Il faisait nuit noire à cette heure. Après tout, il était déjà 10 heures du soir. Habituellement, Julian est déjà au lit depuis longtemps, mais pas ce soir… Ce soir faisait partie de ces fameux moments où il ne se sentait pas bien et il avait besoin de réconfort. Lorsqu’il déprimait ainsi, il se sentait incroyablement seul. Il ne voulait pas inquiéter Enoch avec ça, Martin devait avoir mieux à faire et leurs parents... Jamais il ne pourrait compter sur eux. Julian avait rapidement appris que monsieur et madame Dormer n’étaient pas de ces parents sentimentaux qui étaient à l’écoute de leurs enfants et qui s’inquiétaient pour eux. Ces derniers utilisaient leurs fils à des buts purement pratiques afin de garder la renommée familiale, mais aussi pour se faire encore plus d’argent. Parfois, Julian se demandait à quoi cette vie rimait. Il se sentait seul et misérable dans sa grande maison remplie de quelques domestiques. Parfois, il se surprenait à espionner les familles pauvres qu’il voyait dans les rues de Londres. Malheureusement, le mot richesse rimait rarement avec amour et il jalousait les gens pauvres qui semblaient plus proches les uns que les autres et plus chaleureux. Il s’était déjà imaginé fuir cette vie et partir sans rien d’autre que quelques vêtements, du papier, de l’encre et une plume dans des contrées éloignées. Peut-être partir en France, au Danemark, voir même se diriger vers le Nouveau Monde outre Atlantique qui semblait tendre les bras à ceux qui voulaient se faire une nouvelle vie. Malheureusement, il n’avait pas le courage de le faire. Il devait d’abord trouver le courage de poursuivre son rêve d’écrire ce qu’il pensait et les publier… Sa vie était qu’une grande route bien tracée, lente, ennuyeuse et morne. Bref, sa tête ressassait ses nombreux problèmes et le remmenait toujours vers sa femme morte en couche et à sa fille mort-née. N’ayant personne pour se confier, il allait se changer les idées. Il avait toujours deux options. La première était de se rendre dans un bar et boire jusqu’à ce qu’il soit plus heureux, mais sans pour autant ne plus contrôler ce qu’il fait. L’autre consistait à se rendre dans un Bordel assez luxueux. Il en ressortait toujours avec des remords et de la gêne, mais il pouvait oublier à quel point il se sentait seul et démuni depuis la mort de son épouse le temps d’une nuit… Il payait grassement ces femmes comme si cela allait laver son « péché ». C’était plus un péché sur le plan moral que sur le plan religieux pour lui. Au final, il ne croyait pas en Dieu… Un secret qu’il gardait évidemment pour lui. À l’époque, être athée n’était pas très bien vu dans la société et puisqu’il vivait dans la haute société, il ne pouvait pas se permettre de réfuter la nécessité de la religion. Cette fois, il choisit la boisson et se cachant sous un long manteau noir, il marcha jusqu’au bar le plus proche. Il ne voulait pas prendre son fiacre afin d’éviter d’attirer l’attention. Il mettait des vêtements très simples afin que les autres hommes ne s’imaginent pas fréquenter un noble, sinon la bataille aurait bien vite éclaté…
- Je veux une bière, annonça tout bonnement Julian Dormer en s’asseyant sur un tabouret devant le comptoir.
Le barman, le connaissant bien, savait qu’une bière était rarement seule et il prépara deux ou trois peintes. Plus il buvait et plus il se faisait de l’argent, alors ces petites pertes de morale lui faisaient bien plaisir. Jul commença à boire sa boisson, les yeux cernés de sa nuit précédente.
- Voilà encore le philosophe! Qu’est-ce que tu vas nous raconter cette fois encore, monsieur le grand penseur? Que les riches vont finir par bien payer leurs employés? BALIVERNE!, se moquaient des clients assis à une table plus loin.
Se contrôlant encore, il resta dans son coin à les ignorer, mais ils n’avaient pas intérêt à le chercher à son deuxième verre…