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| Sujet: Re: What death can join together | Hestia & Tobias [Fini.] Dim 9 Sep - 20:55 | |
| What death can join together
« Souviens-toi du jour » Cimetière de Highgate, 1891N’ayant jamais eu à rougir de sa situation, Hestia Saint-Clair avait parfois du mal à comprendre les réticences de son plus démuni ami. Bien sûr, la vie ne fait pas de cadeau et il ne faut rien considérer comme acquis. Aussi comprenait-elle que le jeune policier ne se sente pas à sa place et ait des craintes sur la longévité de son nouveau statut. Elle-même aurait sûrement eu des doutes quant à la marche à suivre. À qui pouvait-il se fier ? Probablement personne, et elle se sentait rassurée de pouvoir l’épauler en cas de besoin. Encore fallait-il qu’il soit conscient de tout ce qu’elle pouvait lui apporter. Un tout sous lequel s’abriter, de la nourriture et sa compagnie… Cela n’avait rien d’un geste de pitié, au contraire. Elle lui faisait confiance, assez pour le prendre sous son aile. En revanche, qu’il se ferme des portes, alors même qu’il avait de nombreuses qualités, était une idée complètement absurde à ses yeux. Mérite et dignité étaient deux piliers de son éducation. « Ne baisse jamais les yeux, qui que soit ton interlocuteur » lui disait souvent son père, ce roc auquel elle s’était accrochée contre vent et marées. Et de son encore courte vie, elle n’avait jamais failli à cette leçon.
— Je vous remercie pour cette proposition et j’accepte avec plaisir. Si et seulement si… répondit-il à son invitation, vous acceptez d’emprunter mes gants.
À ses mots, la jeune femme cessa le mouvement inconscient de ses mains, ses yeux papillonnant sous la surprise. Elle ne s’était pas rendue compte de son action et ne pouvait désormais plus nier son mal-être. Ce qu’elle se sentait stupide à présent. Tellement stupide. Elle aurait pu se payer des dizaines de gants, de toute matière et pour toute saison, en un simple claquement de doigts, et par négligence, elle ne l’avait toujours pas fait. Et lui, ancien ouvrier et sans grande richesse matérielle, il lui offrait les siens de bon cœur. Qui plus est, malgré sa générosité, il arrivait encore à rabaisser ce qu’il avait été. Quand intégrerait-il qu’il n’a rien à envier aux autres de ce monde ? Elle hésita quelques secondes à accepter ce premier présent, ses mains gelées appelant à la chaleur. Mais elle ne pouvait s’y résoudre entièrement. Tant pour elle que pour lui.
— Avec ou sans charbon, j’aurais porté vos gants avec une joie non dissimulée, rassura-t-elle avec douceur, mais dites-moi, un policier sans son uniforme au complet ne saurait représenter l’institution pour laquelle il a juré allégeance, et par-là j’entends la Justice.
Elle avait bien saisi qu’il ne se considérait pas comme un policier ordinaire, non par orgueil, mais parce qu’il ne voulait pas être de ceux qui abusent de leur pouvoir. Parce qu’il avait vu les deux côtés de la rue : celui des pauvres et celui des gardiens soi-disant de la paix. Hestia n’avait aucun doute sur ses capacités à faire le bien, elle le savait bienveillant et juste. Tout ce qu’elle espérait était qu’il ne se laisse pas ternir par de quelconques critiques. Alors, comment dire ? Elle savait qu’il comprendrait sa réponse ; elle acceptait le geste, tout en refusant de le priver d’un bien qu’il avait plus que tout autre mérité. Et le second cadeau qu’il lui offrait ne pouvait la tromper.
— J’aimerais que vous acceptiez ce livre, comme cadeau de ma part, dit-il en tendant son livre, une décision sûrement longuement réfléchie.
Comme elle aurait aimé que Helen le rencontre. Qu’elle voit que derrière un regard parfois rude se cache un cœur et des sentiments profonds. Que des mains autrefois noircies par la crasse soient aussi celle qui détiennent le plus de douceur. Elle n’aurait voulu aucun autre cadeau que celui-ci, et la lueur de tendresse et de confiance qui scintillait dans son regard valait tous les remerciements du monde. Il n’y avait rien à ajouter à cela, elle n’avait qu’à apprécier ce geste d’estime. Ce geste qui ramenait en elle les innombrables après-midi passés en l’apaisante compagnie du jeune homme. Des secondes précieuses, des épreuves partagées dans le silence. « Helen, Nicodème. N’y avait-il donc assez d’humanité en ce monde pour vous retenir auprès de moi ? », cela faisait des années que cette question l’empêchait de dormir. Le voyaient-ils seulement de là-haut ? Elle l’espérait.
— J’en prendrai grand soin, soyez-en assuré.
Hestia sourit, elle savait exactement où elle allait conserver le recueil. Elle avait près de son lit une petite vitrine avec divers objets ramenés de ses voyages à travers l’Europe. La grande majorité de ces objets n’avait d’ailleurs qu’une valeur purement sentimentale. Un carnet de croquis trouvé au fond de la cale d’un bateau, une plume aux couleurs chatoyantes, un jeu de cartes offert par des marins… C’était toute sa jeunesse, bien à l’abri derrière un voile de verre. Cependant, son bien le plus précieux, rigoureusement confié par son père, elle le gardait constamment sur elle. Une boussole en bois vernis dont les aiguilles, bien qu’elles indiquent toujours le Nord, la guideraient vers ce qu’elle souhaite le plus au monde disait-il. Un conte pour enfants.
— Comme cela, nous pourrons en discuter lors du prochain salon et je n’aurais pas l’air d’un homme inculte devant les autres membres, ajouta-t-il en riant.
— Vous ne serez jamais un homme inculte entre les murs de ma maison, mais réitérez ces propos abjects et vous convaincrez plus d’un que vous l’êtes. Il est certes difficile de faire confiance à soi-même, mais plus encore de prouver à vos pairs que vous êtes intelligent. N’oubliez jamais cela : si vous n’y croyez pas, personne d’autre n’y croira.
La discussion continua ainsi jusqu'à ce que les obligations de l'un et l'autre les ramènent à la réalité. Ils ne pouvaient la fuir davantage, n'est-ce pas ? Mais ils étaient bienheureux de vivre ces petits instants où ni l'argent, ni la tristesse n'avaient d'importance. Ils étaient juste deux êtres humains appréciant la compagnie d'une âme sensible aux charmes du monde, mais non moins consciente des injustices qui s'y trouvent également. Des matins comme celui-là, il y en a eu et il y en aura d'autres… Quand ? Ils n’en avaient aucune idée. Ils laissaient ce choix-là au hasard. Et elle l’avait invité à ses salons, alors se revoir était une certitude. En partant, elle avait serré le livre contre elle. Il était bon de vivre. plumyts 2016 |
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