« On trouve toutes sortes de gens - Lydess & Léonie »



 
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MessageSujet: « On trouve toutes sortes de gens - Lydess & Léonie » « On trouve toutes sortes de gens - Lydess & Léonie » Icon_minitimeVen 16 Fév - 12:05



On trouve toutes sortes de gens

« Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ! »

Cirque O'Farrell - 1891.

Ce jour-là, chose typiquement londonienne -il pleuvait. Une grisaille pesante s'abattait sur la capitale britannique, sur ses alentours, et sur les esprits de ses habitants. Léonie n'y faisait pas exception, hélas. N'ayant trouvé que peu de sommeil la nuit précédente et levée de bonne heure par obligation plutôt que par envie, il n'y avait pas grand chose de réjouissant dans le quotidien de l'enfant du cirque -celle qui faisait rêver une fois le soir tombé et que l'on ne laissait pas rêver en retour.

La matinée de Mademoiselle Sax se résumait ainsi -sans même avoir englouti un mince déjeuner, elle attaquait les étirements qui allaient lui servir pour ses entraînements à venir. C'était là une pratique rigoureuse et qui était essentiellement régulière afin de conserver les membres souples et le corps, flexible. Seules quelques journées de fainéantise pouvaient suffire à engourdir un muscle ou à déshabituer un tendon, et là -c'était déjà une tragédie. Il ne faut que si peu de chose pour retirer sa grâce à une danseuse, et une danseuse sans grâce, c'est un numéro raté. Léonie ne pouvant pas se permettre de faire preuve d'une telle négligence, elle suivait depuis ses plus jeunes années cette routine aussi difficile que cruelle, si bien qu'elle avait fini par ne plus s'en plaindre.
Aussi, aussitôt qu'elle eut terminé ses échauffements qu'elle faisait à la sortie de sa roulotte, la jeune fille affamée s'empressa de se dénicher quelque collation matinale qui se résuma à un verre de lait et à quelques biscuits. Elle était habituée à manger peu, et pourtant, parvenait à rester en forme athlétique. Car le quotidien des danseurs est souvent ainsi -on doit produire beaucoup en disposant de peu. Cela non plus, elle ne s'en plaignait plus depuis fort longtemps.

Une fois son déjeuner avalé, une autre quête survint à l'esprit de Léonie. Une pensée qui lui avait traversé la tête encore la veille au soir, mais qu'elle n'avait pu mettre en action que maintenant. Puisqu'elle gérait elle-même la plupart de ses entraînements, elle se permit de prendre un peu de repos afin d'aller trouver Lydess, la diseuse de bonne aventure vivant la plupart du temps au cirque O'Farrell, pour qui elle avait une demande particulière.
Ses petits pas rapides, agiles et réguliers la firent se faufiler jusqu'à la roulotte de ladite Lydess. Elle évitait tout obstacle sur son chemin et parvenait à rester silencieuse comme une souris, que ce soit lorsqu'elle passait près des coulisses ou près de la cage à lions auxquels elle jeta un bref regard heureusement habitué.
Là voilà maintenant qui se trouvait face à la roulotte appartenant à Lydess. Pas essoufflée le moindre du monde, Léonie se retrouva cependant confrontée à une porte fermée, et le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'était pas prêt de l'arrêter. Elle n'était pas du genre intrusive, mais plutôt persévérante. Alors c'est sans la moindre hésitation qu'elle s'avança afin de frapper des coups continus sur la porte de la roulotte en s'exclamant, d'une voix basse mains insistante dans laquelle on entendait un léger sourire; « Lydess ! Lydess, ouvre-moi !»

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MessageSujet: Re: « On trouve toutes sortes de gens - Lydess & Léonie » « On trouve toutes sortes de gens - Lydess & Léonie » Icon_minitimeVen 16 Fév - 12:08



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« Il ne faut pas réveiller la louve qui dort. »

Cirque O'Farrell - 1891.

Le sommeil était quelque chose de si agréable, alors que doucement le soleil entrait dans les parois écarlates et décharnés des fissures que comportait sa roulotte de fortune. Toujours son nez se penchait vers le côté gauche, là où la roue branlante se morfondait en elle-même, rendant la demeure de fortune pas si évidente que cela à habiter. Mais Lydess avait finit par l'apprécier, la trouvant aussi bancale qu'elle-même. Puis, elle s'y plaisait, dans ce mélange sans équilibre, ce lit pas droit dans lequel il n'y avait que trop de couvertures sales et déchirés par endroit. La cartomancienne n'était pas ceux qui aimaient faire les travaux de couture. Elle en avait quasi même horreur. Si quelque chose était abimé, soit l'on en volait un autre, soit l'on s'en contentait. La vie était trop courte et trop dure pour que l'on s'inquiète de risquer la blessure de l'aiguille. C'était dans le plus simple appareil donc que la demoiselle dormait sur son matelas de paille, couverte par ces multiples choses qui lui donnaient faussement l'illusion d'un corps amoureux au dessus d'elle.

