Sujet: Mors, ubi est victoria tua [Poppy] Jeu 18 Mai - 12:51
Mors, ubi est victoria tua
« Pie-grièche et cerf »
Mai 1890
C'est une chambre de bonne miteuse, avec un seul lit – parce qu'ils partagent tout, ou tout du moins, partageaient tout puisque Luë s'enfuit, Luë voltige comme un phalène trop curieux aux fenêtres des ennuis, aux lumières tamisées des monstres, d'un juif qui se fait médecin légiste là, aux abords de WhiteChapel et le laisse seul, seul dans cette pièce solitaire, avec son adolescence qui s'étiole et fâne à ses crocs un peu mornes, quand les bras croisés, appuyé près de la fenêtre, il observe d'en haut les remous de la fange d'en bas.
Putes, maquereaux, clients, ivrognes, criminels, chapardeurs, mendiants, pleurnicheurs, des fourmis, tellement de fourmis qui dans la noirceur semblent oublier les crimes de Jack l'Eventreur. Et Tobias soupire en chassant une mèche de son visage basané pour finalement ciller vers la Grande Rouge, derrière lui. La Grande Rouge qui s'est encore empêtrée dans de drôles de filets.
« Si Luë me l'interdisait pas... » Luë l'hypocrite qui lui avait fait tuer bon nombre de proies avant d'y mettre le hola, sous prétexte que désormais elle voulait être une fille convenable et pas avoir à rameuter Scotland Yard au cabinet de son long pif d'amant qui était apparemment en passe de l'épouser. Salope. « Moi je te dis que ça pue. » C'est un nom qui n'est pas celui d'un simple bourgeois – et il le sait car il a toujours ses mioches, ses petites oreilles, ses chuchoteurs, pour observer, fureter et se renseigner. Ce Withers là n'est même pas de Londres. Ce Withers là a presque son âge. Et ce Withers là, c'est un gars de sa propre famille de nobliaux qui s'est chargé de recruter Denfer. Denfer qui n'est qu'un abruti arriviste et qui finira par se faire planter à force de prendre de mauvais contrats.
Mais le pire dans tout ça c'est que Poppy n'est pas inquiet – Poppy semble toujours ailleurs de toute façon. Et Tobias fronce les sourcils, répète plus distinctement.
« Ca pue. » Ca pue pour des raisons qu'il ignore mais finalement il serre les dents et s'en retourne à sa petite criminalité devenue trop sage. Fourmi en rang dans sa colonne. Chat parmis les oiseaux quand Poppy lui est d'un autre type de tueur. Aux bois trop longs, en plus des dents. Et sa famine qui le fait gronder. Lui non plus ne durera pas longtemps.
C'est sans doute à Tobias de faire attention mais qui enferme les bêtes venues des bois ?
C'est dans leur mort libre qu'ils se soulèvent et deviennent implacables. Ca serait même dommage de l'en empêcher.
« Ne fermez pas la fenêtre. »
La voix pâteuse de Johan le fige dans son geste mais Félix, obéissant français, se tourne sans toucher à la poignée, le regard aussi désolé qu'il n'est inquiet.
« Vous risquez d'attraper froid, m'sieur Johan. » Et le froid n'arrangera rien à sa souffrance.
Car il fait peine à voir, le notaire. Dans sa chemise de coton transformée en liquette. Transpirant son mal sans que les antalgiques ne puissent aider à quoique ce soit – pourtant ça ne l'empêche pas d'en prendre, et en quantité gracieusement fournies par ce chirurgien que finalement, Félix ne peut pas se blairer. Car il se trouve dans ses ordonnances un encouragement déplacé et meurtrier, et il lui craint chaque jour de découvrir le corps de son patron, inerte dans son lit, avachi dans toute sa démence et toute sa léthargie, le coeur explosé des doses qu'un humain normal ne peut supporter. Des doses de cheval pour un marmot pie-grièche qui est juste las de devoir supporter autant de douleurs fantômes.
Hélas, à ce jour, rien ne peut clairement le soulager. Et Félix se rapprocher, le redresse avec toute la douceur dont le colosse peut faire preuve, tapant les oreillers pour mieux les regonfler et l'installer au mieux. Avec un dernier regard à la fenêtre.
« Pis c'est pas prudent. » « Il n'y a que les oiseaux ou les chats qui pourraient s'aventurer au mur. Le lierre est trop fragile pour servir de support. Et la rue trop fréquentée pour que les criminels s'y tentent. Je ne suis pas certain qu'ils soient aussi fous, Félix. » « Mais une flamme bien lancée pourrait vous réduire en cendre. » « Voilà l'avantage de ma douleur. Mon sommeil est si léger que j'entends bien m'éveiller avant le drame. Et vous êtes toujours là, au rez-de-chaussée, à portée de cri en sommes. Je n'ai rien à craindre, puisque vous demeurez présents. » « Vous auriez du me donner la chambre à côté. » « Ah ! Voilà une drôle de demande. Et ainsi faire courir des rumeurs supplémentaires dont je n'ai nul besoin ? Allons Félix, ne soyez pas sot. Vous devriez même profiter de cette soirée et de cette jeune femme, Babeth ? C'est bien son nom ? »
Pris à défaut, incapable de se souvenir à quel moment, en sa présence, il a pu lâcher le nom de cette petite serveuse aux joues rondes qui se permet, deux fois par semaine, de venir leur apporter quelques légumes du marché en plus d'autres victuailles – et mots illégaux, pour ne rien cacher, Félix rosit légèrement et s'embarasse.
« Je ne pensais pas que vous l'aviez remarqué. » « Je remarque tout, je n'ai plus que cela. Et l'observation me permet de ne pas tout vous déléguer. Ma fragilité et mon incapacité à agir autrement qu'en tant que sollicitor me sont déjà assez excécrables, que serait ma vie sans quelques divertissements. Elle est célibataire ? » « Veuve. » « Il serait inhumain de s'en réjouir, n'est ce pas Félix ? » « Passablement... » « Mais une femme seule vivant près de Southwark mérite un gardien capable de la protéger pendant longtemps. » « Sans doute. »
Au visage fatigué de l'amputé, un pénible sourire d'hiver s'en vient pourtant à naître.
« Allez donc lui commander quelques légumes pour demain, je rêve de manger ce ... comment appelez vous ce plat typique de chez vous ? » « Pot-au-feu, et je ne suis pas français, m'sieur, mes parents l'étaient... » « Oui oui oh cela revient au même. Allez me commander un pot au feu. Mais sans viande. Je ne la supporte plus. »
Johan pousse un grognement, se rallongeant avec peine, délaissant le verre d'eau pour attraper la lampe à huile, attendant les quelques pas en arrière de Félix pour mieux la souffler.
La dernière chose que ce dernier verra, c'est la lueur un peu tremblante, presque folle, se réfletant dans ses yeux gris.
Puis l'obscurité vint envahir la chambre et avec elle, le courant d'air des nuits de Londres.
Quand il disparut à l'étage, ramassant chapeau melon et veste plissée, Félix n'entendit rien et ne pressentit rien pouvant l'alerter. A l'étage, Johan devait déjà s'être endormi. Et avec un peu de chance, le calme ne tarderait pas à les retrouver.
