Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~



 
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Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~

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Percy Mortimer
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MessageSujet: Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Icon_minitimeMar 10 Avr - 11:21



Réminiscences d’une nuit d’horreur

« Printemps 1891 »

Quartiers Résidentiels Luxueux

Un immense feu crépitait dans l’âtre de marbre ciselé avec un goût exquis. Affalé dans un fauteuil tapissé de velours écarlate, Percy s’abandonnait à la chaleur des flammes rougeâtres, savourant avec délices les joies d’un luxe dans lequel les bourgeois se vautraient au quotidien. Les soirées printanières de la capitale restaient suffisamment fraîches pour apprécier le confort d’un bon feu de cheminée. Le jeune homme, dans une langueur contemplative, égarait son regard vers la danse lascive, hypnotique, des lueurs rousses qui éclairaient la pièce. Le doux crépitement de l’énorme bûche de bois léchée par les flammes langoureuses, presque sensuelles, achevait de plonger Percy dans une torpeur bienheureuse, exalté par un confort d’ordinaire prohibé à la classe de nantis à laquelle il appartenait.  Ses jambes frêles se détendaient dans un relâchement involontaire, parcourues de tout leur long par d’agréables picotements de chaleur et de bien-être. L’embrasement qui montait à ses joues pâles ne ressemblait guère à la coutumière et désagréable chaleur qui d’ordinaire enflammait ses pommettes de honte, de gêne ou d’angoisse. Il y’avait dans ces légères plaques rosacées la satisfaction d’un repas copieux, le confort d’une posture agréable et l’abandon de l’être aux appels nébuleux d’un sommeil enivrant.

Une douleur légère le tira de son demi-sommeil. Son genou, en glissant, avait heurté la table basse chargée de dragées, de pâtes d’amande et de friandises diverses. Des tasses en argent gisaient, à demi remplies de café froid. Une carafe en cristal trônait au milieu de la table, cerclée de petits verres assortis, remplie d’une liqueur aux lueurs ambrées, que les hommes buvaient à petits coups. Le bruit des conversations ambiantes, feutrées, qui berçaient Percy l’instant d’avant, attirèrent à présent son attention. Il s’agissait de conversations dites « de salon », à l’intensité sonore peu élevée, au cœur desquelles les sujets étaient discutés sans véhémence ni impolitesse, qui n’excluaient pas malgré tout une bonne dose d’âpreté et une non moindre touche de dédain. Néanmoins la population causante en elle-même apportait une fausse note dans ce salon bourgeois et guindé ; la classe disparate et déguenillée qui constituait le cœur de la Tribu semblait avoir été projetée là, dans un endroit si beau qu’elle s’y sentait mal à l’aise, gauche dans son bleu d’ouvrier, ne sachant que faire de ses mains noires d’avoir à durement gagner son pain. Cette opulence, qui exaspéraient ces malheureux au quotidien, semblait, de par sa magnificence, les éblouir contre leur gré, ajoutant une humiliation de plus, contraints de vénérer ce qu’ils abhorraient et se sentant retenus, par une pudeur presque religieuse, de profiter impunément de ce à quoi ils avaient pourtant si peu l’occasion de goûter.

La Tribu avait été cordialement invitée à dîner par le propriétaire du petit hôtel particulier. David Baker n’avait guère eu d’autre talent que d’hériter de la fortune d’un père banquier, que des coups hasardeux à la Bourse avaient grassement enrichi. A la mort de celui-ci, le fils avait montré une prodigieuse aptitude à dilapider les revenus des placements fructueux que son père s’était évertué à contracter tout au long de sa vie. Le fils Baker se plaisait  à pimenter la monotonie de sa vie par un luxe affolant, et par un penchant terrible pour chaque vice qui pouvait se monnayer. La trentaine dépassée, l’intelligence toujours aussi peu florissante, il rêvait d’une cause, grande, noble, d’un idéal auquel vouer sa plate vie. Personne ne savait comment il avait convaincu Fergus, d’une méfiance extrême dans la bourgeoisie en règle générale, mais personne n’était dupe. Le leader n’accordait sa confiance qu’à de très rares privilégiés, et nul doute que cet individu suffisant ne l’acquerrait pas de sitôt. Il apparaissait en sauveur, apportant la rédemption à un clan au bord du gouffre, auquel il faisait l’honneur d’offrir son indispensable soutien. Tous riaient sous cape de cet homme, et les moins crédules savaient que Fergus l’avait à l’œil, et qu’il supportait son arrogance dédaigneuse par intérêt.

Aussi détestable soit les bourgeois, les avantages liés à leur compagnie étaient bien trop nombreux pour qu’un être aussi intelligent que Fergus les dédaigne d’un revers de main. Aussi l’ouvrier fondeur semblait s’accommoder en silence de la stupidité pédante et volubile de celui qui injectait sans rechigner une partie de son héritage dans les finances de la Tribu souvent exsangues, tout comme il acceptait de plutôt bonne grâce ces invitations qui remontaient le moral des troupes. Et puis, il aurait été idiot de dédaigner une potentielle planque de plus, plus encore lorsque, de par la bourgeoisie de son propriétaire, elle semblait hors de tout soupçon.

Percy ne partageait pas le malaise de certains de ces comparses. Il profitait de ce luxe insolent avec le naturel ingénu et bienveillant d’un enfant qui aurait reçu un cadeau. Certains de ses compagnons s’étaient montrés mal à l’aise, discrets et timides lors du dîner. Percy, en maigrichon vorace qui se respecte, s’était empiffré ; il avait d’abord englouti le premier service avec un formidable appétit; les huîtres aux écailles d’argent, trônant sur un lit d’algues, le jambon, coupé en tranches épaisses et roses, les pâtés en croûte et les œufs en gelée. En accompagnement de ces mets délicats était servi un vin français d’une belle teinte translucide, qui avait un côté rafraichissant qui trompa le pauvre Percy peu habitué à l’alcool, qui sifflotait son verre avec l’inconscience des buveurs peu aguerris. Rapidement débarrassée, la table avait accueilli les gibiers fumants, immenses, marinant dans des sauces épaisses aux doux effluves de menthe au fond desquelles nageaient de grosses pommes de terre à chair tendre. Le jeune affamé se délectait en trempant le pain blanc dans les sauces onctueuses, et en avalant la mie gorgée de bouillon parfumé. Sa tête était brumeuse du vin qu’il avait absorbé presque inconsciemment. Il continuait d’en boire pourtant ; un vin rouge, toujours français, mais plus capiteux, accompagnait les viandes, et Percy, déjà quelque peu grisé, ne sentait plus l’âpreté du breuvage qui en temps normal l’aurait rebuté.

Grisé d’alcool, l’appétit du jeune homme n’en devenait que plus phénoménal, et il se tailla après ces deux services une large part dans l’oie grasse qui venait d’être déposée sur la table, à côté des restes de gibier. Les conversations bourdonnaient à ses oreilles, tandis que ses mâchoires ne cessaient de broyer avec avidité les bouchées de nourriture que Percy enfournait à sa bouche. Les cakes aux fruits, scones et pâtisseries diverses subirent le même sort, et le café lui fit du bien, semblant lui remettre les idées en place. Mais la traîtrise du velours écarlate et des flammes mordorées eurent raison du peu d’énergie et d’esprit qu’il lui restait et ses paupières se fermaient sur un sommeil profond lorsque le heurt de son genou sur la table basse le ramena brutalement à la réalité. Ses yeux clairs s’ouvrirent brusquement et Percy dut réprimer un grognement qui aurait tourné toutes les têtes vers lui. Il se contenta de masser d’une main son genou endolori de l’air stupide qu’ont les gens que l’on extirpe trop vite d’un monde imaginaire pour la dure réalité.