Elle serrait contre elle un coussin de plume d'autruche -toute récupérée dans le plus pur respect d'attendre que les plumes tombent d'elles-mêmes. Bavant allégrement dessus, ses rêves partaient dans des élucubrations sans queue ni tête. Au départ elle était avec un petit garçon à qui l'on avait laissé une écharpe autour des pieds, une écharpe rouge qui se transformait en serpent pour aller dans sa bouche. Ensuite, il y avait des nuages qui s'échappaient de la Tamise et des pluies de suie qui coulaient le long des visages défigurés par un orgasme extatique et commun. De lentes barques fantomatiques trempaient sur le bord des ports dans lesquels se trouvaient des hommes informes et sombres tenant chacun une liste dans les mains. Ce n'était pas exactement le meilleur rêve au monde, et elle avait fait bien mieux dans sa vie. Pourtant, c'était bien ici l'un de ces rêves obscures et terrifiants qui vous faisait vous réveiller en sursaut, et pas uniquement car au delà de la porte un petit poing frappait avec énergie pour vous réveiller de votre bien trop courte nuit. S'élevant des limbes en se tenant le visage, n'appréciant pas qu'on la réveille de cette manière, Lydess se revêtit rapidement d'une robe informe et d'une chemise par en dessous pour se montrer quelque peu présentable, puis ouvrit la porte en se cachant les yeux des éclats du soleil:

- ...oh c'est toi ma mignonne... rentre, mais j'te promets rien, je viens de me réveiller...

La cartomancienne l'invita donc à rentrer et referma la porte derrière elle, car il était hors de question que quelqu'un d'autre puisse la voir dans un tel état comateux. Souriant doucement, mais avec les yeux entrouverts de quelqu'un qui n'avait pas émergé depuis peu de temps, elle fit quelques pas pour s'approcher de son nécessaire à café tel un zombie. Il ne lui fallut pas longtemps, dieu merci, pour s'en faire. S'engorgeant un profonde tasse d'un café bien noir sans aucun morceau de sucre, elle s'assit devant la petite, massant ses orbites d'une paume fragile.

- Tu es bien matinale... ou alors c'est moi qui dors depuis trop longtemps, va savoir.

Elle maugréait dans ses lèvres, ses tentatives de faire des phrases se révélant être davantage... des tentatives qu'une réelle conversation ayant du sens. Il ne faisait pas bon avoir une Lydess en face de soi qui n'avait prit sa dose de caféïne. Cela faisait trop longtemps à présent qu'elle était entièrement dépendante de cette légère drogue du réveil. Lorsqu'elle en but deux ou trois gorgées, son regard s'éveilla aussitôt, retrouvant cette parcelle de lumière dans l'iris. Son sourire redevint sincèrement honnête, et lentement, elle tapota sur la table d'un doigt en riant:

- Voilàà ! Bon, quel bon vent te mène ? Tu vas bien ?

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« Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ! »

Cirque O'Farrell - 1891.

Aussitôt que Lydess eut ouvert sa porte à Léonie, la demoiselle se précipita à l'intérieur de la roulotte. Enfin, plus exactement, elle attendit que la diseuse de bonne aventure l'ait autorisée à le faire, l'invitant à rentrer, pour en franchir le seuil. Aussi obstinée et sans-gêne Léonie pouvait sembler à certains moments, elle avait gardé de ses jeunes années parisiennes un certain sens des bonnes manières dont elle se servait à son bon plaisir. Parfois elle se montrait agréable, parfois c'était tout l'inverse, dans quel cas ses attitudes étaient tout simplement mises de côté, pour ne pas dire oubliées. Elle était dame lorsque ça l'arrangeait, tout simplement.

Contrairement à Lydess, Léonie était particulièrement bien réveillée. Mettez cela sur le compte de ses exercices physiques matinaux ou sur l'excitation qu'elle avait à l'idée d'évoquer la raison de sa venue, mais le fait est que si l'une se frottait les yeux en émergeant du sommeil, l'autre sautillait d'un pied à l'autre en arborant un grand et charmant sourire. Si Léonie était plutôt du genre entêtée, il était possible de la voir souriante malgré ses éternelles lamentations. C'est là à la fois une preuve d'innocence et de force de caractère, tous deux étant particulièrement propres à la jeunesse qui emplissait cette petite connaissant pourtant de nombreux malheurs du genre humain. Elle avait beau avoir enchaîné les mésaventures jusqu'à se retrouver au service d'un cirque qui ne lui plaisait guère, elle souriait et elle riait. Que ce soit par moquerie ou d'amusement, les grands yeux de la demoiselle n'étaient pas encore arrivés au point où ils allaient cesser de briller envers et contre tout. Peut-être même que ces lueurs ne s'éteindraient jamais dans le regard de celle qui se traçait déjà une vie de femme de caractère et de tempérament.

