa soudain la tête, les pieds fermement ancrés sur le sol, droit sur le siège de fortune que Fergus lui avait grâcieusement cédé. Et c’est avec ce sourire timide qui le caractérisait si bien, mais le visage un peu plus grave que d’ordinaire, que Percy déclara à son aîné :

- Je te donne ma parole…qu’elle est…de confiance…Je peux…te le jurer…Voudrais-tu…juger par toi-même ?

Le jeune homme regretta ses paroles à l’instant même où il les prononça. La confiance aveugle qu’il avait en Fergus n’était pas en cause. Il ne s’agissait nullement de jalousie mal placée. L’ouvrier n’était pas de la trempe de son frère et il avait bien assez de conquêtes à son actif pour devoir s’enticher de la belle de Percy. Mais il redoutait à présent que Fergus saisisse l’invitation au vol et ne veuille juger de la confiance de la demoiselle par lui-même. Il redoutait surtout les brusqueries et le manque de délicatesse de Fergus, qui avaient des moyens bien à lui de juger de la loyauté des gens. Il savait Indianna courageuse, infiniment plus que lui. Mais il sentait qu’il était de son devoir de lui éviter cette épreuve, en tout cas le plus longtemps possible. Pour le moment, il n’avait qu’à espérer que l’ouvrier ne soit pas tenté par sa stupide proposition…
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