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A l’aube des jours nouveaux - Felix

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Lucy E. Wood
Lucy E. Wood

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MessageSujet: Re: A l’aube des jours nouveaux - Felix  A l’aube des jours nouveaux - Felix - Page 3 Icon_minitimeMer 30 Sep - 16:05



A l’aube des jours nouveaux

« Parvis de l’Eglise Ste Mary Matfelon, Whitechapel »

Automne 1892

Lucy porta la tasse à ses lèvres, laissant la chaleur du breuvage flotter en volutes enivrantes qui tourbillonnaient autour de son visage blanc. Les paupières presque closes, le monde et les deux silhouettes masculines se gommaient, jusqu’à devenir imperceptibles, ombres vagues, éthérées qu’elle contemplait entre ses cils roux humblement baissés. C’était comme si la jeune rousse cherchait à s’évaporer avec cette fumée doucereuse qui embrumait l’air d’effluves exotiques, laissant là les deux hommes qu’elle avait la vague impression d’importuner par sa simple présence qui semblait leur imposer un usage de convenances dont elle n’avait pas même conscience. Se contentant d’avaler le breuvage fumant qui luisait en une petite mer d’huile mordorée que n’agitait que le faible mouvement des doigts de Lucy qui se crispaient sur la tasse. Felix avait suffisamment repris ses esprits pour énoncer le but de sa venue. Et la jeune rousse laissait sans mot dire les deux amis à leur conversation d’agrément, se contentant de jeter un petit sourire taquin au petit museau blanc qui, intrigué, venait d’émerger de sous le lit. Un sourire rien que pour le petit animal, dissimulé aux deux comparses par sa crinière rousse qui retombait en boucles flamboyantes autour de son visage baissé.

Interloquée de prime abord par cette étrange compagnie, Lucy s’était étrangement attachée à cette boule de poils discrète, mutine, qui venait se rouler en boule près d’elle lorsque son séant se posait au bord du lit. Avant de se vautrer dans la fange de la prostitution de rue, Lucy avait été fille de paysans, et ses mœurs campagnardes assimilaient mal la compagnie affective d’un animal qui finissait en ragoût, lorsqu’elle avait la chance d’en avoir un à se mettre sous la dent. Et pourtant la pauvresse s’était laissée surprendre à tomber dans ce qu’elle avait considéré comme une lubie bourgeoise, et se délectait parfois de l’air béat du petit animal lorsqu’elle grattait de ses ongles le petit endroit délicat derrière ses oreilles.

La voix douce et cave de Jonathan arracha Lucy du regard amusé qu’elle rivait sur Blandine, et les réminiscences de la terrible soirée vinrent assombrir un peu plus l’humeur farouche qui la tenait immobile et roide contre l’évier, tandis que les deux hommes conversaient assis, à table, autour de leur thé et des vestiges de sa pâtisserie. Pour sûr, Jonathan et Lucy avaient remercié le Ciel pour leur chance inouïe, la peur terrible qui avait mordu leurs entrailles pour seule plaie et cicatrice de cette nuit terrible, de laquelle ils étaient des survivants. La morsure légère, due à l’animal enragé qui avait planté ses crocs béants dans la chair tendre de la jeune femme, était guérie depuis longtemps, l’onguent infâme que lui avait presque fait avaler de force son amie prêtresse vaudoue l’ayant sans le moindre doute protégé d’une infection potentielle.

Jonathan s’excusait. Toujours trop bon, la flagellation semblait, avec la culpabilité, s’être fait maîtresse de cette empathie exacerbée qu’il vouait à son prochain, et voilà qu’il se répandait dans la plus sincère des humilités, lorsqu’une seconde il s’égarait à consacrer son existence à son propre bonheur. Lucy et Jonathan avaient été égoïstes, en quelque sorte, reclus d’un monde duquel ils ne semblaient plus percevoir ni l’agitation ni la moindre des vibrations, qui vrombissaient autour des murs solides de la cave devenue invincible et sourde, depuis qu’elle abritait leurs amours. Et Lucy eut honte soudain, lorsque la pâleur de cire et la silhouette désarticulée de pantin brisé de l’horloger lui revint en mémoire, pendant avec une mollesse de cadavre entre les bras de Jonathan, indifférent au sang qui avait maculé ses mains et sa soutane.

Elle rendit un pâle sourire à Jonathan, ses doigts s’accrochant avec plus de fermeté à sa tasse. Elle avait eu très peur ce soir-là, et le souvenir de celui qu’elle avait cru mort au creux des bras amis de Jonathan lui était pénible. Le sujet de la fausse couche de l’épouse du blessé, pourtant, n’était pas moins douloureux, bien que plus commun à Lucy qui avait suffisament vu cela pour s’imaginer la douleur physique et les retombées sur le moral et la santé de la mère endeuillée. Mais Felix, pourtant, ne semblait pas fâché, et comme la jeune rousse s’en doutait, signifiait que sa femme se remettait lentement et difficilement de l’épreuve qu’elle avait eu à surmonter, évoquant un certain David qui sans doute était une connaissance commune et qui devait être médecin ou guérisseur. Les yeux de l’horloger se posèrent une seconde sur Lucy, avec cette extrême pudeur qui régissait la moindre de ses émotions, et elle lui offrit un rapide sourire, réconfortant et compatissant, pour la douleur de sa femme, surtout, qu’il semblait aimer pardessus tout.