« Lydess...» commença par insinuer Léonie une fois qu'elle eut l'intention de celle-ci. Rien qu'à l'entente du ton employé par la jeune trapéziste, on sentait déjà arriver une certaine forme de requête ou de demande. C'était bien évidemment correct, et particulièrement évident si l'on réfléchit un moment à la situation dans laquelle elles se trouvaient. Léonie ne tarda d'ailleurs pas à s'expliquer car même si elle aimait se faire désirer, elle n'aimait pas lorsque les gens le faisaient en retour et passaient par quatre chemins pour annoncer une nouvelle. Alors elle fit preuve de bonne foi et d'honnêteté, et annonça la raison de sa venue ici :

« J'aimerai que tu me tires les cartes ! »

C'était aussi simple que cela. Certains le prendraient mal, d'autres en riant. Léonie avait ses envies que l'on ne cherchait pas toujours à expliquer, et parfois, elles étaient suffisamment évidentes pour qu'il n'y en ait pas le besoin. Après tout, pourquoi une demoiselle telle que la jeune Léonie ne voudrait-elle pas se faire tirer les cartes ? C'était une distraction fort intéressante, et elle avait en sa compagnie une amie -car oui, elle considérait assurément Lydess comme étant son amie- qui se trouvait être une véritable spécialiste.
À ces mots, et devant la réaction de Lydess, la demoiselle ajouta, en haussant légèrement les sourcils, un petit « S'il te plait...?» qu'il était si rare d'entendre de sa bouche, et qui ferait peut-être bien pencher la balance en sa faveur si celle-ci ne l'était pas déjà.

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« Il ne faut pas réveiller la louve qui dort. »

Cirque O'Farrell - 1891.

La petite demoiselle ne manquait pas de force, surtout dès le matin. Lydess restait dans son petit trou merveilleux, ce semi-coma qui la caractérisait tant lorsqu'elle se réveillait. Comment pouvait-on demander à quelqu'un d'aussi bon matin de seulement vivre ? Le matin était fait pour doucement se réveiller, regarder les éclats du soleil nouveau sur sa peau et revivre l'air frais du matin. Pas pour parler, faire marcher ses neurones et encore moins ses pouvoirs magiques, non mais vous y croyez vous ? Lydess bailla très fortement dans son café, regardant sa surface d'un air presque perdu. Pourtant déjà la petite l'aguichait, lui faisait cette moue dont seuls les enfants avaient le secret. Heureusement qu'elle avait soif de son café, charme parfait qui parvenait avec grand miracle à soigner son petit malaise du matin. Cela lui avait permis d'éveiller son regard, et ainsi elle put le plonger dans celui de la petite demoiselle, trop pleine de vie. Quel chance ça avait, les enfants, à être toujours pleins d'énergies jusque dans la moelle de ses os. Pourtant, Lydess ne se souvenait pas avoir été ainsi enfant. Elle était plutôt la masse ancestrale, la grand soeur qui canalisait les élans des autres petits enfants. Peut-être a-t-elle toujours été trop mature pour son âge.

Terminant son café avec une grande lampée avare dont elle avait le secret, Lydess reposa sa tasse chérie tout en repoussant l'idée d'en reprendre une deuxième. Ce n'était pas conseillée. Le café à outrance lui donnait parfois des palpitations dans les veines, avec cette étrange sensation de ne plus avoir assez d'air dans la gorge et un tourbillon dans l'estomac. Un peu comme trop d'alcool. Quand elle entendit la question de la petite, ce fut un éclat de rire qui s'échappa de sa gorge. Comme elle y allait, dès un matin si tôt et si pur, la voilà en train de quémander le Destin du bout des doigts.

- Qu'est-ce qu'une petite fille comme toi peut avoir à demander aux cartes ?

C'était une question sincère qu'elle posait, tout en prenant son jeu de carte qu'elle mélangea avec entrain. Qu'est-ce que quelqu'un qui n'avait pas encore goûter à la vie pouvait bien avoir peur de ses présages ? Que pouvait-elle en attendre ? A son âge même, Lydess n'avait jamais eu grand intérêt à connaître son avenir. A présent encore, elle ne s'intéressait pas à lire ses propres tirages. La cartomancienne avait compris depuis bien longtemps à présent que ce n'était pas possible de lire son propre avenir à travers les cartes. La subjectivité était le pire ennemi de la cartomancie. La voyance ne supportait pas les affres et la panique du coeur, et c'était lorsque le sujet était le plus éloigné possible de soit que l'on parvenait à faire les meilleurs diagnostiques. Mais entendre le petit "s'il te plait" que Lydess savait souvent si inexistant dans la bouche de cette petite enfant star qui faisait depuis quelques mois la renommée de leur spectacle -et redorer leur image de la même manière, lui fit naître un petit sourire attendri et revigora son instint maternel. Elle chercha donc rapidement des bougies qu'elle alluma pour recréer cette ambiance tamisée dont elle avait besoin pour travailler. Est-ce que la petite saurait véritablement se concentrer ? Lydess avait envie de lui fournir une divination de qualité, car c'était quand même sa petite enfant étoile, quelque part.

- Assis toi correctement sur ta chaise et fixe cette lueur de tes yeux -elle montra la bougie d'un geste de la main. Prends une profonde respiration, je veux que tu penses très fort à une question, auquel tu veux que je réponde. Tu couperas ensuite le tas de carte de ta main gauche vers la gauche.

Quand ce fut fait, Lydess étala les cartes sur la table et lui demanda d'en choisir cinq.