Ils le méritaient tous les deux.
Mais le calme n'avait pas été créé pour les gens de leur espèce. Le calme n'était qu'un rire moqueur, un peu grinçant, au profil d'hirondelle. Le calme, était un fantôme de Tour de Londres, une rumeur des bas-fonds, une promesse des nantis, un bonheur inextricable dans lequel certains pouvaient se perdre et selon les propos d'un sale chat basané de WhiteChapel, finir par crever d'ennui.
Le calme n'était pas Johan Withers alors comment aurait-il pu lui appartenir ? Et comment aurait-il pu se pencher sur son cadavre aux sourcils tressaillant des échos de douleurs, comme les effluves d'une mauvaise odeur – grouik !
S'il tremble, dans son lit, ce n'est pas seulement de froid. Dans les dégradés de gris, il fait pâle, il fait exsangue. Et la sueur boucle ses cheveux – peut-être que cela va revenir, la soeur, le médecin, la scie. Peut-être le débiteront-ils en petits morceaux et au point auquel son dos le fait souffrir, l'opération a déjà sans doute commencé.
Ses mains serrent compulsivement les draps. Il frémit, sans geindre.
Et ouvre les yeux simplement.
Aux voltiges des rideaux, au bruissement des feuillets de quelques partitions, aux ombres qui s'imposent dans le cadre lointain au bois du lit, il y a quelque chose qui sent les sous-bois de son enfance. Qui sent la chute des arbres, des feuilles, le pas des proies faisandées, de Manchester, et au loin les relents de boue humide là où même le soleil ne parvient pas à traverser les cimes des ancêtres et délaissent les plaques détrempées de mousse et de terre, formant autant marécages que sables mouvants.
Quelque chose est sorti de la forêt pour le rattraper. Quelque chose qui l'a raté entre les dents des cochons, qui l'a manqué dans sa chute des 97 marches et qui attendait jusqu'à présent une énième occasion.
Aussi, comme dans un rêve, il s'entend murmurer :
« Ah, tu es enfin là. » Et sans sarcasme, sans parjure, sans se battre, accepte enfin la mort commanditée par Brett Withers.
Sujet: Re: Mors, ubi est victoria tua [Poppy] Sam 20 Mai - 19:28
Mors, ubi est victoria tua
« A guy like you should wear a warning »
Mai 1890
La fille s’est envolé, s’est étiolé comme tant d’éclats lunaires. Toujours évanescente, silencieuse et souriante, la gueule déchirée de rictus aimable dans l’ombre de son frère. A deux, ils avaient plongé à sa fange, venant le chercher, tirant ses bras. A deux, ils l’avaient enlacé, l’avaient porté et éveillé.
Des jumeaux ne demeuraient plus que Tobias. Mine renfrognée pour boucles sales. Éternellement contrarié. Prudent et félin dans ses déplacements, scrutateur dans ses chasses. Tobias lui avait toujours été le plus semblable et faisait à ses prunelles charbonneuses comme un écho aux siennes. Parfois, le souvenir écartelé du baiser lui revient, gifle à sa mémoire en dérive. Il est une bouée chaude, humide et un peu répugnante à son déluge. Parfois, c’est une raison de plus de s’éveiller, d’avancer. Un pas après l’autre dans le corps d’un animal.
- Je sais. – Car Poppy sait toujours tout, rédacteur, romancier d’un script joué d’avance où il n’a désormais plus rien à perdre. Dans son univers ne se dresse plus que Tobias, sinistre parmi tant d’autres silhouettes sans visage. – Tout ira bien.
Un aveu infondé qu’il glisse à sa langue, se redressant dans sa tenue noctambule. La capuche rabattue à son crâne, la tresse éparse coulant de biais à son épaule. Il chaloupe d’une démarche souple et fauve jusqu’à lui et, d’un réflexe incongru pour lui que rien ne touche ni n’agrippe, enlace presque son épaule. Sa joue y trouve le repos alors. A l’arrondi de ses membres rêches, il dépose son menton, ronronnant presque à sa carcasse malingre. C’est amer à sa bouche, baies et fruits des bois aigres jusqu’aux commissures. La soirée a un goût d’adieu comme de renouveau.
Sans doute attend-il quelques flatteries de sa main. Un mot plus doux. Un sourire qui n’appartient qu’à eux. Une complicité de bêtes irraisonnées qui n’a pourtant rien à voir avec celle d’un oiseau depuis longtemps digéré. Tobias n’a pas cillé à l’annonce et, pour cela, pour cette raison et tant d’autres, il demeurera ami, référence. Fidèle semblable et chef de meute.
Tout ira bien.
••••
Qu’importe le nom pourvu qu’on ait la contrepartie. L’argent, les quelques pièces éclatantes, luisant sous la crasse des mains poisseuses. De l’argent pour le groupe. De l’argent pour Tobias, Luë et les enfants. De l’argent pour un peu de sang. On se repaît du meurtre pour la cause comme d’un vin trop fruité, un vin d’ivrogne des ports qu’on écoule à grandes lampées assoiffées avant de trouver une ruelle à laquelle s’effondrer. Bonne nuit, dormez bien.
La nuit est profonde et lui fait un manteau, une cape d’hermine royale. L’habit princier des créatures chasseresses. Les toits seront son trône pour une nuit de plus et il bondit, biche urbaine, ombre aux ruelles et aux fenêtres qu’on a su clore. Prudentes fourmis qu’ils sont.
Qu’importe le nom.
Qu’il soit Withers ou de sang royal. Qu’importe le commanditaire, qu’importe les déchirures familiales pourvu qu’il y trouve son compte. La Bête n’est pas sectaire lorsqu’il s’agit d’une flèche de plus logée à un cœur déjà mort. Tous des cadavres, des fourmis sous sa semelle.
Lui n’est qu’un éclair vif, rougeoyant dans la pénombre.
Il a contemplé la bâtisse. Petit appartement cossu niché au cœur de la cité. Il a humé les effluves du lierre grimpant, soupesant toute la pierre de la bâtisse. Plus que les plantes, néanmoins, c’est les odeurs, la sueur, hargne et maladie, que La Bête a sentie, et s’en est délectée. Perchée là, sur le toit d’en face. A attendre le moment propice. A raser le sol du ventre, on finit par en apprécier les vallées et déliés, épousant ses formes avec la souplesse d’un vent mauvais. Les heures passées à observer lui ont enseigné la patience et la chasse l’attente qui gonfle, enfle au creux du ventre à y distiller quelques airs enténébrés d’un plaisir à venir.
A la fin, lorsque l’on a compté les feuilles de chaque arbre, déclinés les ondulations des herbes hautes d’un regard, il ne reste plus que les corps. Raides et bientôt boursoufflés. Exsangues et sans intérêt. Withers ou pas, il ne fera pas exception aux règles imposées par la mort, compagne, dernière valse.
Ce soir, il n’est ni oiseau – pas tout à fait – ni chat pour se hisser aux portes de sa déchéance. Seul cerf. Cerf-volant. Aha.