Et cela faisait plaisir à Lucy, de le voir reprendre ses esprits à un point tel qu’une proposition à dîner fusa de ses lèvres tout à l’heure incapable d’articuler la moindre phrase intelligible. Se félicitant d’avoir pris le parti de se taire, la jeune femme offrit un sourire plus large à Felix, attendri qu’elle était de le voir aussi prévenant des désirs de sa femme, et, sans se permettre l’expression d’un accord ou non qui était surtout adressé à Jonathan, elle se contenta de lever son regard d’azur vers la haute silhouette blonde vêtue de noir, et étira ses lèvres dans un acquiescement mutique ; si lui était d’accord, elle n’y voyait pas d’inconvénient. Au contraire, une sympathie naturelle lui rendait Felix agréable, et si une crainte légère, un peu irrationnelle, la taraudait à l’idée de devoir engager une conversation d’agrément avec une autre femme, elle ne se sentait ni frêle, ni seule, ni abandonnée à son sort, parce que Jonathan serait à ses côtés. Avec lui tout devenait tout de suite plus facile, et l’appui de ce roc qu’elle croyait invincible lui insufflait une force et une confiance inespérées, au creux de cette carcasse déjà usée par la vie et qu’elle avait cru morte, déjà, avant que la lumière de Jonathan ne vienne à la trouver.


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Jonathan R. A. Williams
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Je n'aime pas me décrire...mais on me dit quelqu'un de gentil, tolérant envers beaucoup de choses; et il est vrai que le Seigneur m'aide à voir le bien dans le cœur de tous. Cependant, cette même capacité me rends aux yeux des gens très fanatique et naïf. Je n'avais jamais vu les choses sous cette angle, mais il faut croire que les gens ne voient en moi qu'un pasteur de pacotille. S'il y a une facette de moi que j'apprécie particulièrement, c'est le fait que je sois quelqu'un de très romantique ! Même si tout le monde préfère dire que je suis quelqu'un de niais...mais ne croyez pas que je sois stupide, car il m'arrive d'être très fier et impulsif. Je ne suis pas très courageux, mais je ferai toujours de mon mieux pour protéger les gens que j'aime, comme mon petit frère. J'ai aussi une profonde attirance pour les rousses. On me surnomme Quasimodo à cause de mon apparence quelque peu trapu -et certes poilu bien que blond, par opposition à la magnificence de mon frère.
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MessageSujet: Re: A l’aube des jours nouveaux - Felix  A l’aube des jours nouveaux - Felix - Page 3 Icon_minitimeSam 3 Oct - 11:58



A l’aube des jours nouveaux

« Eglise Ste Mary Matfelon, Whitechapel »

Automne 1892

Reprendre une conversation en cours était toujours une chose agaçante, car l’intrus recevait souvent une version résumée, condensée, limitée de la version d’origine, trop ennuyé à l’idée de reproduire à l’identique son tout premier discours. En tant que pasteur et confesseur, il était amusant de constater que Jonathan était souvent le premier à connaître beaucoup de choses ; il savait les secrets de Whitechapel du plus profond du coeur de ses ouailles. Des disputes les plus communes, aux péchés de gourmandise et de luxure, jusqu’à l’aveu de quelques accidents qui n’en étaient pas, Jonathan était le premier à qui l’on s’offrait avant le jugement du Seigneur. Il était la passerelle des vivants vers l’absolution et la misère de la terre des hommes. Ce n’était pas à lui que l’on offrait les résumés réchauffés, car il recevait en direct les pensées depuis la forge des esprits, depuis cette gorge vibrante de honte ou de fierté selon. Cependant, il était bien heureux de ne pas avoir à confesser ses proches – cela aurait été véritablement insupportable. Écouter les plaintes et les remords d’autrui et n’avoir le droit de porter que le masque du serviteur de Dieu, d’absoudre dans la compassion là où on aimerait réprimander et enlacer, le tout en conseillant quelques avé maria dans l’obscurité anonyme du confessionnal. Il y avait là une barrière divine entre le pasteur et ses fidèles, Jonathan ne voulait pas qu’elle ait lieu d’être avec ses proches. Bien étrangement, il s’était rapidement rendu compte que ce même entourage n’était pas particulièrement croyante de toute façon. Amy partageait bien quelques affinités sur le sujet avec lui, mais n’était pas particulièrement pratiquante.