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Cirque O'Farrell - 1891.

« Les cartes ne savent pas que je suis une petite fille » , répondit Léonie en haussant légèrement les épaules, plus par humour que par réelle conviction. D'ailleurs, elle était bien la première à répondre lorsque quelqu'un usait de son âge comme un argument. Il y a de nombreuses situations où Léonie avait fort raison d'émettre une objection lorsqu'elle se faisait rabaisser à ses quelques quatorze années. Il y en avait d'autres où c'était tout le contraire, et où l'on regarde amèrement cette jeunesse qui s'ignore, berçant dans un monde qui ne devrait pas être le sien, et qu'elle prétend aimer. À vouloir grandir trop vite, on commet de ces erreurs que l'on nomme tragédies.

Face au consentement de Lydess, la jeune trapéziste ne pouvait que se réjouir. Son souhait du jour avait été exaucé, et laissera bientôt place à une autre petite folie. Peut-être que cette fois-là, elle sera confrontée à un refus catégorique, mais qu'importe. Lydess avait accepté, et c'est tout ce qui comptait sur le moment. Il y a de ces enthousiasmes qui nous aveuglent et que l'on place au-devant de toutes nos priorités. L'épanouissement fait des ravages, chez les adultes comme chez les enfants, ainsi que ceux coincés entre les deux, comme c'était le malheureux cas de Léonie.
Hochant la tête aux instructions de Lydess, la jeune fille s'empressa de s'asseoir à la place indiquée tandis que la cartomancienne allumait les bougies qui offrirent à la pièce cette atmosphère tamisée si bien connue, et qui ne fit que réveiller un peu plus l'excitation de Léonie, déjà pressée de découvrir ce que les cartes allaient dévoiler.

Si jusque là, elle gigotait sur sa chaise, balançant les pieds comme elle le faisait si bien sur son trapèze, elle retrouva un calme soudain lorsque Lydess commença la séance à proprement parler.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Les grands yeux de Léonie s'immobilisèrent sur la lueur de la bougie désignée, et elle s'y concentra du mieux qu'elle le pouvait. Ses pieds avaient cessé de se balancer, ses mains ne chipotaient plus aux pans de sa jupe, et son souffle s'était comme momentanément coupé, témoignant ainsi du fait qu'elle prenait tout ça à cœur. Cela ne pouvait signifier que deux choses; Léonie avait une question fort importante à poser aux cartes de Lydess, ou alors, elle était en cruel manque de distraction, et le tirage de cartes lui avait paru être une solution miracle.

Une profonde inspiration fit frémir les lèvres de Léonie, encore légèrement rougies du rouge à lèvres qu'elle portait la veille au soir et dont la pigmentation était fort résistante en raison de sa dangereuse composition -ce n'était pas une très bonne chose, mais encore une fois, tout dépend du point de vue.
Elle étendit sa petite main gauche dont les doigts fins et gracieux saisirent une partie du tas de cartes afin de le couper vers la gauche, comme Lydess l'avait dit. Quant à la question, eh bien, elle était fort simple, mais aussi fort délicate. Quelque chose d'insolite, que ne pouvait se demander qu'un artiste de cirque, et pourtant, qu'il est toujours malheureux d'envisager.
« Quand vais-je tomber de mon trapèze ? » était la question volage qui turlupinait les songes de la jeune artiste. Mais c'était une question dont le véritable sens était bien plus triste, et surtout, bien plus fâcheux. La chute, c'était l'échec. L'échec, pour une danseuse, c'était la fin. La fin d'une carrière, la fin d'une gloire, qui menait parfois à la fin d'une vie.
Mais Léonie était encore loin de se préoccuper des répercussions que la réponse pouvait avoir. Pour le moment, c'était la curiosité qui parlait, et non la peur malsaine qu'elle laissait sous-entendre.

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« Il ne faut pas réveiller la louve qui dort. »

Cirque O'Farrell - 1891.

Dans la pénombre instaurée par ses volontés divinatoires, Lydess n'avait fait que peu de cas de l'aspect intimidé de la demoiselle; ne paraissant finalement plus tant aussi volatile que normalement. L'encens dégageait une délicate odeur raffinée, permettant à l'esprit de se reposer davantage, afin que la lueur de bougie devienne quasiment confortable à regarder. A s'y perdre les pupilles de ses orbites, dans une ambiance douce amère loin de la lumière révélatrice du soleil. L'on était ici dans un autre monde, double avec des significations magiques. Ici, les doigts agiles de la cartomancienne jouaient avec le Destin lui-même, caressant à chaque carte un conseil, une solution, une situation, une inquiétude. L’imagerie de Belline avait de cela si incroyable qu'elle allait jusqu'aux peurs les plus profondes d'un individu. Ses traits grossiers, à mi-chemin entre l'iconographique médiéval et celle d'un enfant qui apprenait tout juste à écrire, en étaient rendus si simples et efficaces qu'elles éveillaient le cerveau reptilien de l'être humain. Prenant sa source dans la base même de ce qui nous rendait ce que nous sommes, dans nos réactions primaires et notre conscience animale. Par chance, la matinée avançait lentement; le soleil montait petit à petit avec les minutes et les doigts froids de Lydess peinaient encore à être parfaitement délié.