Dans l’ombre du colosse qui s’en est allé ne demeure que l’éclat luisant d’une flèche pointée vers la fenêtre ouverte. Seulement, les rideaux volent là-dedans et lui n’y voit trop rien. Qu’importe, si c’est de lame et d’éclats sanglants que doit se finir cette soirée. D’un bond volatil emprunté à ses années d’errance en rouquine compagnie, il s’échoue à la ruelle pour mieux se hisser. L’ascension est aisée par ailleurs.
Seulement, à sa poitrine cela bat. Cela pulse, avertissement instinctif qu’il s’efforce de faire taire. Tobias n’a que trop rarement raison pour qu’il lui offre ce soir bon ton pour sa vérité. Elle grimpe à la force des bras habiles, arbalète jetée à l’épaule. Elle grimpe et s’engouffre avec les courants d’air estivales. On n’y voit rien ici, on a tue les bougie comme le souffle précipité au lit. Cela dort, cela souffre.
C’est donc cela, que porte l’air. La maladie qui s’infiltre par les pores, jusqu’aux fissures de l’endroit. Jusqu’aux zébrures du plafond. Bête frémissante de sa découverte. Jamais elle n’a tant approché une cible, se foutant au dernier degré de leur sommeil et leurs airs. Seulement tout ici prend des aises bien trop tangibles.
Il est si jeune.
La salive se tord, brulante, tombe à sa gorge, pierre à son estomac.
Et quand il ouvre ses yeux gris, halluciné et plus limpide que jamais, l’animal se fige, dégueule de tout son rouge délavé par l’obscurité. Elle en reste immobile et pantoise, l’arme en joue, prête à l’accomplissement d’un énième contrat. Pour une énième tête.
Il avait ce regard brulant d'orage, diffusant à la tendresse de ses reins un frisson, caressant plus que n'importe quel délié de ses doigts.
Sujet: Re: Mors, ubi est victoria tua [Poppy] Dim 21 Mai - 12:44
Mors, ubi est victoria tua
« Pie-grièche et cerf »
Mai 1890
Cette sincérité qui fait trembler d’un rien sa voix, Johan l’embrasse dans son ensemble sans douter de son existence, sans y voir du théâtre. Se redressant à peine, fixant le clair-obscur, il tâche de deviner dans la neutralité de l’autre ce que lui vaut cette soudaine agression. Si c’est là la silhouette d’un homme ou bien d’une femme, quoique la réponse ne puisse rien changer à la pièce. Car c’est l’éclat de l’arme qui attire son œillade anthracite et par volonté de bien faire, sans toutefois sourire, il se laisse mener par la bride de sa correction, la politesse ourlant ses lèvres de quelques paroles presqu’aimables pour les circonstances.
« Il est sans doute bien plus agréable pour le dernier silence, de venir nous cueillir aux souffles épars de notre somnolence. Moins de débats et moins de marchandages. Moins en sommes de perte de temps. Qu’êtes-vous ? Si ce n’est un ange. Un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques le sommeil et le don des rêves extatiques. »
Son dos le crispe et rabattant l’oreiller contre la mouture raide du cadre en bois, il s’assoit avec plus de confort pour finalement tendre la main, lentement, vers la lampe à huile. A quoi bon se défendre, ou gagner du temps pour attendre la possible visite d’un Félix toujours inquiet ? A l’infection de sa vie, Johan ne lit entre les lignes qu’une implacable malchance et ne s’attend pas à ce que la donne change ce soir, pour sa plus amère surprise.
« Ces derniers mots ne sont hélas pas de moi. Ils sont d’un homme qui est bien le seul cadeau que la France aura su nous apporter. La traduction ne doit pas lui rendre hommage mais je pense qu’à la version originale, vous n’auriez rien compris. Mais de fait, saisissez-vous seulement l’importance de cette rime ? Et connaissez vous seulement l’existence de Charles Baudelaire ? »
La flamme avive soudain la pièce et sa chaleur vient recouvrir d’aurore une chevelure aussi rougeoyante qu’un feu de forêt. La couleur en est à ce point surprenante, même pour un anglais, que Johan se fige quelques instants, dans ses sarcasmes, dans ses piques habiles et ses marasmes. Pour se plonger à son tour au sein du profil androgyne de l’inconnu, se noyant dans ce regard implacable qui l’attache à son lit. L’émeut aussi brutalement qu’une gifle.
Puis après une hésitation, devine enfin la silhouette de l’homme, derrière le manque de genre. Et pointe d’une moue pincée de sa bouche, formée en bec, la menace que forme l’arbalète, toujours accrochée à son épaule.
« Il est vrai que c’est bien plus discret qu’un pistolet. Je vois que je n’ai pas à faire avec quelques fantômes ou mauvais présages. Vous êtes aussi solide et aussi tangible que ces murs alors dites-moi que me vaut l’honneur ? Et pourrais-je au moins connaitre le nom de mon pourfendeur ? Comptiez-vous viser la tête ou bien le cœur ? Dans le noir, même une cible immobile, dissimulée sous les couvertures, pourrait se faire difficile. Par où êtes-vous donc passé ? La fenêtre ? »
Puis se répondant à lui-même, il a un rire épuisé.
« Félix sera bien fâché d’avoir à me dire, une fois encore, à quel point il a raison – enfin, s’il en a le temps. Mais c’était peut-être une invitation de ma part. Je souffre. J’en ai assez de souffrir. C’est une fin comme une autre, bien que sanglante et brutale. Ne me répandez point partout, ayez la décence de frapper au plus juste. Je n’ai pas l’intention d’attirer l’attention par un grand ménage. »
Les flasques sont du côté de l’ennemi. Et poussant l’arrogance au point de convergence, peut-être même au manque de patience de l’assaillant, il lève un doigt narquois et demande, de manière presque exquise, douceâtre comme du velours.
« Auriez vous tout de même l’amabilité de m’apporter mes médicaments ? Le temps que l’on discute, j’aimerais que mon mal nous laisse en paix. La fiole bleue. Si possible bien sûr. Je vous saurais gré. »
Sujet: Re: Mors, ubi est victoria tua [Poppy] Mar 23 Mai - 0:18
Mors, ubi est victoria tua
« A guy like you should wear a warning »
Mai 1890
Il y a dans toute cette mécanique qu’à le corps au réveil quelques airs de pantins disloqués. D’automates qui reviennent à la vie, péniblement, sous les ordres d’une maîtresse destinée, marionnettiste hors paires. Jusqu’aux lèvres pincées du garçon, rien qu’un souffle, cela s’anime dans l’air. Et La Bête vacille, effleure d’une main furtive quelques résidus filaires qu’elle croit avoir saisi sa gorge. Ce n’est pas uniquement dans sa voix mais aussi dans ses yeux, les prunelles orageuses qui distillent air et obscurité sans savoir à quelle forme étrange s’accrocher. L’on dit que la nuit, les choses s’extirpent de leurs formes, grandissent à se faire plus menaçantes. Elles profitent des ténèbres secrètes pour se fonder à une nouvelle peau que le jour n’aurait pas su leur accorder, lâches qu’elles sont. Le plus banal des porte-manteaux se fait alors hydre à quatre têtes colossales, l’ombre d’un guéridon diablotin démoniaque veillant à votre sommeil agité. Poppy s’interroge alors, pas plus d’un instant, sur le danger qu’il peut ainsi offrir à l’œil peu averti, enveloppé des mystères que le soir flanque à ses courbes rêches.