Mais il pouvait malheureusement les comprendre : aucune des religions ne grandissaient avec ses croyants. Elle restait fière et immuable à travers les siècles, dans des feuilles éternellement gravées que l’on ne pouvait plus conter à nouveau. Les règles étaient là, dans une traduction que l’on disait parfaite et qu’il fallait suivre à la lettre. Jonathan était néanmoins conscient de l’histoire, et savait que beaucoup s’étaient disputés la véracité de ces textes – créant depuis l’ordre dont Jonathan était un fervent espoir.

Felix avait enfin récupéré son calme. Le souvenir de l’angoisse qui l’avait étreint jusqu’à lui faire renverser une chaise dans l’incompréhension la plus totale n’était plus. Ce n’était plus que le charmant horloger – certes d’une timidité à toute épreuve – qui se trouvait assis devant eux, vénérant la vision de sa tasse de thé comme s’il espérait pouvoir se noyer dedans. Il lui demanda de ne pas s’excuser, que ce n’était pas grave si tout allait bien. Mais Jonathan ne s’en sentait pas moins coupable ; c’était à ceux qui allaient bien de se préoccuper des autres, eux avaient soudainement reçu toutes les lumières du Seigneur, la paix de l’esprit et le réconfort du coeur. C’était injuste pour les autres qui vivaient encore de terribles épreuves. Mais le pasteur n’eut pas le temps de revenir sur ce fait, car Felix répondait à sa question : Amy s’était bien moins remis du choc des blessures de Felix que ce dernier de ses plaies. Elle en avait même fait une fausse coucher sous la terreur. Facile à imaginer, tant l’état de l’horloger était physiquement catastrophique. Le sang et la boue s’étaient mélangés à ses vêtements, rendant ses blessures visuellement impressionnantes – plus encore qu’elles ne l’étaient réellement. On l’eut crû soudainement pantin de chair désarticulé abandonné. Jonathan s’en voulut encore plus – n’aurait-il pu être présent ? Lui qui s’était précipité pour aller chercher David, n’aurait-il pas pu suivre ensuite le cocher pour soulager l’esprit d’Amy ? Tous ses souvenirs se brouillaient dans sa tête, il ne se souvenait à peine de ce qu’il avait pu faire ce soir-là, trop assommé par l’extraordinaire. Au moins avait-il privilégié le médecin à l’extrême onction – et avait eu une toute confiance en son frère… mais une fausse couche. C’était affreux. Il y avait donc bien eu une victime de cette affreuse soirée. Choqué, il ne put répondre tout de suite, ce qui enjoignit Felix à poursuivre.

Venir dîner chez les Adler, voilà qui était une excellente idée ! Felix déclara que cela soulagerait l’esprit d’Amy qui courait partout. Cette femme partageait avec le pasteur un certain côté hyperactif : il fallait agir, il fallait faire quelque chose. Chaque seconde d’inactivité était une seconde de perdue pour donner un sens à sa vie. Mais il n’y avait pas la place pour deux hyperactifs dans une maison : Jonathan était finalement bien content qu’elle ne l’eut utilisé que comme cache-misère après son rejet par son frère. Il ne supporterait pas d’avoir une femme aussi indépendante, et avait beaucoup d’admiration pour Felix de l’accepter aussi facilement. Ce dernier s’excusa pour s’être ainsi perdu dans ses pensées, et aussitôt le pasteur posa une main dans sa direction et sourit avec compassion :

Oh non, ne t’inquiète pas… c’est… c’est beaucoup d’un coup. Je suis sincèrement désolé pour Amy et… votre enfant, ajouta-t-il, la mine sombre ; toutes mes condoléances. Ce serait un vrai plaisir de venir dîner chez vous, dis nous quand et nous viendrons.

Jonathan tourna la tête vers Lucy qui haussait déjà la tête avec grand plaisir. Eux qui avaient vécu ces derniers jours cloîtrés dans leur petit bonheur, c’était comme une façon de reprendre contact avec la réalité. Une façon de confronter tous les changements qu’ils y avaient eu dans leur vie. Que tout ceci n’était pas juste un rêve ; qu’ils étaient ensemble, bientôt pour le meilleur et pour le pire. Se retournant vers Felix, il eut peur que ses condoléances n’aient pas paru sincère. Mais il était difficile de faire autrement ; l’horloger s’était confié à eux sur ce sujet avec un tel détachement, que montrer une sincère tristesse paraissait presque sur-joué. Jonathan n’avait jamais eu d’enfant, et l’idée d’en perdre un lui était atroce. Mais Felix en avait déjà deux, qui allaient déjà à l’école depuis un moment et que Jonathan avait vu grandir. Le pasteur soupira discrètement, regardant tristement sa tasse. La vérité était que Lucy n’avait pas encore été voir un médecin compétent et qu’il y avait un risque qu’ils ne pourraient jamais faire aboutir leur union.

Je pense que ça pourrait nous faire du bien à tous. Nous apporterons le dessert et je peux même ramener du vin de messe à Amy, ça lui fera plaisir ! plaisanta-t-il finalement.