L'entremise aurait pu être sans importance. La jeune rouquine sourit d'ailleurs avec entrain lorsque sa petite Leonie pointa le fait que les cartes ignoraient qu'elle était une petite fille. La réponse était si pleine d'une logique et d'une réflexion imparablement efficace qu'elle eut le don d'arrêter Lydess alors qu'elle battait les cartes. S'en suivit un rire honnête et franc, de ceux dont elle avait le secret. La cartomancienne manipulait à présent ses cartes depuis plusieurs années, et les voyait presque comme une entitée douée de conscience, comme un ami à qui l'on pouvait se confier; quasiment comme une divinité à laquelle on se confessait. Il fallait se rendre à l'évidence. Ce n'était que des morceaux de papiers. En prouvait d'ailleurs toutes les étranges versions que l'on voyait à travers les étales prétenduement magiques, ne modifiant que très souvent que les illustrations, le nom et la forme des cartes. Une grande déception s'était emparé de la voyante quand elle comprit l'hypocrisie de cette univers marchand, perclues d'instances pécunières même au sein de ce monde si incroyablement complexe qu'était la sorcellerie. Mais tout le monde devait pouvoir casser sa graine, n'est-il pas ? Lydess regarda les cartes qui se mélangèrent entre ses mains roides et lentes, les posant rapidement sur la table pour que la petite puisse les couper et les tirer. La question pénétra ses oreilles avec une soudaine lourdeur, la stoppant dans ses gestes. La joie qu'elle avait alors s'estompa sombrement, son visage reflétant alors un bien triste miroir:

- ... Léonie... tu ne devrais pas penser à ça... tu es une grande artiste, ton talent est indéniable, jamais tu ne tomberas...

Mais au fur et à mesure qu'elle parlait, la cartomancienne comprenait l'idéalisme de ses propres paroles. Tout être au monde d'un tant soit peu sain avait peur de l'échec. Pour aller plus loin encore, tout artiste se remettant en question était un grand esprit. La tristesse de son visage se para alors d'un petit sourire tendre, tout en l'observant. Ce n'était pas avec une parade aussi vague et convenue que Lydess allait faire faire machine arrière à la trapéziste, bien au contraire. Elle savait également qu'elles partageaient toutes deux cette détermination et ce culot à faire palir n'importe quel individu de ce grand royaume; la restreindre était ridicule. La jeune princesse du Cirque avait posé une question, et ne repartirait pas sans en avoir une réponse claire.

L'observant tirer les cartes, elle ne savait pas elle-même ce que donnerait le tirage, et priait intérieurement pour que la réponse soit positive, même si cela était encore incertain. Mais voici que la première carte se dévoiler. Celle de pourquoi elle pouvait tomber se dévoila. Une carte de l'Ordre de Mercure, symbolisant le mouvement. Voilà qui était appliqué avec la pratique de la voltige. Lydess la tapota avec attention et regarda la demoiselle avec un petit sourire:

- La carte du Changement. Tu suis la même routine de spectacle, mais quelque chose va changer, que ce soit dans le déroulement de ton art, ou peut-être même en toi-même. Tu vas grandir, traverser la période de l'adolescence, avec tout ce que cela comporte en bouleversement mental et physique. Je pense qu'avec ces transformations physiques, tu vas devoir apprendre un nouveau sens de l'équilibre, t'ajuster avec un nouveau poids -que tu ne pourras pas éviter. Si tu ne fais pas attention, tu pourrais ne pas parfaitement le maîtriser, et c'est ce qui causera... la potentielle chute.

Ce qu'elle avait tenté de prendre à la légère avec un petit rire lui revint brusquement en tête, tandis qu'elle terminait sa phrase sur une teinte légèrement sombre. Mais pas de temps à perdre, car déjà la carte du contre se devait d'être tirer. Une carte de l'Ordre de Jupiter, symbolisant la chance et la réussite. Mais le nom du papier en question arracha un sourire de convenance à la cartomancienne. Les cartes avaient parfois de désastreux qu'elles ne faisaient parfois qu'éclaircir de désastreuses évidentes. Aussi prenant une profonde respiration elle poursuivit:

- La carte de la Renommée. Tu es déjà célébrée pour tes talents, des talents qui justement te sauveront de la chute, car tu es trop douée pour tomber, voyons. (Elle rit un peu:) Plus sérieusement, je pense que tu es notre petite Étoile, et que si tu sens à cause de ton corps, que tu ne peux plus te permettre de faire certaines choses sans un important entrainement, qu'en parler avec O'Farrell peut être une bonne idée. Il ne se permettra pas de te perdre, ce n'est pas comme... Winston... enfin... tu sais comment il peut être parfois... bref, mais je pense aussi qu'il faut regarder cette carte avec un aspect plus sombre, même si elle est censée exprimer POURQUOI tu ne tomberas pas. En effet, la Renommée apporte la confiance en soit, et cette confiance, si elle est aveugle, peut te faire perdre le sens des réalités, et te faire croire pour plus forte que tu ne l'es. Apprends tes limites.