Dans son observation circonspecte, cependant, il n’a rien d’un volatil frayant avec son cœur. Pas plus que d’une victime dont il a mainte fois imaginées les élucubrations suppliantes, pourvu qu’il se soit montré au préalable. Seulement, ce soir, c’est bien la première et unique fois qu’il se présente en faucheuse au lit d’un être enterré par avance. Pour quelques vers en l’air qui, à défaut de rebondir à ses os comme le reste, s’accrochent et s’agrippent aussi sûrement que la plupart des paroles de Tobias. Et cela le fait frémir, d’animal, de répulsion à l’idée d’une autre courroie à son cou. Le nom sautille, bataillant faiblement dans le silence que le garçon impose à chacune de ses diatribes funèbres.
- De nom. – S’ébroue l’animal sans jamais relâcher la tension de l’arme, fermement pointée à ce corps sans tellement savoir quoi y viser. Par où l’achever, conclure son vol. Cet oiseau-là, toutefois, ne semble pas avoir un jour volé de ses propres ailes. Et Baudelaire flotte à nouveau, solitaire, en plein spleen, quand La Rouge ne sait plus où donné de la tête. Petit cadavre, juvénile adolescent dans l’ultime boîte de voyage. Cercueil de bonne facture, grassement payé, pleurs de mère – de veuve ? Il a quoi qu’il en soit bien du mal à se figurer les traits si tendres et si vieux à la fois, assoupis à jamais au fond d’une boîte. Et c’est peut-être ce qu’il, rien qu’une fois, le pousse encore à hésiter. Mais tu n’as pas hésiter à dévorer sa gorge en premier, n’est-ce pas… ? – Je suis La Bête.
Et c’est tout ce qu’il a besoin de savoir.
Il implose d’une flamme à ses yeux fauves qui, dans la pénombre, éclosent en fleurs terribles et affamées, rougeoyant à l’instar de sa chevelure sous la danse d’une flamme qui pourrait bien les précipiter tous deux hors de cette situation épineuse. C’est ainsi que tu comptes voler, oiseau ? Mais l’idée est aussi stupide qu’elle est inutile et Poppy aurait à sa hâte bien le temps de repasser par la fenêtre avant que les flammes ne les rongent tous deux. Il estime par ailleurs le condamné plus digne et surtout, moins idiot que cela. Certains oiseaux savent garder tout honneur aux portes de la mort.
Les questions fusent comme tant de secondes gagnées sur le fil du temps, de l’inévitable fin qui s’approche comme tant de galops sauvages. Cavaliers d’apocalypse au fil de sa flèche. Mais le nom tombe comme le rire et c’est imprudente que La Bête se tourne, à peine, d’une vision d’ensemble à la pièce, prête à parier sa tresse que le dénommé Félix serait bien peu ravi de la savoir ici, raide et prompte au travail. Seulement, les voilà seuls et abandonnés à cette chambre étranglée. L’air étouffe et remonte ici dans ses trémolos ivres d’été à venir. Fleurs pourries et eau rance. Exactement comme les jumeaux.
- Pardon… ? – Il n’a guère prêté attention à la demande, ou du moins pas à sa réelle portée, trop occupé à saisir les flagrances de l’atmosphère bourgeoise quoique urbaine des lieux. Cela est plus entêtant qu’aux plus bas-fonds de la capitale, d’une certaine manière. Et c’est interdit que l’animal acquiesce, abaissant à peine son arme pour approcher. Pas lourd de cerf en terres inconnues. C’est alors que, dans toute sa constance, il s’affaisse d’un rien sur le lit, cillant au corps étendu. Puis, saisi la fiole qu’il lui tend, imbécile dans son obéissance dont il a lui-même du mal à saisir la provenance. – Tenez. Cependant, si vous comptez vous achever ainsi, sachez que je serais tout de même contraint de tirer.
Car sans flèche pas de preuves, sans preuves par d’argent. Et rien, alors, pour attiser la satisfaction du groupe. Ou ce qu’il en reste entre les poils pouilleux d’un chat épuisé.
Sujet: Re: Mors, ubi est victoria tua [Poppy] Mer 31 Mai - 20:22
Mors, ubi est victoria tua
« Pie-grièche et cerf »
Mai 1890
Peut-être bien qu’Elizabeth le pleurera et il se l’imagine aisément, alanguie sur son corps, bras croisés à son torse malingre, les épaules secouées de discrets sanglots. Si la dignité et le pendant de sa sœur aînée, c’est frappée au plus frontal qu’elle s’ébroue et implose un peu comme ces miroirs bon marchés que la moindre écaille peut fendiller. Et Arthur, oh le pauvre Arthur pleurera sûrement. Puis le jeune âge aidant, la bonté fera qu’il oubliera jusqu’à son nom. Et de ses dix ans ne subsisteront plus qu’un accord de violon, une main passée dans ses boucles blondes et la manière dont, discrètement mais fiable, Johan veillait sur lui.
Alors la Bête s’approche et dans sa posture de chat de gouttière sans collier ni laisse, il reste un bégaiement. Johan se demande dès lors si c’est lui qui, dans son aspect, lui cause un tel tracas mais se refusant à le questionner sur son attitude, se refusant à mettre en évidence la faiblesse de son corps en triste constat, attendant en souriant, redressé dans son lit, une jambe étendue, l’autre creusant son absence et le mal fustigeant ses reins de douloureux éclairs.
En lui, c’est toujours l’orage et les cumulus s’accumulant dans ses pupilles grisâtres, il daigne accorder au présent l’installation précaire à son matelas moelleux. Tendant la main pour cueillir la fiole bleue.
« Il y en aura qui seront ravis… » Souffle-t-il mystérieusement, songeant non pas à Brett mais au médecin, au chirurgien de l’hôpital et à ses sarcasmes. Un patient – ou client, quel serait le meilleur thème ? – désagréable de moins à subir les humeurs. Un jeune boiteux de moins dans cette Londres critique. Et la fatigue. Ah la fatigue. Non vraiment, en quoi vaut-il la peine de vivre ?
On pourrait bien incriminer la jambe mais il n’y a pas que cela, allons. La faiblesse s’est installée comme une odieuse petite bête, nichée à ses tempes. Cela grignote de sussures et cela ronge de mauvaises pensées. Cela le poursuit depuis ce jour honni où, tombé au milieu des porcs, le rire l’avait assailli comme mille épées.
Non vraiment, la jambe n’est pas en cause. Ce n’est, finalement, qu’un préavis donné à la pourriture gangrénant son esprit plus que son corps. La chanceuse gauchère a pu s’en aller plus vite. Il est désormais tant que le reste suive.