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Felix J. Adler
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MessageSujet: Re: A l’aube des jours nouveaux - Felix  A l’aube des jours nouveaux - Felix - Page 3 Icon_minitimeMar 6 Oct - 10:46



À l'Aube des Jours Nouveaux

« A FAMILIAR ENCOUNTER »

Église St Mary Matfelon, Automne 1892.

Felix ne s’était pas rendu compte que certains de ses mots auraient pu instaurer de nouveau une ambiance pesante dans la pièce à vivre de la cave de Jonathan. Là n’était pas son souhait et, contrairement à la crise de panique qu’il avait eu quelques minutes auparavant, il n’en avait cette fois-ci absolument pas conscience. C’était donc avec une certaine naïveté candide, le regard plein d’innocence malgré la gravité des propos qu’il venait de dire, de la confession pourtant intime qu’il avait partagée sans plus de pudeur, qu’il conserva un léger sourire doux, désireux d’entretenir cette ambiance neutre mais toutefois assez bancale entre eux. Il remarqua pourtant que Mlle Wood se tenait désormais en retrait et ne semblait vouloir parler. De par sa nature qui semblait profondément bienveillante, Felix se doutait que ce mutisme partait de l’intention de ne pas créer une nouvelle confusion entre les trois acteurs de la scène pathétique survenue quelques instants plus tôt. L’horloger s’en voulut car c’était là sa faute si tout le monde faisait attention à ce que chacun disait afin de ne pas brusquer cet étrange personnage qu’il était. Avec un sourire désolé et une lueur triste dans ses yeux, son regard se posa brièvement sur Lucy avant de se baisser inlassablement vers sa tasse de thé.

Jonathan reprit la parole et présenta ses condoléances, s’excusant également auprès d’Amy. Felix haussa légèrement les épaules. Il savait que ce qu’il s’était passé était très grave mais il ne comprenait définitivement pas pourquoi. Le terme « votre enfant » utilisé par le pasteur n’était pas pertinent dans l’esprit quelque peu cartésien de l’horloger. Ce qui n’avait pas vécu ne pouvait mourir, il n’y avait donc pas de deuil à faire ni de condoléances à avoir. C’était une notion qu’il ne partageait certainement pas avec le commun des mortels mais Felix n’avait plus aucun doute sur le fait qu’il ne faisait pas partie des gens « normaux ». En plus d’avoir eu une vie assez atypique, de par son comportement et sa façon de penser, l’horloger était souvent vu comme une excentricité, en témoignait cette crise qu’il avait eue quelques instants plus tôt. Cela ne l’empêchait pas de vivre, pour faire simple, il n’en avait pas le choix non plus. Mais il parvenait à trouver un équilibre parfois, à essayer de faire comme les autres et à dissimuler sa difformité émotionnelle. Mais il y avait de ces instants où il ne parvenait à tenir sa langue et, sur le coup de l’impulsivité et d’une naïve honnêteté, il finit par dire à Jonathan :

— Il n’y a pas de condoléances à avoir, il n’était même pas né après tout.

Il sourit à l’homme de foi sans se rendre compte de ce qu’il venait de dire. Non, il n’avait pas réalisé qu’il venait de plus ou moins renier la création même de la vie, de repousser nonchalamment du revers de la main l’action de créer la vie offerte par un Dieu auquel il ne croyait pas. La seule force immuable et divine qui régissait le monde, pour lui, c’était le Temps et non pas un vieil homme barbu dans le ciel qui aurait créé l’Homme à son image. Sa vision de la religion était extrêmement naïve à l’image du raisonnement parfois enfantin qu’il pouvait avoir. Il ne se montrait pas non plus irrespectueux envers ceux qui croyaient dans l’existence du Père, du moins, pas volontairement. Il lui arrivait pourtant parfois que sa langue fourche, comme à l’instant présent, et ne dise le fond sincère de sa pensée sans imaginer un seul moment que cela aurait pu froisser Jonathan. Mais ce dernier, étant son ami, le connaissait bien et saurait sûrement lui pardonner. Probablement qu’il ne lui en tiendrait pas rigueur non plus. Le couple sembla alors enthousiaste à l’idée de l’invitation et le sourire de Felix se fit plus franc.

— Ce serait avec plaisir. Elle sera ravie, pour le vin.

Même si Amy avait drastiquement ralenti sa consommation d’alcool depuis maintenant des années, elle n’en gardait pas moins un goût indéfectible pour le vin. Felix s’était toujours amusé à penser que cela venait de ses origines françaises, bien que ceci n’eût probablement aucun rapport.

— Je… Elle vous écrira certainement pour vous confirmer le jour.