Et encore une fois, la jeune femme s'était perdue dans une voix joyeuse au départ pour descendre lentement dans les teintes obscures. Quelque part, il s'agissait de son côté maternel, qui voulait soulager la petite de ses inquiétudes, mais se refusait à ce qu'elle s'imagine en même temps hors de danger. Quant à Winston, oh, ce n'était qu'un figurant, un ancien membre du Cirque, peu important, qui avait été choisi pour remplacer un membre malade et important. Résultat, il en était mort. N'était pas acrobate ou dresseur de lion qui voulait. Découvrant la troisième carte, Lydess se retint de ne pas se taper le front pour se punir presque d'une carte aussi simpliste. Une carte solaire.

- La carte du Succès... bon, disons simplement que le conseil, c'est de pas te louper. C'est... ça arrive, malheureusement, ce genre de carte flou. Dans certains livres, il s'agit non pas de la carte du conseil mais de la carte du résultat, que je place personnellement en quatrième position. Pour le moment, je peux dire cependant que les planètes de tes cartes sont relativement positives.

Dévoilant sans plus autre préambule la fameuse quatrième carte, Lydess sourit en voyant une nouvelle fois le symbole solaire en haut à droite de la carte. Mais soupirant en voyant la nativité, s'empara aussitôt de son paquet pour découvrir une nouvelle carte, et l'ouvrir au dessus du tirage.

- La carte de la Nativité, je ne peux rien dire sur celle-ci si elle n'est pas recouverte. Surtout dans le cas de ta question. Je l'ai donc recouverte et la carte en question est...

Ses yeux s'ouvrirent grand et sa bouche s'entrouvrit légèrement, sa phrase se perdant dans l'obscurité de la roulotte. Dans un tirage aussi lumineux et incroyable, fallait-il donc que la dernière carte tirée soit une carte de l'Ordre de Mars ? Lydess déglutit et regarda ailleurs, passant une main sur ses lèvres, réfléchissant à la formulation de sa phrase. Ce n'était pas possible, est-ce que la finalité serait donc si mauvaise que cela ? Non, ce n'était que des conseils, des directions.

- La carte du Procès. Cela ne veut pas dire que l'on va t'attenter à une quelconque justice... Tu vas devoir lutter. Il y a... des risques que tu doives te battre pour arriver à tes fins. Tu vas... faire face à une nouvelle situation, complexe et qui ne sera pas forcément facile. Je... j'ai bien des théories mais... je ne peux pas, c'est... Tu es trop jeune...

La cartomancienne se refusa à continuer, refusant jusqu'à regarder la jeune fille dans les yeux. Pour calmer son angoisse, elle observa la bougie qui se consumer non sans agitation. La nativité, exprimerait-elle une nouvelle situation pour la demoiselle, qu'elle n'aurait plus ses jambes et devra se battre pour vivre sans ? Une sorte de renaissance morbide ? Lydess passa une main dans ses cheveux, songeant à une hypothèse plus sombre encore: serait-il possible qu'elle réussisse à ne pas tomber, avec la grâce d'O'Farrell, qui lui aurait donner du temps pour s'adapter à ce nouveau corps. N'aurait-elle pas alors affaire à l'ardeur toute païenne de cet homme qui souhaiterait récupérer en nature tout ce que la jeune fille lui ferait perdre en argent ? Cela tenait la route, même si c'était la chose la plus immonde auquel la voyante aurait pu penser. A savoir quel était la théorie la plus probable ou même la moins glauque, Lydess n'arrivait pas à se décider. C'était impossible. Que ne voyait-elle pas ? Où se trouvait la lumière dans cette sombre fresque glaciale ? Lydess n'avait rarement était aussi impliquée dans une lecture, peut-être était-elle tout bonnement trop subjective pour offrir une lecture correcte ? Un long soupir s'échappa de ses lèvres.

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« Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ! »

Cirque O'Farrell - 1891.