« Je ne suis tout de même pas certain de disposer ici assez de matière médicamenteuse pour trouver le repos éternel et, ne m’en voulez pas, même si j’apprécie l’attention que vous portez à mon cas, je demeure croyant. Le suicide n’est pas envisageable dans ma condition. Une flèche en plein cœur - que pourrait-on rêver de mieux ? Je ne vous ferai pas même l’offense de vous demander si cela va faire mal. Quand on vit dans le feu, une flamme de plus… »
Mais en débouchant la bouteille, quelque chose s’éveille. Un réflexe physiologique plus qu’une volonté certes mais ce pincement trouve sa source dans le moindre de ses gestes et tissant sa survie à l’inconscience de ses actions, demeure et se tapit comme pour contrer la Bête. Le regard tressaillant de surprise de sentir, avec force, son cœur battre dans la poitrine, Johan noie son hésitation dans le goût affreux de cette décoction. Et la posant sur la table de chevet, remarque aussitôt la canne.
Au sein du pommeau se cache une épée mais ni sa position ni le temps ne lui seront d’aucune aide. Alors il s’en détourne, laissant seulement sa main pendre, comme faible, et observant le paysage de cette mort en nature qui éparpille feuilles, odeur et bois de boue dans l’atmosphère, il penche la tête de côté et murmure.
« Je vous ai attendu mais je ne pensais pas que vous seriez aussi. » Il pense, attrayante, mais l’adjectif lui semble pincé comme une corde de violon protestant à la note trop haute pour la bassesse de ses pensées. Il n’y a pas à être vulgaire, mais il n’y a pas non plus à y mettre les formes – ce n’est qu’une bête.
Aussi chuchote-t-il.
« Que vous seriez aussi belle, ma Bête. » Et puis le possessif est ainsi posé, et que l’instant n’appartient qu’à eux, il semble sombrer dans le lait de ses draps et son ton se fait crème, aussi subjugué que paisible.
Sujet: Re: Mors, ubi est victoria tua [Poppy] Dim 4 Juin - 17:17
Mors, ubi est victoria tua
« A guy like you should wear a warning »
Mai 1890
Ce n’est qu’une Bête.
Une Bête bien bête qui se tord, se débat déjà, prise à un piège qu’elle n’a pas vu venir. Qui, discrètement – elle le sent – se referme à sa patte, à son pauvre sabot qu’il viendra bientôt déchirer. Mais la quiétude est trop belle et l’oiseau trop délicat. Et le chat attend, feulant à sa chambre fourrière. Plus que le volatile c’est le félin qu’elle s’efforce de ne pas décevoir cette nuit. Mieux vaut alors ne pas rentrer les mains vides. Certains seront ravis. Certains auront demain à leur assiette quelques copieuses miettes de plus à se mettre sous la dent. Et ainsi va le monde, quand on arrache aux privilégiés pour mieux vivre dans leur ombre.
Ce n’est qu’une Bête.
Une Bête qui ne sait que trop bien comme les conflits familiaux sont l’abreuvoir des riches. Comme l’oiseau sait sans doute, que son aîné est en cause. Certains seront ravis et lui plus encore que les autres. Débarrassé d’une épine pour quelques sommes gracieuses, dans le silence et l’élégance. Ne venons pas les bousculer dans leurs palais de verre, fragile piédestal. Mais celui-ci ne fleure pas le parfum haut de gamme, sans posséder à sa peau les acides d’une sueur rance de travail pour autant. Il goûte les effluves ferreuses et enivrantes des plantes concassées, réduites en poudre. Les relents chimiques hasardeux des hôpitaux, pour ce qu’elle en sait. Pour ce que cela lui importe. Il y a dans ses yeux gris d’orage sur le point d’éclater les ombres d’une forêt lointaine. Presque oublier mais qui gronde encore, s’efforcent de transparaitre et poindre dans ses regards. Et elle voudrait saisir sa main, sur une jambe, deux ou trois qu’importe, pour l’entraîner à son berceau. A sa sylve bien-aimée. Et le chérir au cœur des racines pour y panser toutes ses plaies. Toujours mieux que la fange porcine à laquelle on l’a jeté.
Ce n’est qu’une Bête, ma Bête.
Et les griffes se referment à sa gorge. A son oreille, cela ricane, cela crépite, mauvais et miséreux. Cela revient en relents crasses de viande et de fluides âcres. Pour un peu, c’est à peine si elle ne sent pas poindre les plumes à son visage. Ne me dis pas que celui-là aussi tu le veux ? Plus que de raison, et si soudainement que cela en est douloureux à sa poitrine. Et qu’il ne le voit pas tendre la main, s’approcher à pas feutrés d’une ligne de défense. Et qu’il se fige, s’essaye à tendre une main vers lui. Affamée, possessive. Voudrait le saisir, le tordre, le retourner en tous sens pour mieux le découvrir, cet oiseau au regard digne. Rouvrir ses coutures et ses plaies comme il a cette fois envie de courber l’échine sous sa noblesse. C’est inqualifiable, dévorant, terrifiant.
Comptes-tu t’accaparer tous les oiseaux de la ville ?
Seulement un de plus. Rien que celui-ci. Promis, on y verra que du feu dans la volière, s’il voulait bien se donner la peine de le saisir. Mais La Rouge abaisse sa main, suspend son geste. C’est trop tôt. Pas encore. Pas tout à fait.
Et à croire échapper au piège, c’est elle qui est empalée.
- … Et je ne m’attendais pas à trouver un oiseau dans ce lit. – Un oiseau fébrile auquel on a coupé la patte, si ce n’est pas l’aile. Un oiseau qui, même la fenêtre ouverte, est bien incapable de s’envoler. N’en a pas le courage. Plus insidieux encore qu’une porte close, c’est à sa place qu’on lui a appris à rester. Triste à mourir. D’une flèche dans le cœur. Et La Rouge oscille, secouant un visage qui aurait pu être impassible si son regard n’affichait pas désormais la certitude hantée d’une erreur monumentale. - … Je ne peux pas…
Abattre cette oiseau-là serait criminel. Et terriblement humain.
Sujet: Re: Mors, ubi est victoria tua [Poppy] Lun 5 Juin - 13:09
Mors, ubi est victoria tua
« Pie-grièche et cerf »
Mai 1890
C’est un arc électrique qui fourmille entre eux et les attache, l’un à l’autre, à la faveur de leurs regards. Johan ne peut que la sentir, cette attraction presque gravitationnelle, qui les fait se pencher l’un vers l’autre et quand la main de la Bête renonce finalement au contact, c’est d’un soupir presque déçu qu’il lui répond.
« Ah vraiment, vous ne pouvez pas… » Comme s’il y avait autre chose, présent, bien au de-là de la menace de sa mort. Comme si l’étranger aux cheveux de sang renonçait finalement à bien pire qu’à son acte de cruauté. Et à s’entendre être nommé volatile, voltigeur à la patte tombée dans le piège, Johan sourit, d’un air presque résigné. « C’est curieux que vous disiez cela, oui, vraiment curieux… » S’il tient de l’oiseau, il n’est que l’Albatros de Baudelaire. Piteux, penaud et bancal, sur ses marches de terre. Subissant moqueries et fausse pitié des carnivores de ce monde.