Dans un couple « standard » de leur époque, à aucun moment le mari n’avait besoin de demander confirmation auprès de sa femme pour faire venir des invités à leur domicile. C’était à l’homme de prendre la décision et à l’épouse de s’adapter. Si Jonathan était habitué à l’étrangeté des rôles dans le couple Adler, il s’agirait sans nul doute d’une expérience bien insolite pour Lucy. Même si l’union du pasteur et de l’ancienne prostituée avait de quoi faire couler beaucoup d’encre, l’horloger et la couturière et maquerelle, de par leurs habitudes, n’avaient rien à envier au jeune couple vivant dans la cave d’une église de Whitechapel. Ne voulant plus trop parler de lui pour le moment, l’horloger, plus en confiance qui lui donnait une sorte de spontanéité parfois déplacée, finit par demander, de but en blanc :

— Et… et vous alors ? Je veux dire, entre vous deux…

Il y avait pourtant cette timidité caractéristique dans sa voix, ce tremblement qui aurait pu le faire passer pour un bègue, comme une sorte de conflit entre sa spontanéité et son effacement de lui-même. Pourtant, il était réellement dévoré par cette curiosité enfantine mais inoffensive. Il n’avait pas eu les idées suffisamment claires dans le cimetière pour se rendre compte de la nature de la relation entre Jonathan et Mlle Wood. Il ne savait pas non plus s’ils étaient déjà fiancés ou si cela n’était plus qu’une question de temps désormais. Felix avait pourtant eu le tact d’un enfant, posant sa question indiscrète sans plus de sommation. Une nouvelle fois, si Jonathan commençait à être habitué à ce comportement qui pouvait prendre au dépourvu, Mlle Wood, quant à elle, devait probablement se demander où cet horloger avait élevé. Se rendant légèrement compte de l’impertinence de sa question pourtant, Felix, un sourire gêné aux lèvres, recommença à se tordre doucement les doigts sans pour autant s’excuser de sa question.
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Lucy E. Wood
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MessageSujet: Re: A l’aube des jours nouveaux - Felix  A l’aube des jours nouveaux - Felix - Page 3 Icon_minitimeLun 12 Oct - 16:33



A l’aube des jours nouveaux

« Parvis de l’Eglise Ste Mary Matfelon, Whitechapel »

Automne 1892

Lucy faisait bien de se taire. Le sujet était décidément trop délicat pour sa brutalité farouche, et nul doute que son mutisme taciturne aurait tôt fait d’effaroucher la douleur de père endeuillé de l’horloger pudibond qui n’osait leur faire face. L’éloquence de Jonathan prenait le relais, superbe dans sa délicatesse et son empathie exacerbée qui faisait de lui l’orateur magnifique qui avait arraché des frissons à sa carcasse décharnée, et fait affleurer de grosses larmes à ses paupières bordées de cils roux, ce dimanche là. Ses condoléances avaient la dignité roide d’un pasteur à ses ouailles, la compassion délicate d’un véritable ami. L’écho vrombissait au creux de son écrin de cristal, délicat et plein d’une pudeur qui attendrissait plus que de raison la brute qui ne semblait pas capable d’aligner deux mots l’un après l’autre. Pourtant Felix, dans un haussement d’épaules, semblait partager cela avec Lucy, cette maladresse farouche, brusque, qui blessait dans l’inconscience de leur inaptitude à converser. La réplique fut jetée comme un soufflet, comme une gifle en pleine figure de celui qui prenait sincèrement part à une douleur qu’il semblait considérer comme un drame humain, quand le principal intéressé lançait cette évidence froide, implacable, comme pour amoindrir l’horreur d’un chagrin qu’il supportait sans peine.

Lucy avait vu trop de ses frères et sœurs mourir d’avoir voulu voir la lumière trop tôt, pour s’horrifier outre mesure d’une situation à laquelle elle compatissait, pourtant. L’horloger pouvait prendre sa sympathie pour acquise, et la douleur de son épouse, par procuration, devenait partagée. Elle avait trop vu Maman souffrir de ces disparitions soudaines, de ces bambins arrachés à la vie par une naissance précoce et une grossesse chaotique, pour ne pas compatir au chagrin de la couturière. Mais il y’avait du vrai dans les dires de Felix, un vrai toutefois qu’un homme de Dieu à la sensibilité exacerbée comme l’était Jonathan n’appréhendait sans doute pas comme eux. Pour ce prêcheur d’amour, pour ce pasteur de la vie, chaque naissance avortée, chaque grossesse consumée par les affres du quotidien revêtait des allures de tragédie, et Lucy attendait, inquiète, de voir se poser le voile de chagrin sur l’azur de ces grands yeux extasiés.

Et pourtant c’est un ravissement non feint qui étira les lèvres du pasteur à l’acquiescement de Lucy, de concert avec le sourire de Felix, ravi de pouvoir là offrir à sa femme le plaisir d’une compagnie pour un soir, le temps d’un dîner. La jeune rousse refoula ses appréhensions et ses craintes, toute au plaisir de ces deux amis dont les retrouvailles balbutiantes s’échauffaient enfin à la perspective allègre d’une soirée tous les quatre. Et lorsque Jonathan évoqua le dessert, Lucy enfin reprit la parole, s’effrayant soudain que l’on considère son mutisme comme de la bouderie, et s’intéressant soudain à ce sujet de la conversation qui semblait lui revenir :

- Vous pourrez me dire ce que votre femme aime, Monsieur Felix ? Je pense à une tarte aux pommes ou à un gâteau au miel et aux amandes, mais j’aimerais bien faire quelque chose qui lui fasse vraiment plaisir.

