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Un ange foule les pavés de l'Enfer [Jonathan]

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Lucy E. Wood
Lucy E. Wood

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MessageSujet: Re: Un ange foule les pavés de l'Enfer [Jonathan] Un ange foule les pavés de l'Enfer  [Jonathan] - Page 2 Icon_minitimeVen 24 Aoû - 18:16



Un ange foule les pavés de l’Enfer

« Printemps 1891 »

Ruelles de Whitechapel
Le visage désolé de Lucy n’eut d’égal que le regard affolé du pasteur, retenu dans sa fuite par la frêle étreinte de la prostituée. Un flot de sang envahit le visage consterné de Jonathan, pris au piège de ces affaires de femme dont il avait espéré s’esquiver discrètement, sous le prétexte quelconque d’aller préparer une tasse de thé. Il n’avait pas compté sur l’ignorance totale de la fille de joie en matière de luxe, et, à son regard perdu et désespéré, elle devinait qu’il n’en savait pas plus qu’elle. Comment aurait-il pu ? Etait-elle devenue suffisamment sotte pour croire qu’un homme, même aussi délicat que le Révérend Williams, pouvait s’y entendre en dessous féminins ? Et Lucy, qui, par prévenance, s’évertuait à la pudeur en présence du pasteur vertueux, heurtait une fois de plus sa timidité excessive, embrasant son visage d’enfant devant l’amas de lingerie qu’elle l’obligeait à regarder. Et la pureté virginale du regard d’azur sembla se troubler, comme voilé par la décadente vision de la catin flamboyante, triomphale dans l’éclat pâle de sa peau blanche, rehaussée par la noirceur des atours sombres, affolants de rubans satinés et de dentelle fine. La vertu du Révérend Williams, affolée par cette hallucination affriolante, bouleversait ses nerfs tranquilles d’homme de Dieu qui acceptait avec sérénité les assauts de la luxure auxquels les simples mortels succombaient. Ses mains semblaient se tordre d’une crispation douloureuse, trahissant par leurs soubresauts l’orgueil dans sa vertu qu’il avait pensé inébranlable, et qui se brisait comme du cristal sous la violence du désir que lui inspirait cette fille de rien.

Ce péché d’orgueil était commun aux deux protagonistes, qui se retrouvaient souffletés par ce désir âpre, dont ils avaient longtemps dédaigné l’effet sur les autres. Ce dédain superbe, qu’ils s’étaient imposés avec la majesté prétentieuse de mortels se croyant immunisés contre les sentiments humains, s’évanouissait, fondait comme neige au soleil à chacun de leur tête à tête. Chaque fois que Lucy croisait le regard d’azur de ce pasteur timide à l’excès, pas même vraiment beau,  aux effarouchements de jeune vierge, elle se trouvait pantelante, l’âme violentée d’un désir irrépressible, inconnu et douloureux, qui fouettait son esprit avec la vigueur d’une émotion tardive s’immisçant dans l’existence d’une femme qui se croyait de marbre. Et l’écroulement de la seule certitude sur laquelle reposaient les fondements de sa vie, la laissait faible, acculée et craintive devant quelque chose qu’elle ne connaissait pas, mais dont, instinctivement, elle percevait la violence, et le drame dont pouvait découler son dénouement.

Jonathan tâchait de prendre la parole. Péniblement, il bredouilla un flot décousu d’explications, s’empêtrant dans ses phrases. Lucy en comprenait le sens néanmoins. Le Révérend, comme n’importe quelle autre femme plus maline qu’elle l’aurait deviné, ne s’y connaissait guère en terme d’atours pour dames. Mais il s’arrêtait soudain, n’ayant pu formuler une idée nette, étouffé de pudeur devant l’amas de lingerie fine, étranglé par le conseil qu’il ne pouvait pas avoir l’outrecuidance de donner à Lucy. La prostituée aurait ri en temps normal de ses tentatives d’explications entrecoupées de bégaiements, de ses joues qui devenaient écarlates sous la blondeur de sa barbe, de ses mains immenses qui s’entortillaient. Mais pas aujourd’hui. Imaginer la vision qui troublait le regard et la parole du pasteur augmentait le trouble inconnu qui saisissait la fille de joie, pour lui ôter le sang du visage et faire trembler ses jambes, ses yeux n’osant plus croiser ceux de Jonathan, brûlants d’un désir qui, pourtant, était son fonds de commerce et qui, de la part de ses nombreux clients sans visage, ne l’avait même jamais fait sourciller.

Mais l’homme de Dieu, dans un sursaut de virilité, empêtré dans cette délicate situation, prit son courage à deux mains. Après une profonde respiration, la tirade fut éloquente, prononcée d’une voix ferme et assurée. Lorsque le Révérend Williams évoqua la finesse de la taille de Lucy, et la manière de mettre en valeur ses hanches, ce fut elle qui, parcourue des pieds à la tête d’un frisson d’une étrange  chaleur, baissa les yeux, vaincue par cette fermeté et cette hardiesse soudaine qui, une fois n’est pas coutume, inversait la situation et la troublait plus que de raison. De plus, il évoquait la coquetterie de son ancienne épouse avec un tel dédain que la jeune rousse fut rassurée de sa propre ignorance. Lucy tâcha, elle aussi, de reprendre un peu courage. Mais ce ne fut pas avec le même succès que Jonathan ; le regard toujours baissé vers ses souliers usés jusqu’à la corde, la fille de joie bredouilla quelques vagues remerciements, d’une voix fébrile, presque inaudible, ne voulant pas que le tremblement s’aperçut :


- Pour le corset…J’avoue que…Ca m’arrange…J’ai toujours eu peur…de…de ces…enfin…Voilà…Merci…Merci de votre aide…Rév…Jonathan…Et, pardon…Je n’aurais pas dû…vous demander…Enfin…Ce sont des affaires de femmes…Je ne voulais pas vous gêner…Enfin…Merci.