Cherchant à ancrer de nouveau ses pieds à la réalité, Percy attrapa d’un geste vif et maladroit la tasse qui lui était attribuée, et vida d’un trait son contenu, un café noir fortement sucré mais froid. Percy fit la grimace en avalant une boisson qu’il n’était guère habitué à consommer, même chaud. D’un mouvement qu’il voulait leste, il reposa la tasse sur la soucoupe, manqua de la faire tomber, faillit une fois de plus se cogner le genou. La tasse vide retomba avec fracas sur la table. Le jeune homme rougit terriblement de sa maladresse accrue par la fatigue et l’ivresse légère qui embrumaient son cerveau déjà simple d’ordinaire. Le pauvre bougre décida de rester sagement tapi au fond de sa chaise, en espérant que cet état désagréable qu’il ne comprenait pas s’estompe de lui-même. Percy tenta de fixer son attention sur quoi que ce soit ; à quelques centimètres, une main était négligemment étendue sur le bras d’un fauteuil de même acabit que celui dans lequel il se trouvait. Les doigts de cette large main faisaient tournoyer délicatement le petit verre, d’un geste machinal. Et le jeune roux, l’esprit divagant, paraissant hypnotisé par le balancement léger de la liqueur ambrée dans son réceptacle de cristal, le liquide se parant d’étincelles mordorées lorsqu’il luisait aux flammes du feu qui, paisible, continuait de crépiter dans l’âtre.

Percy ne sut combien de temps il resta ainsi, ahuri par le frémissement de cette petite mer d’alcool qui battait de ses vagues les côtes de cristal qui l’emprisonnait. Il commençait à sentir toutefois un regard qui pesait sur lui. L’homme qui détenait l’objet de fascination du jeune homme le regardait. Et le Mortimer ne savait guère si ce regard était curieux, surpris, dédaigneux ou agacé. Mais, enhardi sans doute par la boisson, il ne baissa pas le regard comme à son habitude et leva franchement les yeux vers le visage dont la main l’intéressait tant. C’était Gérald. Percy ressentit malgré tout une pointe de soulagement à la vue de l’homme bourru. Il y’avait chez cet homme, un peu sauvage, peu sociable, une aura de paternalisme et de force qui plaisait au faible et juvénile Percy. Il semblait un roc. Il prenait les décisions, il avait toujours une solution, et, comme pour les enfants, le jeune homme se sentait rassuré par cette brusquerie bienveillante et cette protection abrupte.

Percy n’aurait pas su dire si Gérald l’aimait bien. Il lui semblait qu’il l’agaçait. Mais comment lui en vouloir ? Hormis de très rares perles de patience, le jeune homme avait une fâcheuse tendance à exaspérer tout le monde. Toujours est-il qu’au sein de la Tribu, ils ne se connaissaient pas très bien avant la terrible épreuve de la Tour de Londres. A la simple évocation de la sordide tragédie qui avait réuni deux acolytes si peu assortis de la même Tribu, un frisson parcourut l’échine du jeune roux. L’ivresse légère qui embrumait ses sens n’empêchait pas le sang de ses veines se glacer d’horreur à la vision cauchemardesque des créatures impies qui avaient tenté de les massacrer de leurs ongles acérés et de leurs dents aiguisées comme des lames. Les récoltes en vin de toute une région de France ne suffiraient pas à faire oublier à Percy ces yeux sans âme, aux iris blancs, ces lèvres blafardes, entrouvertes par un appétit bestial, contre-nature, ce mouvement mécanique des bras et des jambes, inhumain, lent et grave, qui les menaient, inexorablement, vers les proies qu’on leur avait jetées en pâture.

Percy regarda Gérald. Il aurait aimé sonder cet imperceptible regard, planté dans ce visage bourru qui ne semblait rien craindre. Le barbier avait ce jour-là fait montre d’un courage à toute épreuve. Etait-il possible qu’il n’ait pas eu peur, ne serait-ce qu’un instant ? Cette belle hardiesse que Percy admirait chez les autres, cette force virile de ses comparses masculins dont il ne serait jamais que le spectateur, ne s’accompagnait-elle jamais de crainte refoulée, d’horreur habilement dissimulée sous les traits fiers et guerriers de ces profils de vainqueurs ? Le jeune roux, malgré son admiration, ne parvenait à y croire. Il aurait fallu un surhomme pour rester totalement serein devant l’immondice des créatures qu’ils avaient eu le malheur de croiser.

Personne n’en avait jamais reparlé. Percy n’avait jamais su comment Gérald s’était tiré de l’affaire, mais lui-même s’était fait passer un sacré savon par Fergus. La brimade n’était pas allée plus loin qu’un rappel à l’ordre, une assise de son autorité de leader que le Mortimer n’avait nullement cherché à remettre en question. C’est d’ailleurs pour cela que l’énorme bévue n’avait pas prêté à conséquence. L’ouvrier fondeur connaissait l’âme pure de Percy et le savait trop éloigné de la désobéissance gratuite ou de la traitrise. L’action était peut-être stupide, mais les intentions du jeune homme étaient pures. Ainsi, les choses en restèrent là. Mais une sorte de tabou horrifié planait sur cette soirée, si bien qu’il semblait que Gérald et Percy s’évitaient depuis. L’occasion était trop belle, d’autant plus que le frêle Mortimer se trouvait enhardi par sa légère ivresse. Prenant son courage à deux mains, il leva à nouveau les yeux sur le regard sombre et impénétrable de son aîné, et entrouvrit les lèvres, tentant de soigner sa mauvaise élocution :

- Gé…Gérald…Comment vas-tu ? On ne s’est pas…pas parlés depuis…Tu sais…

Percy se racla la gorge, comme dissimuler sa gêne et son appréhension. Gérald allait sans doute l’envoyer promener, lui demandant de ne plus prononcer un mot sur cette soirée, et de le laisser en paix. Quelle mouche avait donc piqué Percy, pour qu’il aille ainsi importuner son aîné aux épaules larges, et pourquoi, surtout, pourquoi avait-il bu autant de vin ?
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MessageSujet: Re: Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Icon_minitimeMar 28 Aoû - 15:26



Réminiscences d’une nuit d’horreur

« I'M BACK AT THE HELM. »

Printemps 1891, Quartiers Résidentiels Luxueux

Gerald avait dû se rendre à cette sorte de dîner mondain auquel il ne voulait absolument pas y mettre les pieds. Mais les ordres étaient les ordres et il ne pouvait que s’y plier docilement. Pour lui, ce n’était guère une bonne idée mais Fergus savait ce qu’il faisait. Le barbier faisait une confiance aveugle à son chef et si ce dernier exigeait que certains membres de la Tribu dussent figurer avec lui à ce dîner chez David Baker, qu’il en fût ainsi. L’ancien marin y était sans faire trop d’histoire. Il ignorait quelle escorte le leader du gang avait choisi pour l’accompagner, mais Gerald trainant suffisamment des pieds comme cela, il ne s’était pas attardé. Il allait donc un peu à l’aveuglette, se disant que ce n’était qu’une mauvaise soirée à passer en compagnie d’un bourgeois. Puis il ne serait pas seul, loin de là, ce qui était déjà mieux que rien. Il n’y avait certes pas le décor mais il y avait la bande de Fergus, joyeux rustres qui pouvaient mettre de l’ambiance dans cette soirée si la situation venait à s’envenimer. En réalité, Gerald espérait presque un petit chaos afin de chasser l’ennui qui s’annonçait être omniprésent.