Au regard de la prévenance énamourée qu’on lisait dans le velours brun du regard de l’horloger pour son épouse, Lucy était certaine qu’il ne s’offusquerait pas le moins du monde qu’elle s’applique à satisfaire sa femme avant lui. L’épreuve traversée par celle-ci valait bien ce genre d’égards, et il s’agissait bien là d’une des rares choses que les dix doigts de Lucy étaient capables de faire pour faire plaisir à quelqu’un. Ses talents de cuisinière avaient été souvent loués, avant, il y’avait de cela si longtemps qu’elle l’avait presque oublié. Lucy se racla la gorge, gênée soudain. Car après avoir énoncé les derniers préparatifs de l’invitation, l’horlogerie et son étrange brusquerie se lançait dans le sujet du couple ancienne prostituée pasteur, dont la chasteté impatiente, imposée par les mœurs et la prudence les rendaient fébriles et à fleur de peau.

- Oh, et bien…euh…Ça va, nous, mais…Je laisse Jonathan vous dire…

Non, décidément, le sujet était bien trop délicat. Que dire ? Que son passé honteux, souillé de stupre et d’opprobre, les empêchait de vivre là l’accomplissement de ce bonheur inespéré auquel aucun des deux ne semblait plus croire ? Que le présage de cette visite médicale nécessaire, indispensable à la prévenance de la santé de Jonathan, lui rongeait les tripes d’une appréhension terrible, irrationnelle, et au creux de laquelle s’immisçait cette pointe d’humiliation qu’elle refoulait, ne pouvant s’empêcher de la juger ingrate ? Jonathan était le meilleur homme qui puisse exister dans tout Londres. Jamais personne n’aurait accepté une ancienne catin, pas même sous son toit comme fille de cuisine. Alors qu’était-ce, un simple rendez-vous ? Rien du tout, au regard de la santé de Jonathan. Mais voilà, inconsciente, indomptable, l’humiliation cuisante refaisait surface, toujours, comme la marque indélébile, le sceau immuable de la souillure d’un passé révolu depuis si peu de temps qu’il la salissait encore trop. Dans l’imitation de la pudibonderie de Felix, Lucy jeta son regard d’azur au fond de la mare mordorée du thé qui reposait au creux de sa tasse, comme cherchant à s’y noyer. Ce n’était que le premier obstacle, bienveillant qui plus est, d’une longue lignée qu’ils auraient à franchir, Jonathan et elle, pour s’affirmer au sein d’un monde dans lequel leur amour n’aurait pas dû exister. Contre-nature, presque, pour certains, ignominieux pour tous, sans doute, il n’y avait que camaraderie pourtant dans la question abrupte de Felix. Lucy le sentait et n’en doutait pas. Mais elle pressentait, dans l’abime de cette brusquerie inconsciente, le début d’un combat auquel elle ne s’était que trop préparée, et devant lequel elle se sentait toujours aussi démunie, à nu devant ces autres et ce monde qu’elle avait fui si longtemps, et avec un tel acharnement.



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Jonathan R. A. Williams
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MessageSujet: Re: A l’aube des jours nouveaux - Felix  A l’aube des jours nouveaux - Felix - Page 3 Icon_minitimeSam 4 Sep - 0:44



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Automne 1892

La fin d'une vie, le début d'une nouvelle. L'annonce de Felix quant à cet enfant qui ne naîtrait jamais avait laissé comme un vide froid et désarticulé au milieu de cette discussion. Je ne connais que peu de personnes qui savent véritablement comment réagir face à un deuil, ne serait-ce déjà qu'en face au malheur, face à cette détresse secrète qui ne se dit pas.

Quand Jonathan fixait de ses yeux le visage roide et insensible de son ami dire d'un ton égal que cet enfant n'était de toute façon jamais né et qu'il n'y avait donc aucune raison d'être triste pour un être vivant qui n'avait finalement jamais abouti, à l'image d'une horloge que l'on a jamais fini de construire (dusse-t-il jamais pointer cette métaphore de la plume), le pasteur se sentit envahi d'une profonde tristesse. Le bout de ses doigts et les arcs de ses ongles tapotèrent la tasse, et son regard passa d'un pan de la table jusqu'à l'autre, avant d'enfin hausser les épaules. Que pouvait-il dire de plus ? Affirmer la pérennité d'un petit enfant, fille ou garçon, encrer son existence au milieu d'une famille qui n'aura jamais le droit de lui offrir ne serait-ce qu'un prénom ? Qu'ont-ils fait de son petit cadavre même ? Il n'avait pourtant pas le droit d'asseoir sur leur peine une couche de culpabilité. Si, cet enfant existait et sa mort était dramatique pour tout ce qu'il aurait pu advenir. Mais Felix était un être bien trop pragmatique : il n'était pas né, donc il n'est pas advenu, et les choses qui n'advenaient pas, n'advenaient pas. Il n'y avait aucune once de spéculations en cet homme, même s'il s'agissait peut-être pour lui d'une façon de se protéger. Après tout, il avait raison : il n'y avait aucune condoléance à avoir, il n'était même pas né.