Durant les quelques secondes qui précédèrent le tirage de cartes, Léonie s’était comme figée. Cette concentration était un de ces mélanges fascinants de volonté et d’impatience, témoignant de la pureté de sa volonté. Il faut croire qu’elle y tenait, à sa question. Aussi curieuse celle-ci pouvait sembler, elle trouvait, aux yeux de la jeune trapéziste, une signification presque cruciale. Il n’était pourtant pas dans la nature de Léonie de vouloir connaître son sort. Elle, elle a toujours eu une vie toute tracée, et un quotidien voué à un but précis. Du temps du Palais Garnier, elle devait être une de ces brillantes ballerines resplendissantes jusqu’à leur mort prématurée. Lorsque vint l’époque des Catalans, en revanche, son destin était celui qui se construisait au jour le jour ; le but du jeu étant de voir quelles surprises le monde pouvait bien lui réserver.
Et pourtant, Londres avait bien changé la donne. Cette arrivée précipitée, incertaine même, était des plus troublantes pour celle qui, il y a quelques années à peine, n’était encore qu’une petite fille. Elle n'aimait pas le cirque ; elle aimait encore moins l’affreuse capitale. Souvent, elle regrettait Bruxelles et ses innovations, autant qu’elle regrettait Paris et son élégante rigueur. Parfois même, il n’était pas rare qu’elle soupire en se remémorant les routes de campagne qui lui déplaisaient sur le moment. Après tout, on se rend compte de la valeur des choses qu’après les avoir perdues…
Ainsi, cette répulsion qu’éprouvait Léonie envers sa situation actuelle justifiait son envie de reprendre le contrôle de ces choses qu’elle a toujours laissées entre les mains d’autres gens, ou d’autres événements. Son avenir, elle voulait s’en mêler. Aussi futile que cela puisse avoir l’air, elle ne comptait pas laisser O’Farrell et compagnie la diriger comme on l’avait pourtant si bien fait à Paris. Elle n’avait jamais protesté à Paris. Pas un seul mot de travers, pas le moindre regard mauvais n’avait jamais émané de sa part. Au cirque, en revanche, il n’était pas rare qu’elle fasse preuve d’opposition -des actions qu’elle regrettait aussitôt, et ces regrets ne faisaient qu’accroître la haine qui brûlait au fond de son âme qui n’était plus vraiment celle d’une enfant, et qui ne sera probablement jamais celle d’une adulte à proprement parler.

Lydess devait avoir bien entendu cette question qui se lisait dans les yeux de Léonie, puisqu’une mine triste vint souligner la gravité d’un tel songe. Allez savoir si la trapéziste saisissait la gravité d’une telle éventualité -peut-être qu’elle était même celle qui avait la vision la plus sombre des deux. Après tout, derrière cette peau de lys et ces grands yeux éclatants, les pensées s’enchainent et se mélangent, et la beauté des rêveries cède sa place à la laideur d’une réalité dystopique. Mais pour en avoir la confirmation, il faudrait s’appeler Léonie. Ou alors, être particulièrement doué à manier les cartes ?
Léonie ne répondit d’ailleurs pas à la remarque de Lydess. Elle avait toujours sur le visage cette gravité sereine qui, en fait, était due à sa concentration hors pair. Elle voulait savoir, alors elle prenait les instructions de Lydess au pied de la lettre. Si Lydess avait dit de se concentrer, alors Léonie allait se concentrer. Et sa concentration serait sans faille, sans défaillance, jusqu’à ce que la réponse tant attendue soit enfin claire devant ses yeux perçants de lucidité.

Léonie écouta donc le tirage avec grande attention. Elle ne loupa pas une miette des mots employés par Lydess, buvant ses paroles avant même de les avoir analysées. Son regard ne croisa d’ailleurs jamais celui de la cartomancienne, préférant s’en tenir aux fameuses cartes si révélatrices disposées sur la table à laquelle elles étaient installées. Léonie n’y comprenait rien, aux cartes. Tout ce qu’elle y voyait, c’étaient des dessins plus ou moins abstraits qui, pourtant, parvenaient à faire parler Lydess avec une admirable conviction. Il y avait-il donc réellement quelque chose à tirer d’un tel tarot ? Apparemment oui. Certains s’y plient, d’autres crient à l’insensé. Léonie, elle, ne s’était jamais vraiment posé la question. Après tout, la spiritualité (sous toutes ses formes diverses et variées) n’avait jamais eu de place dans sa vie ; elle a connu bien d’autres priorités. Au lieu de la messe du dimanche, c’était un entrainement supplémentaire avec le corps de ballet. Au lieu des séances de voyance, c’était un atelier sur la couture des pointes. La danse, le travail. Le travail, la danse. Un quotidien rythmé de douleur, obnubilé par une quête de perfection ; la grâce dans le malheur, l’idéal dans son opposé. Et tout avait été brisé, abandonné du jour au lendemain, sans même la moindre once de volonté.
Vint le moment de la carte du Procès. Celle-ci projeta un air sombre tant dans l’attitude que dans les paroles de Lydess. Ce n’est qu’à ce moment-là que Léonie réagit à proprement parler. Elle releva lentement le regard vers la cartomancienne qui essayait de taire les fameuses « théories » qui semblaient si lourdes à avouer. Quelque chose d’horrible, hein ? Quelque chose d’infâme, de vicieux ? Mais Léonie voulait une réponse. Elle voulait une réponse précise, pas des spéculations. D’ailleurs, son regard le fit bien comprendre : les tendres yeux de la jeune trapézistes brillaient d’une lumière sombre. Un sérieux bien trop mauvais, une insistance bien trop sale. À la voir ainsi, on aurait pu la croire prête à entendre n’importe quelle horreur. Pire -c’était comme si elle attendait exactement cela.

« Lydess… Quand est-ce que je vais tomber ? » demanda-t-elle une fois de plus, mais cette fois, avec une toute forme de gravité. Elle avait parlé lentement, mais sans énervement. Seuls ses yeux pouvaient se permettre d’insister, et Léonie ne quitta pas une seule seconde Lydess du regard. Elle était calme, mais elle n’était pas sereine. Elle s’attendait à une révélation, et elle attendait avec patience. Cependant, le tirage de cartes ne semblait pas exactement avoir pris la tournure qu’elle voulait. Et Dieu sait, quand Léonie veut quelque chose… Léonie est condamnée à se l’approprier.