Chacun des convives s’installèrent autour de la grande table où différents mets étaient déjà posés. Le barbier regarda la nourriture sans grande conviction. Tout avait l’air si appétissant, peut-être même trop. Cela en devenait ainsi suspect aux yeux du quarantenaire. Il était sans aucun doute beaucoup trop sur la défensive, sentiment pour le moins excessif. Il jetait des petits regards aux autres convives qui mangeaient raisonnablement. Certains essayaient d’être à l’image du cadre dans lequel ils dînaient, essayant de faire bonne figure, donnant l’impression de voir de mauvais comédiens qui exagéraient leur jeu, d’autres ne faisaient aucun effort et dévoraient les plats comme les rustres qu’ils étaient. Gerald regarda son verre vide et inspecta les alcools qu’il y avait sur la table. Il n’y avait que du vin et sûrement du très bon. Il en était presque tenté mais la crainte que tout ceci n’ait été empoisonné lui enfreignait tout écart. Cependant, il avait faim. Son maigre salaire de barbier ne pourrait jamais lui offrir pareilles victuailles. Alors, un peu déchiré par cette décision, il prit un morceau de viande accompagné de légumes qui baignaient dans le jus du gibier. Il mangea dans son coin, évaluant l’évolution de ce dîner.

Tout se passa étrangement dans le calme, il n’eut aucune effusion, aucun mot plus haut que l’autre. Tout était étrangement ponctué des rires de la Tribu, comme s’ils ne se trouvaient pas dans la maison d’un bourgeois. Pour les affaires concernant ce dernier, il laissait Fergus et Saul s’en occuper. Gerald ne faisait qu’acte de présence. Parmi les personnes autour de lui se trouvait Percy Mortimer, jeune recrue de la Tribu avec qui le barbier n’avait pas tant de contact que cela. Et pourtant, ils avaient partagé une sacrée soirée dans la Tour de Londres. Gerald n’en était pas ressorti plus traumatisé que cela, comparé à d’autres. Il avait parvenu à prendre un certain recul et se convaincre que désormais, c’était ainsi et pas autrement. Le monde était peuplé de créatures surnaturelles et il fallait faire avec. Il n’avait jamais tenté de savoir comment Percy s’en était remis. Non pas qu’il l’avait évité, l’occasion de se parler à nouveau ne s’était juste pas présentée. Néanmoins, le jeune homme semblait avoir bien changé depuis la dernière fois où ils s’étaient vus. Ses gestes étaient… différents. Gerald n’aurait su dire en quoi mais il y avait quelque chose de changé et légèrement familier.

Il continua de l’observer, son verre de vin – qui s’avérait encore meilleur que prévu – se demandant ce qu’il ne tournait pas rond chez lui. Gerald n’était pas l’homme le plus discret quand il s’agissait de surveiller quelqu’un. N’ayant malheureusement jamais élevé sa fille, il n’avait pas l’entraînement nécessaire pour surveiller les « jeunes » dans leurs bêtises tout en restant furtif. Son mouvement un peu brusque avec sa tasse fit naître une nouvelle hypothèse dans l’esprit du barbier : le jeune Mortimer n’avait jamais été connu pour être très adroit, que ce soit avec ses mots ou ses gestes, mais Gerald eut comme l’impression que l’alcool y était pour quelque chose. Il ne l’avait pas aperçu en train de boire mais rien ne prouvait qu’il ne l’eût pas fait. Songeur, il continua de faire tourner son verre de vin en le fixant, presque pour le faire avouer de sa petite bêtise. Par ailleurs, cela aurait grandement surpris l’ancien marin que le petit protégé de Fergus ait été habitué à boire. Le pauvre n’avait probablement bu qu’un verre et le voilà déjà avoir dû mal à garder le contrôle de ses gestes. Percy le remarqua alors et lui adressa presque bravement la parole.

Le jeune Mortimer avait toujours l’air un peu timide, comme à son habitude bien que le fait qu’il vienne directement lui parler était en somme déjà un peu plus insolite. Il finit par lui sourire pour le mettre en confiance. Il n’était pas là pour lui mettre la pression, bien au contraire. Par ailleurs, cette fameuse nuit de mai 1891 semblait être tabou dans l’esprit du jeune homme. Il était évidemment que cela ait laissé des séquelles dans l’esprit de tous les protagonistes. Même lui abordait la vie autrement. Après tout, Gerald avait fait cela pour la Tribu et Fergus lui avait bien rappelé de s’en tenir aux ordres. Apparemment, cela aurait profondément entaché les relations du leader du gang avec le Home Secretary qui le couvrait depuis plusieurs années maintenant. Même si la fille de Gerald, Lydess, s’était entichée du Ministre (union qu’il n’approuvait pas si cela pouvait rendre sa fille malheureuse), renouer les relations entre les deux hommes s’annonçaient être compliquées. Il sourit cependant d’un air enjoué à Percy, s’amusant gentiment de sa maladresse et de sa timidité. Le pauvre garçon semblait être intimidé par l’ancien marin, chose dont celui-ci avait du mal à en comprendre la raison.

— Et bien en toute honnêteté, j’aurai préféré être ailleurs avec une bonne bière. Mais le vin est bon, je ne vais pas m’en plaindre, n’est-ce pas ?

Il lui jeta un petit regard espiègle, sa petite question sous-entendant bien le fait que Percy avait bu. Gerald n’en était pas sûr mais il était convaincu que cette interrogation inoffensive ferait avouer l’accuser. Cependant, il reprit :

— Et toi alors ? Comment ça va depuis la dernière fois…? Tu as revu ta rouquine depuis ?

Il faisait bien évidemment allusion à la jeune fille rousse qui était présente dans la Tour avec eux et avec qui Percy avait échangé un baiser. Ce n’était guère une question discrète mais Gerald n’était pas tellement réputé pour son tact et sa pudeur. En effet, il appréciait taquiner ce jeunot, comme en témoignait son léger sourire sur ses lèvres.
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MessageSujet: Re: Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Icon_minitimeVen 14 Sep - 16:16



Réminiscences d’une nuit d’horreur

« Printemps 1891 »

Quartiers Résidentiels Luxueux

Percy se savait idiot. Aussi, d’ordinaire, il tâchait le plus possible de se taire et de se faire oublier, ce qui lui permettait de s’éviter nombre de moqueries et brimades. Mais il semblait que la traîtrise du vin sucré à souhait qu’il avait, plus que de raison, siroté avec délices, lui ait fait perdre la sage résolution à laquelle il s’astreignait. Gérald regardait toujours l’étrange énergumène qui l’avait dérangé dans la dégustation d’une boisson qu’aucun membre de la Tribu ne pouvait s’offrir, et, lorsqu’un sourire étira les lèvres du quadragénaire, le jeune Mortimer poussa un soupir de soulagement. Gérald semblait serein et détendu, et ne s’offusquait pas du semblant de conversation que Percy avait amorcé avec lui. Il paraissait même étrangement amusé en lorgnant ainsi son cadet du regard, semblant détenir au fond des prunelles la raison de sa maladresse naturelle, qui, ce soir, atteignait son paroxysme. A la vérité, dans le cerveau embrumé du jeune homme, commençait à poindre ce début d’explication, qui lui semblait plausible, mais qu’il ne parvenait pas encore à assimiler. Le cheminement de ses réflexions, ainsi que sa piteuse concentration se trouvaient ralentis par les embruns d’alcool qui paralysaient un peu plus son cerveau déjà simple. Gérald lui répondait d’un air tranquille, conversant d’égal à égal avec ce jeune et maigre garçon, maladroit et un peu attardé.