C'était plus simple comme ça. Jonathan croyait néanmoins dur comme fer que ce petit bout de chair avait déjà sa part de vie au sein de la société et au sein des cœurs. Felix le voyait au travers de sa femme, de ses réactions et de sa douleur. On ne mettait pas ça sur le côté de la table en espérant pouvoir l'oublier sous une tonne de paperasse. Toute cette histoire dérangeait Jonathan bien plus qu'il ne s'autorisait à le montrer, mais malheureusement, il n'était pas très doué pour le cacher. Le pasteur n'allait pas se battre avec les démons de ses amis, se promettant malgré tout, très égoïstement peut-être, qu'il irait dire une longue prière pour accompagner l'esprit de ce larvae jusqu'au Seigneur. Car ce petit coeur et ce front humide n'avaient jamais connu le souffle du baptême, et formait à ce jour une nouvelle dalle sur le chemin des Enfers. Cela, il ne pouvait l'accepter. Petit à petit, c'était plus que sa mort qui l'attristait et enserrait son coeur de chagrins, mais l'injustice de la chose. Jonathan baissa un petit peu les yeux du côté des chaussures de l'horloger, un peu dans le vague. Il osa enfin poser une main sur son épaule, faisant attention de ne pas laisser abrutir son poids sur celle-ci et déclara :

Je prononcerai tout de même une prière pour lui.

Cela apaiserait sans nul doute la tourmentée Amy. Le pasteur la connaissait depuis l'enfance, et si leur relation avait eu des hauts et des bas, il ne l'en connaissait pas moins. Elle aussi, à sa manière, devait avoir mis ça derrière elle, se saoulant de travail pour perdre le sens des jours et de la douleur. Mais il n'est de douleur qui ne puisse trouver son repos sans une clôture digne de ce nom. Le simple fait de savoir qu'il serait accompagné dans l'au-delà apportera peut-être, il l'espérait, une petite lueur d'espoir, une clé dorée permettant de fermer une bonne fois pour la serrure de cette courte histoire.

La conversation dérouta alors sur les plaisirs culinaires de leur futur déjeuner tous ensemble. On parla donc du vin de messe, et d'un potentiel dessert. Entre une tarte aux pommes et un gâteau au miel et aux amandes, Jonathan avait vite fait son choix (le sucre étant une de ses bêtes noires qu'il aimait d'un inconditionnel amour, trop doux qu'il était). De plus, les talents culinaires de sa tendre et douce n'étaient plus à prouver. Jonathan était heureux qu'en plus d'être une délicate, aimante et patiente, petite et sublime jeune femme au tempérament de renarde, elle restait une excellente femme au foyer.

Bien sûr, cela devait perturber Felix, lui dont la situation maritale n'était guère à envier – selon les propres standards du pasteur. Jonathan était quant à lui très heureux de sa propre situation, trop heureux d'ailleurs, vivant sur leur petit nuage, loin des bouleversements sociaux, des soulèvements paranormaux, des luttes politiques intestines, des rumeurs et des murmures, des drames familiaux et des mimiques de comptoirs. Oui, peut-être était-il déjà un peu en retard sur son temps, appréciant un certain triptyque grotesque de son bon pain, de sa bonne femme et de sa bonne église, mais il savait qu'il s'agissait là d'une fondation solide sur lequel on pouvait briser toutes les vagues possibles et inimaginables. La foi était là pour ça, tenir la barre dans toutes les tempêtes. L'une d'entre elle, la plus simple et pourtant incroyablement difficile, était la suivante : avouer leur relation. Elle n'était pourtant pas compliquée à comprendre. Ils vivaient tous les deux sous le même toit, et ce n'était pas une cohabitation des plus amicales – ou bien trop alors, c'était selon. En tant qu'un homme et une femme, il aurait été inconvenant qu'ils vivent tous les deux ensemble sans n'être lié par une quelconque relation intime, que cela fut à venir ou déjà concrétiser. Jonathan aurait donc pu se sentir insulté par cette question dont la réponse coulait de sens. Mais encore une fois, que pouvait-il dire ? Sa demande en mariage (pleine et officielle) avait été quelque peu dérangée par la présence de l'horloger ; il ne pouvait donc déclarer ici présent qu'ils étaient fiancé, comme il l'avait fait plutôt avec son frère. Le pasteur jeta un coup d'oeil vers Lucy, qui était décidément bien belle quant elle rougissait pour ressembler à un coquelicot en fleur, et comprit qu'elle ne lui serait d'aucun secours dans cette entreprise. Après tout, il avait été celui qui avait enfin dévoilé en premier ses sentiments et qui l'avait embarqué dans une toute nouvelle et bien étrange vie.