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On trouve toutes sortes de gens

« Il ne faut pas réveiller la louve qui dort. »

Cirque O'Farrell - 1891.

Pour Lydess, les cartes ont toujours été chose irrévocablement sérieuse. On ne pouvait plaisanter avec les forces quasi septentrionales qui régissaient leur hasard. Aussi vieilles que le monde, elles ont toujours été convoqué pour nous venir en aide, nos questionnements incessants, notre peur de l'inconnu de notre existence, de la mort. Jamais on avait fait appel aux pouvoirs de Lydess pour quelqu'un d'autre, la générosité sans intérêt personnelle n'existait plus dans ce domaine. Les cartes sont appelées pour des problèmes qui nous touchent, qui nous font peur. Les demoiselles richissimes qui viennent demander quand leur prince charmant viendra, ont peur de devenir vieilles filles, de se retrouver marié de force à quelqu'un qu'elles n'aiment pas. Les questions autour de l'argent dénotent la peur panique de la pauvreté et de l'indigence. Des choses sommes toute si logique, au final, qui déprimait Lydess plus qu'autre chose. Les cartes sont toujours demandés comme un soutien, un support. Certains dormiraient avec, comme avec une peluche, rien que pour se rassurer sur leurs avenirs. Mais ces idiots ne comprennent pas que l'on ne peut dompter le jugement des cartes, que celles-ci ne nous apportent jamais récompense clair et qu'elles sont là avant tout comme des ampoules brillantes dans l'obscurité insondable. Des conseils murmurés à travers le hurlement du vent. Lydess serra les dents et alluma un nouvel encens.

Et elle en aurait cruellement besoin, car voilà que l'impatience de la jeune trapéziste, dans tout son esprit le plus obtu, vint chatouiller la propre patience de Lydess. Celle-ci eut le visage assombri. Au revoir Lydess la gentille maman; on ne joue pas impunément avec les conseils des cartes. Essayant cependant de garder le plus possible son calme, car elle n'était après tout qu'une petite fille et que ce genre de subtilité pouvait être difficile à comprendre pour son âge, Lydess prit une profonde respiration et regarda à nouveau la jeune fille. Son regard était d'une incroyable détermination mais cela était loin d'impressionner la cartomancienne. Cette dernière lui avait déjà dit tout ce qu'elle pouvait oser dire sans trop porter l'alerte. D'une voix qui se voulait résolument calme, elle tapota les cartes avec un air tout aussi déterminé et sombre:

- Les cartes ne sont pas des jouets à qui l'on demande de fonctionner sur le champ. Tu m'as posé une question, je t'ai donné toutes les réponses que je pouvais lire. Les cartes n'offrent pas des absolues certitudes. L'avenir qu'il y est écrit n'est pas gravé dans le marbre, c'est notre libre-arbitre qui prime sur le tout, même si c'est très souvent en essayant de fuir notre destin que l'on fonce dedans. Les cartes ne te donnent que des conseils pour éviter que tu tombes.

La voyante se redressa alors de la lueur des bougies et se leva pour se faire un nouveau café. Ce n'était peut-être pas très conseillé pour son humeur -car les "clients" obtus lui faisaient toujours perdre son calme- mais elle s'en moquait. Elle voulait son café, elle aurait son café. Normalement, cela faisait toujours son effet, les longues diatribes sur la véritable identité des cartes. La sorcière se doutait néanmoins que cela n'aurait peut-être pas l'effet escompté sur cette petite peste. Oui, Lydess pouvait être la femme la plus maternelle et agréable du monde, tant qu'on ne lui chatouillait pas les points sensibles. Elle ne comprenait pas cette réputation qu'avait les cartes de prédire la vérité même, qu'elles soient l'écriture divine du destin. Alors que soyons honnête, il ne s'agissait que de bouts de papiers dessinés, tiré par une grosse rousse dans le fin fond d'un cirque paumée, le tout coincé dans une roulotte à laquelle il est à deux doigts de manquer une roue. Ne croyez pas que par cette description, la cartomancienne soit en train de dénigrer son art, absolument pas. Au contraire, il y avait dans la simplicité de la formulation, une certaine magie. Car si tout le monde, connaissant un peu les cartes, pouvait faire un tirage; rare ils étaient à pouvoir correctement les lire, jouant d'intuition et de déductions pour découvrir la situation, l'analyser et pouvoir y répondre le plus sereinement possible à travers des conseils les plus honnêtes. Lire les cartes, surtout un art aussi complexe que l'Oracle, qui n'était absolument pas la même discipline que le Tarot, n'était pas donné à la première personne venue. Aussi, la rudesse de Léonie la mettait sur le fil. Et ainsi agacée, Lydess se rassit à la table, avec une tasse de café à la main.

- Léonie, qu'est-ce que tu n'as pas compris dans la lecture de ton tirage ? Dis-moi, je peux approfondir certains détails, ou les répéter.

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