Rougissant de la bonhomie de son aîné, à laquelle il ne s’attendait guère, et surtout du sous-entendu sur la consommation d’alcool du jeune homme, qu’il appuya d’un regard malicieux, Percy baissa vivement les yeux sur ses chaussures. La vague impression qui effleurait ses pensées brumeuses étaient donc la bonne ; le frêle garçon avait trop bu, et malgré les efforts déployés, cela était visible des autres. Pourtant Gérald buvait lui aussi, mais l’alcool semblait irradier ses veines sans qu’un seul de ses mouvements, ou qu’un seul des traits de son visage ne soit dérangé le moins du monde. Percy leva de nouveau les yeux, regardant d’un œil admiratif ce colosse dédaigner d’un sourire le luxe de ces mets trop raffinés, préférant la simplicité de la bière et des endroits moins surfaits. Le cadet Mortimer, lui, était trop simple pour que le dédain social agisse sur ses goûts. Il avait de la nourriture variée et délicieuse en abondance, cela lui suffisait pour en profiter avec une gourmandise confinant à la gloutonnerie. Le jeune homme, afin de se rafraîchir les idées, eut l’idée de prendre un verre d’eau. Il approchait déjà sa main d’une cruche en cristal avant de renoncer à cette idée. Nul doute qu’il finirait par briser quelque chose dans son état. Ramenant sa main sur le dossier du fauteuil, se décidant à ne plus bouger en attendant les vapeurs d’alcool disparaissent quelque peu, Percy répondit à son aîné :

- Très…très bon…Mais je crois que...Enfin…je suis plutôt habitué au lait…

Le jeune homme avait honte. Il s’effrayait de passer pour un ivrogne, alors qu’il ne buvait jamais. Le vin était si bon qu’il l’avait bu avec la naïveté de quelqu’un ignorant les dangers de l’alcool. Il avait déjà vu certaines femmes le couper avec à l’aide d’un grand trait d’eau, et, toujours, il s’était demandé pourquoi noyer ainsi une boisson. Désormais il comprenait que les petits gabarits, les frêles et les peu habitués avaient tout intérêt à diluer des breuvages qu’ils ne supportaient pas. Percy restait donc tapi sur sa chaise, redoutant une nouvelle bévue de sa part, tâchant de se faire le plus petit possible. Il tâchait de reprendre le peu de contenance dont il était capable en ce moment, vaguement conscient malgré sa légère ivresse que Gérald n’était pas dupe concernant son état. Mais tous ces faibles efforts volèrent en éclats devant la franchise bonhomme, un peu abrupte, de son aîné, qui lui demandait comment il allait depuis l’horrible nuit à la Tour de Londres, mais qui, surtout, évoquait Indianna avec beaucoup trop de légèreté et de naturel à lui, Percy, qui était à peine capable d’y penser sans rougir. Aussi, à cette évocation brutale, la vision très claire du baiser qu’il s’était, dans l’imminence du trépas, enhardi à donner à sa douce amie, s’imposa dans son cerveau embrumé. Son visage s’enflamma jusqu’à la racine de ses cheveux, tandis qu’il baissait de nouveau le nez vers ses chaussures, triturant ses doigts dont il ne savait que faire dans un geste nerveux et affolé. Que répondre maintenant ? Son élocution déjà balbutiante serait totalement inintelligible en ce moment, étouffée par l’ivresse et la gêne monumentale au sein de laquelle venait brutalement de le jeter les paroles de Gérald, prononcées d’un ton badin et léger. Pourtant il ne pouvait pas simplement rester planté là sans rien dire. Il aurait l’air encore plus idiot qu’il n’était, et sa pudeur passerait à coup sûr pour une marque d’impolitesse envers son aîné qui avait l’obligeance d’accepter de converser avec lui. Légèrement sur la défensive, comme cherchant à justifier un évènement dont il n’avait pourtant pas à avoir honte, s’emmêlant dans ces explications, Percy répondit, le visage écarlate et la bouche sèche :

- Euh…Ca va oui…oui…j’ai encore du mal à croire à…enfin…à tout ça…Ce n’est pas ma rou…Enfin je veux dire qu’elle n’est pas…Enfin…Indianna, oui…oui, je l’ai revue…Elle va bien…En tout cas elle a l’air…C’est une courageuse…

L’image de l’icône aux bras blancs, à l’angélisme profané par des créatures auxquelles Percy, malgré la confrontation, avait encore du mal à croire, parvint insidieusement à son esprit. Et un sentiment de colère, décuplé là encore par l’alcool, irradia ses veines. La colère contre ces bêtes infernales évidemment, mais surtout la colère contre lui-même et sa propre stupidité. Son inconscience et sa légèreté étaient les seules fautives. C’étaient elles deux qui avaient mené Indianna dans cet Enfer au sein duquel sa pureté n’aurait jamais eu à poser le pied. Et une fois là-bas, pris au piège de son hypersensibilité, n’était-ce toujours pas lui qui avait défendu bec et ongles la cause du maître du jeu diabolique qu’il avait bêtement considéré comme une malheureuse victime ? Là où sa douce amie, intelligente et forte, n’avait vu que du courage chez Percy, lui estimait qu’il n’avait fait que le minimum en tâchant d’extirper la jeune rousse du sort dans lequel il l’avait lui-même jetée. Car il est vrai que celui qui connaissait un peu le timide jeune homme aurait été bien étonné de voir avec quelle hardiesse il s’était lancé à l’assaut des bêtes immondes. Il s’agissait plutôt chez Percy d’inconscience, et d’une sorte de rage aveugle, bestiale et primaire, éclipsant les autres émotions telles que la peur, la raison ou la mesure du danger. La vue des griffes acérées s’emparant des bras blancs d’Indianna avait rendu Percy ivre de rage. Le jeune garçon, si timide et si gentil, avait, depuis ses mauvais traitements, hérité de cette facette inquiétante de sa personnalité. Aussi, en cas de danger imminent, ou confronté à des personnes qui lui voulaient du mal, la facette sombre du jeune homme pouvait se dévoiler et il pouvait transparaître chez lui un désir de vengeance mêlé d’une colère sourde, parfois teintée de sadisme même.

Mais c’était surtout la culpabilité qui ressurgissait ce soir, décuplée par l’ivresse, la fatigue, et les réminiscences de cette nuit que lui causait cette discussion avec Gérald. Soudain l’envie de décharger son cœur de cette angoisse et de cette culpabilité devint très tentante. L’occasion ne se représenterait sans doute jamais, et sa pudeur l’empêchait de trop se confier à Indianna à ce sujet. Il savait bien qu’elle le consolerait et ne lui en voudrait pas le moins du monde. Mais cette douceur, ce tact et cette gentillesse le culpabilisait encore plus, comme il sentait de lui-même que son comportement aurait dû être fustigé. Prenant un profond soupir, ne voulant pas perdre la toute petite lueur de courage que le vin lui insufflait, Percy ouvrit la bouche une fois de plus :

- J’ai vraiment…vraiment honte…Parce que tu sais…C’est ma faute si elle s’est…retrouvée là-bas…Je suis vraiment…un idiot…Et si…si il lui était…arrivé quelque chose…Jamais…jamais je ne me serais pardonné…

Percy baissa la tête. Un grand froid venait de lui parcourir l’échine à l’idée du trépas éventuel de sa jeune amie par sa faute. Aurait-il survécu à pareille tragédie, causée par son imbécilité qui plus est ? Le cadet Mortimer posa ses mains bien à plat sur les accoudoirs de son fauteuil. Elles tremblotaient d’effroi et, à cet instant, il était presque tenté de boire un verre de plus, afin que le courage insufflé par le vin ne pénètre de nouveau son esprit affolé…
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MessageSujet: Re: Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Icon_minitimeLun 24 Sep - 20:20



Réminiscences d’une nuit d’horreur

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Printemps 1891, Quartiers Résidentiels Luxueux

Gerald finit son verre de vin tandis que les festivités continuaient de bon train autour de lui. Il n’aimait vraiment pas ce genre d’ambiance et n’était là que pour faire plaisir à Fergus. Enfin. Il aurait été plus juste de préciser qu’il n’appréciait pas le cadre de ce dîner. Il aurait en effet préféré rester dans son petit quartier de Southwark plutôt que de faire acte de présence dans la Cité, devant s’exposer à la riche société. Parfois, il se demandait comment Lydess avait pu suivre aveuglément son nobliau. Il ne l’imaginait pourtant pas superficielle et avide d’argent, cela ne lui ressemblait même absolument pas. Quant au bourgeois, c’était encore plus improbable de sa part d’ayant jeté son dévolu sur une liseuse de bonne aventure dans un cirque. Peut-être était-il à la recherche d’exotisme et que Lydess ne lui causerait pas trop de soucis ? Mais là encore, quelque chose clochait. Il ne pouvait pas croire que la rousse au caractère aussi ardent que ses cheveux puisse s’embarquer là-dedans. Le noble l’aurait-il menacé ? Car Gerald ne pouvait tout simplement pas croire que les deux protagonistes de ce couple improbable soient vraiment liés par l’amour. Surtout après le fiasco de la Tour.