« Je pensais que vous alliez me saisir à la gorge, ma Bête. » Chuchote-t-il alors et l’odeur des forêts se fait soudain plus pressante, comme si le marécage montait de lui-même à leur étage, comme si la fin du monde se trouvait dans le crépuscule un peu humide de quelques sous-bois. « Je pensais que vous étiez là pour me déchiqueter patiemment, plume par plume. Et non pas… »
Et non pas, laisser cette chandelle brûler à la faveur d’une fenêtre ouverte donnant sur un crépuscule bien plus noir que ses cheveux. Et non pas, laisser sa main pendre en direction de cette canne qui n’est pas seulement qu’une épée dissimulée. Et non pas, se rapprocher jusqu’à se flétrir à son haleine et le faire douter des accointances particulières de son esprit en désuétude.
Prendre le risque de faire paniquer l’oiseau déjà blessé. De se voir offrir ses yeux d’aurore aux serres d’une pie-grièche.
« … commettre tant d’erreurs. » La porte grince derrière eux. De sa carcasse de géant, Félix a su apprendre de ses faiblesses et chaque marche de l’escalier montant jusqu’à l’étage est devenu un parcours de danseur qu’il franchit à la pointe des pieds. Il n’y a pas un mot, une voix, un soupir ou un geste pour trahir sa présence. Mais il est là, dans leur dos, alerté dès son retour par la lumière et par l’apparente tranquillité des lieux.
Johan sourit. Félix tend les bras.
Et déjà la canne, profitant du mouvement de surprise de l’arbalétrier, vient cueillir la Bête à la mâchoire. D’un coup violent pour un être aussi éreinté et famélique que Johan. Si le choc l’étourdit, ce n’est rien par rapport au second qui le chope à la nuque, et le fait tomber sur le lit.
« L’appel de la mort est le baiser éphémère d’une faille parmi montagnes. Vous auriez dû en profiter un peu plus tôt, ma Bête. Le vol hasardeux des pie-grièche ne cache jamais autre chose qu’un morbide repérage… » L’écho de la voix se distord dans l’amertume un peu rouillé de quelques gouttes de sang. Johan continue de sourire, alors même que le poids disparait de ses jambes, emporté par Félix.
« Vraiment pardonnez-moi. » Sera la dernière chose que la Bête entendra. S’enfonçant dans les marécages d’un inextricable évanouissement.
Lorsqu’elle rouvrira les yeux, c’est au salon qu’elle se trouvera. Félix en poste près de la fenêtre, mains croisées sur l’entrejambe, jambes passablement écartées et air revêche, presque déçu, placardé sur son visage presque germanique. Le français n’a pas décoléré depuis l’ordre aussi surprenant qu’inexplicable venant de la pie, de soigner ce malotru – ou cette ? Le pansement attaché à la nuque maltraitée de la bête, la pommade appliquée à sa mâchoire, il se cache dans ces attentions une volonté presque malpropre de s’excuser et de le rendre presque convenable pour l’entretien qui débute sitôt les volets de ses paupières relevés.
Johan, thé en main, insomnie bleuissant les cernes sous ses orbes grises, lève alors sa soucoupe pour le saluer. Et décroisant ses jambes, quitte son propre siège pour se rapprocher de l’inconnu.
« Vous devriez pas boss. » « Allons, tu l’as fermement attaché. » D’une corde trouvée dans la cuisine, qui lie ses mains en arrière. Et une ceinture à chaque cheville muselle ses mouvements pour les épouser à la forme de sa chaise. Non vraiment, entravée ainsi, la Bête n’en est que plus que splendide.
« Rebonsoir, Bête. Me voici comblé de vous retrouver sans trop attendre. J’avais peur que le dernier coup infligé à votre nuque vous ai sonné pour les prochaines 24h mais gloire est de constater que vous êtes une véritable force de la nature. Comment vous sentez-vous ? »
Certainement pas à son avantage mais le pommeau vient cueillir son menton, et d’un mouvement brusque de la canne, Johan lui relève son visage.
« Ne soyez pas trop fâchée. Il est de mon commun de fuir les moments privilégiés, de crainte de trop m’éviscérer d’affection. Ce n’est pas bon, pour les âmes comme les miennes. La confiance et le sentiment, sont presque des afflictions à notre époque. Êtes vous en état de parler, j’ose espérer que oui… »
Et ignorant Félix, retrouvant avec douceur l’attrait de son regard, Johan avoue dans un murmure toujours souriant.
« J’aime beaucoup votre voix, ma Bête. Je l’aimerais encore plus si elle prononce mon prénom. »
Sujet: Re: Mors, ubi est victoria tua [Poppy] Dim 11 Juin - 1:21
Mors, ubi est victoria tua
« Calm me down with your caress I'll get off while I watch you undress »
Mai 1890
Sous la morale et ce que lui dicte toute cette part qu’il avait pourtant abandonnée à ce gouffre, gronde l’envie de tuer. Une pulsion à sa mâchoire menace de mordre, fourmillant à ses crocs, manque versatile à chaque dent. Cela soupire de ne pas s’assouvir. A défaut de l’abattre, au moins briser l’autre aile. Tout est bon pour faire taire les pulsions. Mais il ne peut pas. Bête incapable et tête basse pour queue entre les jambes, ni félin ni cerf. L’on n’a jamais bien su et c’est sans doute mieux ainsi. Et l’autre semble le défier au fil de sa langue, soudainement bien abrupte et voltigeur au ras de la terre. C’est une pie qui l’agace, se faufile et se pose à ses bois, piquant son crâne et piaillant à ses oreilles. Il serait alors simple, de faire taire la raison, tendre une patte pour l’abattre, faire taire l’éternel pépiement moqueur et le jeter au sol qu’il n’aurait jamais dû quitter. Mais dans ses yeux, l’oiseau trouve le courage de voler. Et là est tout l’essentiel.
Une patte après l’autre, c’est du ventre qu’elle rase les draps, rencontrant le mont hasardeux de son corps. Elle rampe, promenant un regard de biais à la canne, la fenêtre, l’ersatz de jambe qui se traîne, immobile et désincarné dans un coin. Patiemment. Cela roule sur le garçon, sur l’oiseau, et elle pèse comme un poids sans jambes sur la carcasse qu’elle découvre et domine, non plus comme assassin nocturne mais bien animal curieux. La salive se tord à sa langue. Plume par plume. Les mises en garde de Tobias résonnent à l’arrière de son crâne, contredisent l’instinct sans parvenir à le refréner le moins du monde. Chaque bruissement et bientôt rattrapé, couvert et enrobé par le ricanement enhardi d’une hirondelle fondue dans les murs.
Chaque battement d’ailes, chaque pépiement et supplique seront siens.