C'est... haha... disons que... que... c'est beaucoup d'un coup..., se répéta-t-il enfin, to... tout va très vite...c'est... un chamb...chamboulement de pleins de choses... et... et...

Il n'avait pas été élevé dans un mauvais foyer – de son point de vue, une fois de plus, car celui de son frère n'était absolument pas le même – mais s'il y avait bien une chose dont ils pouvaient parler tout deux sans mentir, c'était l'absence d'amour parental au sein de celui-ci. Ses parents ne s'embrassaient pas, ne se tenaient pas la main, et ne s'apportaient pour ainsi dire que très peu de marques d'affections. Peut-être le faisaient-ils quand personne ne les voyait, et c'était probablement un fait, mais cela avait instauré dans l'état d'esprit et dans la psychologie de leurs fils que l'amour dans un couple n'était pas quelque chose qui se montrait au grand jour. On ne tenait pas la main de sa ou de son bien-aimé devant un public. On n'embrasse pas sa femme ou son époux devant ses enfants, ses amis. On ne câline pas devant les autres, on n'offre rien devant eux à moins que l'on ne souhaite travestir un bien positionnel en tant que cadeau, dévoilant du même temps aux yeux de la société notre bienséance financière. Aux yeux des autres, la seule chose qui pouvait dire que ces deux personnes partageaient le même lit étaient une alliance, un nom de famille, et un rapprochement physique dans un rayon intime de moins d'un mètre, sans contact néanmoins autre qu'un frôlement de gants ou d'un bras de gentleman offert. Après tout, ils étaient des nouveaux bourgeois, qui avaient été élevé dans cette idée que l'élévation sociale apportait le bonheur. Ils n'étaient peut-être que des bourgeois, mais avaient été élevé dans cette idée de devenir des nobles.

Aussi, la promiscuité de Felix et d'Amy avait très souvent rendu Jonathan très mal à l'aise. Il n'était pas attristé par leur relation, bien au contraire. Ils étaient parfaits ensemble. Ils étaient maintenant heureux et Jonathan aurait tout fait pour qu'ils le restent. Mais les épanchements amoureux le mettaient toujours dans une mauvaise posture dès que ceci n'était pas caché, de ses yeux et de ses oreilles. Ce n'était pourtant pas lié à sa chasteté - et à sa plutôt embêtante et dérangeante et actuelle frustration sexuelle – qu'il était ainsi même avec les relations des autres. Juste cette marque profondément ancrée qui ne voulait pas s'en aller. Ainsi qu'il avait caché le bouquet de Lucy, refusant de le lui offrir sous les yeux de Felix, Jonathan ne savait quoi dire. Les joues rougies par la gêne, dévorées même par cet inquiétant feu de restriction qui le bridait, lui qui aurait juste rêvé pouvoir embrasser sa belle Lucy sur la joue même sous les yeux de son meilleur ami, Jonathan se grattait la barbe en souriant bêtement. Ce grand enfant de trente ans qui n'osait prendre la main de sa chérie devant les autres ne répondit qu'un bref :

Je ne la laisserai pas repartir dans la rue, si ça peut répondre à ta question... et... j'aimerai bien qu'on se marie avant l'hiver mais... il y... il y a encore des pr...problèmes à résoudre.

Du ton de sa voix, dont le volume s'abaissait au fur et à mesure de son phrasé, il était évident que Jonathan Williams ne voulait pas s'étendre sur les « problèmes » en question. Le temps passait et les présentations avaient été faites, le tic tac incessants de cette horloge en panne de quelques secondes glissait sur l'air. Tout le monde savait finalement qu'ils allaient se marier, et cela même avant que Jonathan n'ait fait sa demande officielle. Ils n'avaient même pas encore de bagues de fiançailles. C'était bien ce qui chafouinait le plus ce romantique de pasteur. La boite de celles-ci se trouvait d'ailleurs au fond de sa poche et attendait son heure. Mais voilà, comme nous disions un peu plus tôt, un homme et une femme vivant ensemble ne pouvaient qu'être impliqué dans une relation et la seule saine qui puisse exister était le mariage. L'un dans l'autre, ce n'était qu'une conclusion logique, quasi mathématique. Jonathan baissa la tête, et ses mains se joignirent l'une dans l'autre pour occuper son stress apparent qui était de nouveau revenu. Il sourit pourtant à son ami, du petit sourire heureux et timide d'un enfant qui ne pouvait croire en sa soudaine chance. Mais il paniquait de faire la moindre erreur, et concilier ses principes moraux, son éducation bourgeoise et ses amis, se révéler à chaque parole, à chaque acte, plus difficile.

J'e... J'espère que cette horloge don... donne quand même la bonne heure... ce serait dommage... ici, on n'a pas de fenêtre.. p... pour nous dire quand il s'apprête à fai... faire nuit.

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