Cependant, là où les doutes planaient, un nouvel amour était né dans les couloirs ensanglantés de la bâtisse : Percy et une jeune rousse des rues. Gerald s’était amusé à le taquiner quelques instants auparavant et s’amusait toujours de l’air confus de son cadet, les joues rendues encore plus rouges par l’alcool. Le barbier l’écouta parler avant de voir passer une ombre plus triste sur le visage du jeune homme. Intrigué et quelque peu peiné, il ne dit rien, craignant d’avoir dit quelque chose qui ne fallait pas. Si Gerald ne souhaitait pas une chose, c’était froisser ses collègues et en particulier les plus jeunes. Avant la Tour, il connaissait pourtant mal Percy, le barbier faisait partie des « gros bras » de la Tribu et il était vrai que croiser le jeune Mortimer en train de participer à des combats à mains nues aurait été grandement insolite. Cependant il s’était pris d’affection pour lui et l’entendre parler avec la voix chargée de culpabilité à cause du fait d’avoir entraîné la fameuse Indianna dans la Tour avec lui. Gerald eut une légère moue désolée à son tour et planta son regard dans celui de Percy avant de prendre un ton plus solennel :

— Écoute, petit… Personne n’est mort d’accord…? Cela a permis à Londres d’ouvrir les yeux sur un problème qu’on pensait qu’être qu’imaginaire et irréel. Au final, les vampires ne sont certes pas que dans les contes et c’est bien de le savoir, je trouve. On sait à quoi s’attendre maintenant, même si ça fout un peu la frousse.

Il rit doucement pour détendre légèrement l’atmosphère avant de reprendre un peu plus sérieux.

— Tu sais, c’est pour cela qu’il faut se préparer à tout et surtout, profiter de tout. Tu ne peux pas passer ta vie à regretter tes choix passés, ce qui est fait est fait et celui qui changera le passé n’est pas né.

Il sourit de façon sincère et amicale, souhaitant réellement le mettre en confiance et chasser cette ombre morne sur le visage du jeune Mortimer. Puis, il prit un air plus sérieux, presque sévère, toujours en le regardant droit dans les yeux.

— D’ailleurs, j’espère franchement pour toi que tu l’as revue. Elle a l’air douce et gentille, je suis sûr que ça fonctionnerait très bien entre vous. Qui sait, je pourrais te faire tout beau le jour où tu te marieras !

Il rit plus franchement avant de regarder le verre vide de Percy.

— D’ailleurs, quand je te dis de bien profiter de chaque instant, ne pense pas à picoler encore plus ! Tu as déjà eu du mal à finir ce qu’il y avait dans ton verre, c’est pas pour te resservir et finir à quatre pattes par terrer entre de vomir tes entrailles ! Non, non, sois raisonnable, s’il te plaît. Et puis, on est pas chez n’importe qui non plus.

Il jeta un regard aussi ironique que profondément ennuyé par ce buffet à l’hôte de la soirée qui était occupé à discuter avec Fergus et Saul. Il soupira doucement et reporta son attention sur Percy avec un air plus sérieux.

— Je sais que ça fait peur de passer près de la mort. Surtout après une expérience comme celle-ci. Mais il faut prendre du recul et essayer de ne pas ressasser tout le temps. Sinon, t’en sors pas et ça te détruit. Fais-moi le plaisir de sortir un peu plus de ta bulle, Percy. Va voir ta Indianna, apprends à mieux la connaître même si je dois saluer ton audace pour ce baiser.

Il sourit doucement toujours avec douceur et un côté paternel. Quelque part, le voir épanoui lui ferait sûrement du bien. Chacun ressortait du traumatisme de la Tour différemment et Gerald prenait bien sur lui pour ne pas trop s’empoisonner l’esprit à s’imaginer les vampires débarquer sur Londres, se doutant que les forces militaires n’avaient pas de quoi se défendre contre les créatures de la nuit.
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Percy Mortimer
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MessageSujet: Re: Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Icon_minitimeLun 29 Oct - 16:31



Réminiscences d’une nuit d’horreur

« Printemps 1891 »

Quartiers Résidentiels Luxueux

Percy se confiait rarement. La peur du rejet, de la moquerie ou du dédain l’astreignait à une réserve parfois proche de la sauvagerie. L’alcool était certes connu pour délier les langues, mais là n’était pas la seule explication ; il y’avait en la personne de Gérald une aura un peu brute, une étrange sensation paternelle qui inspirait confiance à Percy. Pour sûr, le barbier était trop bourru pour être malhonnête. L’hypocrisie était plus feutrée, plus douce, plus veule. Il allait sans dire que ces trois adjectifs ne seyaient guère à l’Irlandais renfrogné qu’était Gérald. Et c’était cette nature brusque, naturelle et sans ambages, qui, en plus d’inspirer au jeune Mortimer une crainte vague, mêlée d’une pointe d’admiration, le rassurait sur son caractère, qu’il avait trop sauvage pour être sournois. Le pire qui pouvait arriver à Percy, en se confiant ainsi à Gérald, aurait été de se faire envoyer sur les roses et, pour le moment, ce n’était même pas le cas. Le bâtard Mortimer, d’ailleurs, s’en trouvait fort surpris, presque désemparé. Il s’était attendu, comme une évidence fatale, à être rabroué. Et cette rebuffade aurait perpétué la longue liste des anciens rejets que Percy avait essuyé, poursuivant la logique continuité de l’exclusion sociale de Percy. Mais non. Cette cassure intervenue avec violence, dans le schéma simpliste que le cerveau limité du jeune s’était créé, le prenait de court.

Car non seulement Gérald ne l’envoyait pas ailleurs d’un revers de main dédaigneux, mais il semblait aussi s’adapter à la sensibilité manifeste de son interlocuteur légèrement ivre. Car la détresse, l’angoisse de Percy étaient palpables à quiconque avait un minimum de cœur. Aussi le barbier semblait s’être brutalement assombri devant la peur manifeste du jeune homme, non par agacement, mais plutôt pour témoigner une forme d’empathie à son camarade, par un air de sérieux qui était plus de circonstance que le ton gentiment moqueur précédent. Et c’est de cette voix paternelle et un peu abrupte que Gérald tentait de dédramatiser la situation aux yeux de son cadet, lui exposant les faits sous un jour auquel Percy n’aurait jamais songé. La complexité de situations à deux facettes échappait totalement au jeune roux. Ses raisonnements étaient simplistes, noirs ou blancs, avec un gentil et un méchant. Mais jamais il n’aurait pu mettre en lumière tout seul le côté positif de l’affaire, que Gérald exposait avec des arguments certes simples, mais logiques et irréfutables. A quoi bon ressasser cette vieille histoire ? Le pire avait été évité, la créature éliminée. Aucune mort civile n’était à déplorer. Et Percy, devant ce discours pourtant si simple, bourru et direct, prenait peu à peu conscience de la stupidité de ses réflexions qui lui gâchaient son quotidien depuis des semaines. Qui, lors de cette affreuse nuit au cœur de cette Tour, pouvait se vanter d’avoir eu un comportement exemplaire ? Chacun à sa manière, tout le monde avait eu peur, avait paniqué, avait fait preuve de colère ou d’imprudence.