Mais c’est le plancher qui entonne quelques mélodies hasardeuses de craquements et de limbes oubliées. Et, animée d’un terrible instinct, d’une dévorante attention, La Bête n’a que le temps de se figer, se tourner pour constater l’évidence. Elle avait posé la patte dans le piège dès son arrivée. Ses yeux fous vacillent sur le colosse, les crocs reprenant leurs droits sur ses lèvres. Mais c’est du volatile que vient l’attaque, coups de serres au museau lorsque de la canne il vient le faire choir. Sa prise s’emmêle, se floute à s’en faire évanescente. Elle s’évapore comme l’illusion d’avoir pu le saisir. Saloperie d’oiseau. Si le coup a été suffisant pour le déstabiliser, c’est d’un bond engagé qu’elle tente encore de s’extirper. Elle n’est pas de taille, La Bête, à démolir ces gorges-là. A entailler et mordre de ces choses qui font par deux fois la taille de sa cuisse. Des deux c’est pourtant le garçon qui l’effraie le plus et elle tente déjà de se traîner au parquet. Ramper dans la poussière de son le lit pour regagner la fenêtre, faille sur l’en-dehors. Et sauter s’il le faut.
Mais cela le saisit au collet comme un gibier indélicat, un lapin à dépiauter. Cela s’imprime en pression à la base de sa nuque, sous le duvet brun des cheveux réunis en tresse de plus en plus anarchique. Il est à l’image des phalènes terminant leur course entre les boucles de Luë et songe qu’ils crieraient, piauleraient à leur tour, s’il avait toutefois une bouche pour le faire. Mais sa réalité vacille, loin des phalènes, des fourmis et des oiseaux, se dépeignant à ses grondements absents. Et, sur ses yeux engourdis, le froissement d’ailes sombres d’un oiseau moqueur.
Ce qui m’étonne, c’est que tu sois encore en vie. Après tout ça, tu aurais au moins pu avoir la décence de mourir… Cela ne serait que justice et tu n’aurais plus jamais à te plaindre que je te manque.
Sa vision roule à un angle peu engageant. Sous les ondulations brunes de sa tignasse, elle revient à peine à la vie en un craquement général provenant de son corps entier, lasse et engourdi. Séisme, tremblement de montage à ses os, crispant jusqu’aux orteils dans ses bottes. Il coule d’un regard aux harnachements de sa ceinture, s’entrecroisant en figures géométriques complexes à sa taille et ses cuisses. Il suit les lignes, mémorise la perfection des tracés logiques pour ne pas sombrer à nouveau et constate du même coup l’absence d’un poignard de fortune. En cas d’urgence. Ben tiens.
Les voix résonnent et la pie bavasse sans qu’il n’en saisisse encore un traitre mot. En filigrane de sa silhouette, celle d’un autre oiseau à l’œil décollé, pour une fois silencieux, presque avachi à son épaule. L’hirondelle savoure, contemple. Poppy cille et la voilà retournée à ses ombres, ne laissant plus qu’une pie remplumée et bien droite. Petit oiseau trompeur à la poigne de fer. C’est à peine si elle n’en sourit pas sous les volutes rougeâtres de sa tignasse, à ne pas bien discerner qui du jour ou de la nuit a repris ses droits sur le monde. A bander les muscles et se gonfler en avant, rien n’y fait et la chaise se fait pour l’heure son nouvel enfer personnel, sans qu’elle ne parvienne toutefois à y éprouver une crainte quelconque.
Seul la perspective d’être entravé suffit à un grognement, un grondement d’abysses de se former à sa gorge, montant en menace dans le silence de la pièce. Le pommeau à sa mine n’y changera rien et c’est à croiser les nuances rieuses à son regard qu’elle entrouvre la mâchoire, rejetant la canne à manquer de la mordre. Les entraves ne suffiront jamais à le faire taire tout à fait et un soubresaut secoue la chaise d’un tremblement de bas-fonds qui perce jusqu’à sa voix aussi indéterminée qu’elle est rauque dans ses accents.
- Si tu veux quelqu’un pour piauler ton nom… - Il en est fini de la politesse, des vouvoiements de rigueur. Si elle s’est essayée à être polie c’est bien trahi dans sa démarche qu’elle se vexe d’avoir été si prévenante. Au point d’être entaillée à sa propre faiblesse, cette intimité dans leurs regards échangés. – Tu n’as qu’à donner un sous à une catin de Whitechapel pour t’assouvir, moineau.
Ces quelques années passées à écouter presque religieusement la moindre insulte de Tobias n’auront pas été vaines.
Sujet: Re: Mors, ubi est victoria tua [Poppy] Dim 11 Juin - 18:06
Mors, ubi est victoria tua
« Pie-grièche et cerf »
Mai 1890
Ah certes, c’est dommage. A le voir se rebuffer à peine, le giflant d’une œillade assassine, Johan s’attendait presque à une continuité presque lascive de leurs échanges. Mais tout ce qui résulte de cette brusque embardée caractérielle sont ces quelques mots aussi sales que putrides, une insulte, une offre qui lui fait pincer les lèvres de mépris avant que soudain, Félix ne s’avance d’un pas lourd. L’idée claire.
Cogner, cogner jusqu’à ce que sa tête se vide, jusqu’à ce que le mal l’emporte et que sa langue de chienne se délie mais à peine a-t-il eu le temps de lever le bras que la canne s’interpose, lui barre le passage, poussant contre le torse de taureau, ce poitrail de colosse, pour mieux le faire reculer. Si Félix sent contre lui une quelconque pression, c’est plus par professionnalisme que par entrave qu’il obéit, s’arrête net et laisse couler sur lui le rire un peu gêné, stupéfait et attendri de son maître.
« Allons, allons Félix. Laisse-le donc faire. Ne crois-tu pas que ça soit de bonne guerre, de lui laisser ses piques infâmes pour toute défense ? Que ferais-tu, toi, si tu te retrouvais soudain piégé et obligé à babiller pour satisfaire la curiosité de ton nouvel ennemi ? Que ferais-tu donc, toi, si tu te retrouvais soudain ficelé sur cette chaise ? » « Je briserais la chaise. » Répond Félix dans un souffle avant de recroiser les bras, reprenant sa posture contre la porte après un simple coup d’œil à Johan. Qui rit. Rit comme un innocent, d’une voix frêle un peu vacillante, un sifflotement d’oiseau perçant.
Et rajoute à l’encontre de Poppy.
« Une fois, je l’ai vu écraser la tête d’un homme contre son poing comme un melon trop mûr. Alors il est vrai qu’une chaise ne doit pas être d’un grand obstacle. J’espère, vous concernant, que vous êtes tout de même bien installé. Il a fallu resserrer les liens, il est vrai, pour vous empêcher de vous échapper mais ne tentez pas de fuir. Vous vous retrouveriez au sol, un peu plus misérable et que je crois que votre orgueil, Bête, ne le supporterait pas. »
C’est évitant une possible morsure que ses doigts viennent se tendre aux mèches carmines échappées à sa tresse. Caressant la chevelure de la némésis androgyne avec un rien de patience, remettant tranquillement en place ses quelques cheveux électriques, derrière son oreille fine, pointue comme celle d’un lutin. Son regard gris s’ombrage à peine, de nouveau. De cette fébrilité qui fourmille toujours entre eux et que l’autre, sans doute, ne peut que ressentir. Puis comme un sursaut, ignorant le témoignage de Félix qui ne les a pas quitté des yeux, il recule et claque dans l’air, interrogateur.
« Mais dites-moi, puisque nous en parlons. Il me semble que celui qui a été payé par un Withers ici… c’est vous ? Alors finalement, ma bête, qui est la véritable putain de l’histoire ? Certainement pas les pauvres âmes de Whitechapel qui ne doivent pas même connaitre mon nom. Mais j’ai souvenir de quelques brebis égarées aux bras d’un homme de belle stature et si vous n’êtes pas enthousiaste à murmurer mon nom, peut-être le serez-vous pour m’abandonner celui de votre commanditaire ? Oh, vous avez dû le comprendre, j’ai déjà quelques soupçons. Seulement, si vous pouviez me confirmer, cela serait fort agréable et vous pourriez repartir. Moi vivant, certes. Mais vous aussi, et tout de même, ça a son importance. »
Dans le dos de la bête, le géant tressaille, presque choqué de cette possibilité. Ne semblant pas croire totalement en l’honnêteté de Johan qui serait, à cet instant, une marque de profonde stupidité et de candeur. Le boiteux croit-il vraiment en un simple départ de la part de ce mercenaire – puisqu’apparemment, c’est bel et bien un homme malgré ce surnom de « bête » ? Pense-t-il réellement que le tueur s’en ira sans réitérer son geste et obtenir son gain ?
Félix a travaillé dans ces mouvements, fut un temps. Il a tué autant qu’on pouvait tuer quand on a 17 ans. Mais si ce passé de meurtrier est désormais révolu, si le combattant a laissé place aujourd’hui à de plus simples instincts protecteurs et une vie rangée, l’expérience bat son fer dans sa cervelle inquiète et d’un regard, il laisse entendre à Johan ses conseils avisés.
Hélas pour eux, Johan n’est qu’une pie capricieuse qui ne joue que l’air qu’il a envie de siffler. Et aujourd’hui ne fait pas exception.
Sujet: Re: Mors, ubi est victoria tua [Poppy] Ven 23 Juin - 0:33
Mors, ubi est victoria tua
« Calm me down with your caress I'll get off while I watch you undress »
Mai 1890
Il vaudrait mieux frapper.
Et lui offrir quelque chose de connu plutôt que ces regards et ces mots qui l’angoissent et la fige à sa chaise, animal trop longtemps privé d’affection pour en apprécier désormais la moindre tentative. C’est par instinct que ses dents claquent, que cela monte à sa gorge en grondements caverneux quand l’autre approche, jetant à son rouge une ombre menaçante. Si cela doit pleuvoir, il ne l’emportera pas au paradis et peut-être même parviendra-t-il à le mordre au passage, suffisamment fort pour imprimer à sa peau quelques traces indélébiles. On ne fracasse pas aussi impunément une Bête sans en payer un minimum du prix exigé. Et c’est pour cette raison que Tobias est loin d’être assez con pour le cogner. Ça, et par respect. Une vague notion qui flotte entre eux, naturelle et informulée, sans qu’ils n’en saisissent réellement la teneur. Dans cette pièce, pas l’once d’une sensation semblable se délitant dans l’air. De la fascination qu’exerçait l’oiseau sur son esprit ne reste plus que quelques miettes qu’il aura tôt fait de picorer de la canne.
Mais il s’interpose, Lilliputien à l’autorité de géant, aussi écrasante qu’un quelconque couperet d’exécution. Pas de lame pour les tueurs – typiquement Français – et lui passera par la corde lorsqu’ils le livreront. De l’offre avancée par la pie, La Bête ne croit pas le moindre mot. C’est une pie, ce garçon-là. Pas celle en costume mais la grièche. La toute petite et frêle qui empale à tour de bec quand l’envie lui prend de festoyer. La Rouge s’étonne de ne s’en être pas plus tôt aperçue. Pas plus que d’être bien incapable de briser la chaise. Il est préférable pour le volatile que ses mains demeurent liées pour l’heure quand lui vient quelques idées de mise à mort tout à fait inventives. Il n’aurait qu’à prier que l’instinct ne lui ait pas donné le goût de la torture.
- Je n’irais pas jusqu’à vous qualifier tous deux d’ennemis. – Chuchote-t-elle, la voix basse en trémolos éraillés. Déjà fatiguée de parler lorsqu’elle précise néanmoins la véhémence de ses propos. – De là d’où je viens, les ennemis s’affrontent en combats singuliers. Les lâches qui m’attachent à des chaises ne sont en rien des ennemis…
Mais l’autre est hilare dans sa pauvre chemise de nuit, sifflant ses rires à ce que la nuit leur offre de silence. Il lui semble alors que quelques voisins pourraient mettre fin à cette mascarade pour défendre à leur tour une tranquillité bien méritée. Drôle de réputation que cela flanquerait au notaire, pour ce que cela peut bien lui importer.
La Bête se fend d’un soupire éreinté quand ses yeux s’habituent plus exactement à l’obscurité. Quand cela lance, terrible à l’arrière de sa nuque. Ce moineau ne l’a donc pas manqué. Et déjà s’en revient en territoire conquis, venant enrouler ses doigts à quelques ondulations écarlates. L’animal se contorsionne alors, larve vissée à son trône de fortune, gonflant la poitrine, relief de ses côtes jeté vers l’avant quand ses yeux fous trahissent les visions de torsions et de chair à vif qui éclosent là, douces et âcres derrière ses paupières. Et dans ce remue-ménage claque le nom d’un Withers. La biche cille à nouveau, louchant à cette question qui dans l’air s’étend pour prendre trop de place, tombe à leurs ventres comme une pierre rieuse. C’est presque perdu qu’elle glisse un œil de biais au gardien qui fait pilier contre la porte, tant et si bien qu’on le croirait meuble de cire.
- A quoi bon répondre à cette question si la réponse est déjà connue ?
Il semble savoir, l’oiseau. Deviner dans le hasard laissé par cette nuit à qui revient la faute plus qu’au tueur commandité. Et quoi ? Devrait-il pleurer ? Les règlements de comptes familiaux sont plus que courants, à en devenir ennuyeux dans leur fréquence redondante. A la chaise il hausse une épaule, étirant un sourire qui n’a pourtant rien d’amusé et où ne se reflète pas le moindre éclat de douceur. A son visage, cela semble vide, et comme une imitation des airs déments d’un chat de gouttière, presque cruel.
- Permets-moi de douter de la sincérité comme de la santé d’un être qui n’a pas la présence d’esprit de m’achever. Comment crois-tu que les choses fonctionnent, moineau ? C’est une offre, un travail. Une somme d’argent pour laquelle j’ai l’obligation d’agir. C’est un contrat pour lequel je reviendrais, je ne vois pas de raison de te mentir à ce sujet.
Et Poppy n’a rien d’un menteur, d’une entourloupe de couard qui se perdrait en révérences pourvu qu’on lui laisse la vie sauve. Il a encore un chat à nourrir.