Oui, Indianna avait risqué sa vie là-bas, comme chacun des protagonistes présents lors de cette nuit démoniaque. Il était également tout aussi vrai que cette intrusion avait permis la découverte de ce fléau vampirique, que la population avait jusqu’ici considéré comme un mythe fantastique, en plus de la destruction de celui qui sévissait en plein cœur de Londres et en toute impunité depuis des semaines. Gérald, tout bourru qu’il était, semblait avoir les mots pour rasséréner Percy. Il avait dans la voix cet autoritarisme paternel, directif, qui au fond, rassurait l’enfant en mal de confiance qu’était encore le jeune homme. Si Gérald parlait avec autant de fermeté, c’est que, sans aucun doute, il avait raison. Ragaillardi par quelques paroles, peut-être aussi parce qu’enfin, aidé par les embruns d’alcool, il avait osé s’exprimer sur le sujet, Percy, subitement plus léger, répondit soudainement à Gérald, avec un sur les lèvres un sourire de soulagement mêlé de reconnaissance :

- Oui oui c’est vrai…Tu as raison…C’est idiot…Il vaut mieux que tout le…tout le monde sache et puis…Il…Enfin…La chose…Elle est morte donc…Enfin…Bon débarras…

Aidé par l’alcool, une fois de plus, Percy chassa ce visage maladif, cerné, émacié, aux prunelles sanguinolentes, visage pour lequel son soudain élan d’empathie avait failli les tuer, car il s’était révélé une créature sadique et assoiffée de sang. Il était totalement d’accord avec la seconde tirade de son aîné. La vie était trop courte pour la gaspiller à s’enfouir dans les regrets. A dire vrai, Percy était un croyant non pratiquant de cette théorie. Il aurait plus que tout désiré avoir le courage de vivre sans penser aux conséquences, sans s’inquiéter de rien et sans aucun regret. Mais le jeune homme était bien trop sensible, trop trouillard et trop empathique pour un tel style d’existence. Aussi se contenta-t-il de hocher la tête d’un air approbateur, mais avec la moue trahissant sa lâcheté à mettre en application de tels conseils. Le sourire sincère de Gérald à son encontre lui fit chaud au cœur, plus qu’il ne saurait l’avouer. Ce patriarche bourru, un peu impressionnant, toujours l’air énervé, ne semblait pas si agacé que la plupart des gens par le verbiage de Percy. Même il lui consacrait un peu de son temps à lui prodiguer des conseils. Plein de reconnaissance, le jeune homme approuvait les dires du quadragénaire qui paraissait avoir vécu tant de choses avec beaucoup de chaleur, désirant le moins du monde passer pour un ingrat.

Soudain, le visage de Gérald redevint sérieux, plantant un regard sévère dans le sien. Percy vacilla sous cette impressionnante œillade, redoutant les prochaines paroles que son aîné s’apprêtait à lui adresser. Quel sermon allait-il devoir essuyer cette fois-ci ? Mais même pas. Une fois de plus, Percy se sentait désarçonné par la bonté brutale de cet homme de vingt ans son aîné dont le physique l’effrayait presque. Il parlait d’Indianna. Le jeune homme avait tressailli lorsque son interlocuteur l’avait évoquée, craignant de ces obscures réflexions d’hommes qui lacèrent l’aura de la personne sacrée. Mais là encore, la délicatesse des propos de Gérald détonait de son physique bourru. Ces égards ainsi que l’alcool absorbé n’empêchèrent toutefois pas Percy de rougir jusqu’à la racine des cheveux lorsque son aîné évoqua, en termes légers, un éventuel mariage. A vrai dire le jeune homme n’osait jamais vraiment songer à cela. Il se savait déjà bien trop chanceux pour aspirer à de si merveilleux desseins. Passant une main sur ses joues imberbes, le jeune homme éluda la question par cette réflexion toute trouvée :

- Ah, si un jour ma barbe pousse…, ce sera…avec plaisir !!

Il ne parvint pas à faire semblant de rire, troublé qu’il était par l’idée saugrenue et merveilleuse qu’un jour Indianna lui appartiendrait dans l’union sacrée du mariage. Percy avait cru que scander cette idiotie allégerait les propos que Gérald avait insufflé dans son cœur alors qu’il n’y avait même jamais songé auparavant. Mais il se sentait toujours aussi étonnamment fébrile et la tête dans les nuages, rien qu’à l’hallucination délicieuse que le gamin attardé qu’il était devienne l’époux d’une femme aussi admirable qu’Indianna. Le jeune garçon parvenait à peine à se remettre de ses émotions, tandis que le barbier irlandais lorgnait son verre vide d’un air malicieux. Lui semblait sobre, imperturbable, connaisseur des effets désastreux et surprenants que pouvaient avoir l’alcool sur l’esprit des plus faibles. A l’évocation de lui-même se vautrant à quatre pattes dans son vomi, sur les tapis luxueux de leur riche hôte, Percy rougit doublement, pour la énième fois de la soirée. Heureusement qu’il n’en était pas arrivé là !! Soudain un frisson secoua Percy en s’imaginant le savon monumental que lui aurait adressé Fergus devant une telle perte de contrôle. En parlant de leur hôte, Gérald avait un ton goguenard, moqueur, presque dédaigneux. Il était clair que les richesses n’éblouissaient pas le modeste barbier. Percy avait cette simplicité d’esprit qui lui faisait admirer les belles choses, mais il ne vouait pas cette admiration ou même son affection aux propriétaires de ces agréables biens. Malgré que les mets fins l’eussent régalé ce soir, malgré la multitude d’objets précieux qui avaient rempli ses yeux d’étoiles, l’heureux propriétaire de ces belles choses n’impressionnait pas Percy outre mesure. Aussi adressât-il un sourire complice à son aîné, qui ne cachait ni son dédain ni son ennui devant ce mécène qui l’obligeait à passer de longues heures d’ennui dans des soirées guindées, alors qu’il aurait pu s’attabler devant une bière et une écuelle de ragoût, dans une des chaleureuses tavernes des bas-fonds londoniens.

Peut-être était-ce aussi pour cela que Gérald consentait à converser avec Percy ce soir. Sa naïveté et sa simplicité d’esprit en faisait sans doute le seul qui ne jouait pas la comédie. Il s’installait, se goinfrait des mets délicats qu’on lui offrait, sans rien attendre et sans chercher quoi que ce soit d’autre que de profiter d’avantages qu’il ne retrouverait plus le lendemain. De plus, le ton paternaliste qu’employait Gérald avec lui, aurait pu en offusquer certains. Mais pas Percy, qui restait assez enfant dans son âme pour écouter les conseils qu’un aîné lui prodiguait avec bonté. Il s’agissait là de bons conseils, qui réconfortaient le jeune garçon et qui l’aidait à prendre du recul par rapport au plus sombre évènement de sa vie. Les paroles de Gérald contribuaient donc à le rendre chaque seconde plus léger, excepté sa dernière phrase, qui faisait mention du baiser que Percy, dans l’imminence du trépas, avait eu la hardiesse de donner à Indianna. Et cet élan de courage, qu’il n’aurait jamais eu s’il n’avait pas été certain de leur mort à tous, le rendait atrocement gêné, d’autant plus qu’il avait eu lieu devant beaucoup de témoins. Se faire rappeler ce souvenir aussi vivement lui insuffla une de ses innombrables crises de rougissement. Les bégaiements, quasiment estompés par la chaleur paternelle de Gérald qui le mettait en confiance, reprirent de plus belle, et, mal à l’aise, Percy tenta de se défendre, comme s’il avait fait quelque chose de mal :

- Oh…Je…Euh…Tu sais…Je n’ai pas réfléchi…Enfin…Je n’aurais jamais fait…ça…Si…Enfin…Je croyais vraiment qu’on allait mourir…Alors…

Percy s’arrêta là, ne sachant plus que dire. De nouveau il baissa le nez, ne parvenant plus à regarder son interlocuteur, à présent que cette scène du baiser revenait avec force dans son esprit. Décidément Gérald avait l’esprit taquin ce soir, et semblait vouloir se jouer gentiment du pauvre Percy, à l’esprit simple déjà amoindri par les effluves de ce vin qui l’avait trahi. On ne l’y reprendrait pas.

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MessageSujet: Re: Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Icon_minitimeMar 6 Nov - 20:44



Réminiscences d’une nuit d’horreur

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Printemps 1891, Quartiers Résidentiels Luxueux

La soirée continuait d’avancer tandis que Gerald continuait tranquillement d’épier son jeune compatriote de la Tribu déjà légèrement éméché. Percy ne semblait jamais avoir été ivre de sa vie et l’Irlandais voulait à tout prix éviter que le garçon ne vive mal sa première gueule de bois. Autant limiter les dégâts tout de suite, même si le petit semblait avoir compris rapidement la leçon. Il le forcerait à tourner à l’eau si le cas devait se reproduire. Il paraissait aussi plus détendu suite à ses paroles au sujet de la Tour et Gerald en fut ravi. Il ne souhaitait pas que son cadet se torde l’esprit avec ce genre de souvenirs, même s’il comprenait son inquiétude. Malheureusement, leurs vies étaient trop instables et pouvaient basculer à tout instant si, par exemple, Fergus venait à être arrêté ou quelque chose dans ce style-là. Il ne voulait pas être pessimiste mais juste réaliste. Faire partie d’un gang, de la pègre, n’était pas une situation stable et il se demandait bien ce que le jeune Percy venait fabriquer au sein de la Tribu. Généralement, c’était des gens comme le barbier, des quarantenaires un peu aigris de leur place dans la société et avec une volonté de faire bouger les choses parfois par la force.

Il s’abstint de faire tout commentaire pour l’instant, préférant laisser parler le jeune homme devant lui, l’écoutant attentivement parler de la jeune rouquine. Il en parla peu, au final, à la grande déception de Gerald qui le trouvait pourtant mignon avec ses joues rosies par la honte de ses émotions. Le barbier lui sourit comme pour le rassurer et l’encourager, même s’il se doutait qu’il ne pourrait pas le faire parler plus sans relancer la conversation de lui-même. Il voulait que son cadet profite un peu de sa vie et cesse de rester coincé. Peut-être qu’il ne l’était absolument pas, mais c’était en tout cas ce qu’il dégageait : une impression d’être renfermé sur lui-même, de timidité extrême, de ne jamais trop savoir où se placer et de déranger. En vérité, malgré la Tour, les deux hommes ne s’étaient jamais trop vraiment parlés, malgré le fait que Gerald le trouvait attachant. Comme si Percy avait été un fils qu’il n’avait pas eu. Cette pensée le ramena sur cette fille disparue qu’il avait dû abandonner dès la naissance sans possibilité de l’élever et sans jamais revoir la mère de l’enfant qu’il aimait pourtant toujours.

On ne rattrapait pas le temps perdu et Gerald vivait parfois dans le regret de cette époque houleuse de la fin de son adolescence où tout était instable et imprécis. Il aurait voulu revenir en arrière et changer d’avis sur certaines décisions pour se débarrasser de ces remords qui l’handicapaient souvent. Après tout, il avait dépassé la quarantaine depuis un moment et ne pouvait maintenant aspirer à une vie de famille rangée comme tout le monde. Notamment parce que la femme qu’il aimait été toujours en Irlande et qu’il ne voulait pas avoir de relations sur le long-terme, mais aussi car il faisait partie d’un gang et que cela sous-entendait plusieurs contraintes comme le fait de pouvoir potentiellement se faire tuer par un gang adversaire ou de se faire arrêter par la police. Il touchait du bois cependant, la Tribu était assez solide et influente pour faire peur aux petites bandes rivales et aux quelques flics de Whitechapel et Southwark qui ne maîtrisaient déjà pas la situation. Il se reconcentra cependant sur Percy afin de ne pas le laisser seul tandis que lui se perdait dans ses pensées. Il le regarda et lui sourit avant de peser ses mots pour reprendre la parole.

— Crois-moi, si je peux te donner un conseil, c’est de profiter un peu de ta jeunesse. Je sais, ça fait vieux con, mais c’est vrai. Si tu vas pas la voir, j’irai la voir pour toi et je ferai en sorte que vous vous rencontriez à nouveau ! Et je suis sérieux sur ça, fais attention, je mets souvent mes menaces à exécution !

Il leva un doigt en direction de Percy comme pour illustrer ses propos. Cependant, son sourire enjoué traduisait une certaine espièglerie dans ses menaces qui n’étaient au final pas très sérieuses. Il se réinstalla sur sa chaise et croisa les mains avant de reprendre :

— Dis-moi, ça peut te sembler un peu bizarre comme question mais qu’est-ce qui t’a poussé à rejoindre la Tribu ? Je te trouve un peu jeune pour les gangs. T’es pas obligé de me répondre si ça t’embarrasse, hein ?

Il sourit sincèrement, presque de manière réservée, ne souhaitant vraiment pas le mettre mal à l’aise.
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MessageSujet: Re: Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Réminiscences d'une nuit d'horreur ~ Gérald ~ Icon_minitimeLun 17 Déc - 15:19



Réminiscences d’une nuit d’horreur

« Printemps 1891 »

Quartiers Résidentiels Luxueux

barbier dévisageait Percy d’un air attentif et qui se voulait bienveillant. Mais le jeune homme, si peu habitué à être écouté, ne pouvait empêcher un certain malaise de l’envahir devant le visage pourtant sincèrement intéressé de son interlocuteur. Cette peur instinctive d’épancher son innocence au creux d’oreilles malintentionnées faisaient obstacle à ses confidences, même en compagnie de personnes authentiques telles que Gérald. Aussi, devant le franc sourire de l’Irlandais, Percy commençait à se décontenancer, à mesure que les effluves d’alcool s’évaporaient de son esprit brumeux. Le bégaiement rejaillissait, terrible, omniprésent, en traître révélateur de la position désavantageuse dans laquelle se trouvait Percy. Rappeler la hardiesse folle dont avait fait preuve le jeune homme en embrassant Indianna, n’était pas le meilleur moyen de le mettre à l’aise. Mais Gérald le savait sans doute, et peut-être était-ce même pour cela qu’il lui insufflait, par ses questions, le souvenir de ce baiser, amusé au fond de cet embarras qu’il provoquait chez ce grand enfant qui, à l’approche du trépas, avait eu ce geste fou que jamais il n’aurait osé ne serait-ce que rêver en temps normal. Pour le malheur de Percy, cet accès insensé de courage avait eu lieu devant nombre de témoins, dont certains, membres goguenards de la Tribu, étaient amenés à le revoir, et, surtout, se feraient un point d’honneur à ne pas oublier cette étreinte rendue passionnée par l’imminence de la mort.

Gérald était de ces témoins, et la lueur de malice dans ses yeux prouvait la distraction que lui provoquait l’embarras de son cadet. Il y’avait une sorte de paternalisme taquin dans ses questionnements, une curiosité éveillée par le trouble incessant de son interlocuteur, perturbé par la moindre des évocations, par la plus infime des allusions. Percy lui-même comprenait combien il devait être tentant de glisser la plus anodine des remarques et regarder, soudain, le visage du pâle garçon virer au cramoisi jusqu’à la racine de ses cheveux roux, bégayer et baisser le nez vers ses chaussures. Loin de lui donc l’idée d’en vouloir aux taquins et goguenards bien intentionnés, souvent les seuls à lui témoigner un peu d’affection. Le jeune Mortimer aimait Fergus comme un frère, pourtant il ne se montrait guère plus fin que Gérald. En matière de conseiller sentimental, il pouvait même paraître plutôt épais, d’autant plus que lui et Percy n’avaient pas réellement la même vision de la femme. Tandis que l’enfant à l’âme bercée d’eau de rose rêvait d’un idéal féminin, d’une idole sacrée et intouchable, on sentait chez Fergus un certain dédain pour le sexe opposé, une séduction hâtive, passagère, impersonnelle, balayée une fois les désirs primaires repus. Le jeune homme ne savait guère ce qu’en pensait Gérald. On ne le voyait jamais accompagné et il parlait peu de lui. Percy n’avait toutefois pas absorbé suffisamment d’alcool pour oser lui demander son avis sur la question.

En levant enfin les yeux de son verre qui gisait, vide, sur la table, Percy se rendit compte que son interlocuteur ne lui prêtait plus attention, égaré soudain dans les méandres de ses pensées. Le jeune homme se demandait ce qu’il avait bien dire qui aurait évoqué à Gérald un souvenir ou une mélancolie passée. Une fois encore, les réserves de whisky du petit hôtel particulier n’auraient pas suffi à insuffler assez de courage à Percy pour questionner le barbier à ce sujet. Il se contenta donc de détourner pudiquement le regard de l’homme qui semblait se recueillir dans un passé connu de lui seul ; le dévisager aurait valu, pour Percy, à une intrusion dans son intimité. Il se passa quelques instants d’un silence inviolé entre les deux protagonistes, avant que Gérald ne lève de nouveau un regard clair, fixé sur Percy et la réalité qui l’entourait. Un sourire affable ne tarda pas à renaître sur ses lèvres, effaçant toute trace de sa rêverie de quelques instants. Et, lorsque le barbier Irlandais reprit la parole, le visage de Percy traversa, en quelques secondes, plusieurs couleurs bien opposées les unes des autres, tandis que son cœur, battant tantôt avec frénésie dans sa poitrine, semblait retomber d’un coup, tel une pierre dans sa poitrine. Tout d’abord, tandis que le quadragénaire lui conseillait vivement de profiter de sa jeunesse, le jeune homme devint écarlate, ne sachant pas tout de suite à quels profits il faisait allusion. Ensuite, lorsqu’il parla d’aller aborder Indianna à sa place, le visage du pauvre Percy sembla se vider de tout sang, et ses joues devinrent tout d’un coup pâles et froides comme la mort. Enfin, il avait viré au verdâtre lorsque Gérald avait insisté sur la fait qu’il était tout à fait capable de mettre ses menaces à exécution. Le sourire espiègle pourtant visible sur le visage de l’Irlandais ne suffisait pas à calmer l’angoisse du jeune roux à l’idée que Gérald puisse aller parler de lui à la douce Indianna, avec ce franc parler et ce peu de tact qui impressionnaient tant Percy. Avec précipitation, comme si son aîné allait se ruer dans la minute dans les ruelles noires afin de trouver la jeune rousse qui vivait dans un bordel miteux de Whitechapel, Percy bafouilla des explications, justifications piteuses à son incroyable membre de courage en ce qui concernait la galanterie ;

- Mais…non…Ne fait pas ça…Enfin…Je veux dire…Ce n’est pas nécessaire…Parce que…Tu sais…J’ai dé…cidé…Enfin…J’ai décidé de la…la revoir…Donc…Je verrais…A ce moment-là…Quoi dire pour…pour…Enfin…

Percy s’arrêta là, figé devant le sourire toujours taquin de Gérald, qui, contrairement à lui, ne semblait pas vraiment prendre ce sujet au sérieux. Conscient de se ridiculiser, et ne parvenant qu’à s’empêtrer un peu plus dans sa lâcheté et ses mensonges –mensonges car il savait pertinemment qu’il ne verrait rien du tout et n’oserait pas faire la moindre confidence à Indianna sur ses sentiments envers elle-, il décida de se taire en espérant que Gérald veuille bien changer de sujet.

Pour une fois, Percy fut chanceux, ce qui lui arrivait assez rarement pour être souligné. Gérald avait prix un air et un ton plus cérémonieux, tandis que ses mains se croisaient, non sans une certaine élégance, avant de poser une question qui semblait avoir été savamment pesée avant d’être énoncée. A dire vrai le jeune homme était un peu surpris par ce questionnement. Fergus était-il resté discret au point de taire à ses membres que Percy était un des fils du clan Mortimer, principal concurrent de la Tribu. Etait-ce fait exprès, redoutant les réactions négatives devant la trahison pouvant paraître suspecte d’un fils de sang envers son père, patriarche du plus important gang londonien ?

Il était clair cependant que Fergus n’allait pas raconter à toutes les oreilles les mauvais traitements ainsi que le coup de grâce infligés au vilain petit canard de la bande Mortimer, et, de ce fait, Percy pouvait comprendre les suspicions que susciteraient l’arrivée dans la Tribu d’un fils du Rival, trahissant sa famille, selon ses dires, sans remords aucun. D’un autre côté, Fergus n’avait jamais interdit à son protégé de raconter son histoire librement, et les membres de la Tribu avaient en commun cette confiance aveugle dans le jugement de leur chef, même lorsque celui-ci paraissait avoir des illuminations loufoques. Percy était donc accepté comme un membre à part entière, et personne ne trouverait à redire tant qu’il aurait le soutien du chef de gang.

Aussi ne voyait-il aucun mal à expliquer à Gérald sa présence ici, présence hors norme il est vrai, et dont on était en droit d’en questionner l’intérêt et l’utilité. Que faisait ce jeune homme, presqu’encore un enfant, malingre, chétive, hyper émotif et simplet, au sein d’un clan tel que la Tribu ? Quelle plus-value pouvait-il y apporter ? Et soudain, lorsque l’on connaissait sa famille de sang, tout s’éclairait. La Tribu n’aurait pu rêver un meilleur espion que ce fils bafoué, qu’on avait laissé avec indifférence au milieu de toutes les conversations et intrigues, et que l’on avait si maltraité qu’à présent son désir de vengeance devenait une arme pour son nouveau clan. Alors, se sentant étrangement en confiance auprès de Gérald, trouvant chez lui cette espèce d’aura paternelle qu’inconsciemment il ressentait comme un besoin primaire, tout comme il avait trouvé ce réconfort inopiné d’un frère protecteur en la présence de Fergus, Percy se lança :

- Hum…Et bien…J’ignore si tu le sais ou non mais…Je suis un des fils du gang des Mortimer…Pas un de ses fils légitimes, hein…Mais un de ses nombreux…Enfin…Je n’aime pas ce mot…Bref, un des nombreux enfants qu’il n’a pas eu…Pas eu…Avec sa femme. J’ai toujours été plus ou moins maltraité par celle-ci…Elle ne m’aimait pas…Et…Disons que la plupart de ses enfants…Ont suivi son chemin…Mais un jour…J’avais 16 ans…Mon grand frère…Il a vraiment quelque chose d’affreux…Alors…Alors cette fois-ci, je suis parti…Et j’ai juré de me venger…Je devais me cacher car mon père…Il est influent…Fergus a eu vent de cette affaire…A voulu me voir…Et…Il m’a proposé de rejoindre ses rangs…Je lui ai tout révélé, en échange il m’a offert…Protection, affection, et statut dans la Tribu…Je lui dois tout et resterai toute ma vie loyal envers lui !

Il avait prononcé ce long monologue très vite, sans reprendre son souffle, comme s’il se hâtait de se décharger d’un fardeau encombrant. Etrangement, il se sentait plus léger qu’angoissé de s’être confié à Gérald, et les souvenirs de ses maltraitances ne lui infligeaient plus la douleur d’auparavant. A présent il était entouré, ne regrettant rien, rêvant vengeance et apogée de Fergus, qu’il voyait comme son héros, et dont il ne rêvait que d’être l’ombre discrète, en lui étant le plus utile possible. Il avait d’ailleurs prononcé sa dernière phrase avec une fière naïveté d’enfant qui pouvait faire sourire, mais chez Percy, cela dénotait une sincérité incroyable. Rien ne lui faisait plus horreur que de s’imaginer trahir son mentor, pour lequel il éprouvait un respect et une affection proches de la vénération. Il n’en avait pas honte et était plutôt heureux que Gérald puisse s’en rendre compte par lui-même et ne puisse pas douter, ne serait-ce qu’une seconde, des bienveillantes intentions qu’avait le cadet Mortimer pour la Tribu de Fergus.

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