Heureusement pour elle, la prostituée n’eut pas le temps de rougir un peu plus de ses piteuses explications. Elle qui ne disposait déjà que d’une pathétique éloquence, dans ce moment de trouble, sa conversation se trouvait réduite à peau de chagrin. Le pasteur, lancé, continuait, s’expliquait, semblait vouloir se flageller de l’élan de générosité qu’il avait eue envers Lucy, sous prétexte que la garde-robe de son ancienne femme ne lui convenait pas. Et la fille de joie, en temps normal aurait répliqué, de cette insolence mutine qu’elle lui réservait, qu’il n’avait pas à s’excuser de sa bonté, et aurait tâché de le retenir dans sa fuite, lui qui devenait un courant d’air chaque fois qu’il se sentait gêné, ce qui était incroyablement attendrissant et agaçant.

Lucy le laissa donc partir, quelque peu soulagée malgré cet irrépressible désir qui faisait chavirer ses jambes tremblotantes, comprenant enfin l’hyperactivité irritante du Révérend face à une situation déstabilisante. Restée seule, la fille de joie, fébrile et frissonnante, le cœur battant, dut s’assoir sur le lit tout fait dans lequel personne ne dormait depuis des mois, afin de reprendre ses esprits. Sa tête, qui tournoyait, embrumée par l’intensité des émotions de toute cette soirée, la menaçait de l’évanouissement. D’autant qu’elle ne tenait presque plus sur ses jambes. Quelques minutes s’écoulèrent ainsi. La prostituée recouvrait ses esprits, en même temps que la vue. Un miroir en pied occupait une des portes intérieures de l’immense penderie. La fille de joie, qui était petite, s’y voyait toute entière. Elle eut un sursaut d’orgueil et de féminité. Elle était affreuse. Dépoitraillée par son corsage en lambeaux, la blancheur de la naissance de ses seins était souillée de tâches brunâtres du sang qui avait séché, lorsque son agresseur avait planté ses ongles sales dans sa chair tendre. Son teint était d’une pâleur de sépulcre, et de grandes cernes avaient creusé son visage mince. Les boucles de ses cheveux s’étaient froissées, et sa tignasse rousse n’était plus qu’une masse informe et ébouriffée, encadrant son visage meurtri par cette soirée trop mouvementée. D’un mouvement de colère et de honte, Lucy se débarrassa du haillon qui lui tenait lieu de robe, et se pencha vers le tas de linge noir qui faisait une tâche sur le couvre-lit immaculé. Elle ferait comme Jonathan avait dit. Pourquoi avait-elle cédé à un mouvement de panique pour si peu ? C’était si stupide. Lucy replaça, non sans un soupir de soulagement, le corset armaturé ainsi que les babioles superflues au fond de la penderie. Après avoir enfilé la chemise de dessous et les bas de soie noire, Lucy glissa autour de ses hanches le jupon qu’elle tâcha de nouer le mieux possible. Cet artifice était avantageux. La taille s’évasait, les hanches paraissaient plus larges, au sein de cette société qui ne regardait guère la minceur comme un trait de beauté indéniable. Nombreux étaient les hommes qui, malgré cet effet de mode, aimait les tailles grâciles malgré tout. Lucy laça tant bien que mal la robe qu’elle venait d’enfiler, chaussa les petits bottillons vernis qui allaient avec, puis se regarda dans le miroir. Elle eut la surprise de se trouver très présentable. La petite robe noire était humble et discrète, recouvrait ses bras et sa gorge, et réhaussait la blancheur de sa peau. Ainsi, elle avait presque l’air d’une dame.

Recouvrant un sursaut de coquetterie, la fille de joie éprouva soudain le vif désir de se montrer ainsi parée devant Jonathan. Car, malgré la sobriété de la tenue, jamais Lucy n’avait été mieux vêtue qu’à cet instant. Et elle sentait un orgueil poindre, ainsi qu’un confort douillet, à porter une tenue propre, élégante et qui lui tenait chaud. Les petites bottes semblaient des chaussons, et la fille de joie, les pieds bien au chaud et au sec, avait la douce impression de marcher sur du coton. Arrivée au seuil de la porte toutefois, une hésitation l’arrêta. Son cœur battait la chamade. Peut-être l’ancienne épouse de Jonathan avait-elle déjà porté cette robe. Lucy pouvait-elle soutenir la comparaison ? Sans doute pas. La fille de joie fut soudainement prise d’un élan de désespoir. Une fille du caniveau ne pouvait rien face au maintien et à l'élégance d'une bourgeoise née, aux bonnes manières inculquées depuis sa plus tendre enfance.

Tout ceci n'était qu'une mascarade grotesque. Elle serait ridicule. Jonathan ne rirait pas, parce qu'il était trop bon. Mais il aurait pitié d'elle, et c'était sans doute pire. Le courage manquait soudain à Lucy. Sa tête tournait de nouveau, ses jambes rendues fébriles par l'agression, le trouble, la fatigue et la faim. Elle ne pouvait décidément pas rester là indéfiniment. Il faudrait bien descendre un jour ou l'autre. Le cerveau bourdonnant de plus en plus, la fille de joie se décidait, posant sa main sur la rampe pour ne pas risquer de se rompre le cou en descendant l'escalier, d'autant qu'elle était peu habituée à des jupes aussi larges, et devait réfréner son allure pour ne pas s'empêtrer dans l'épaisseur des linges.

Après mille précautions, Lucy était arrivée sur le seuil de la cuisine, dans laquelle Jonathan s'affairait, dos à elle. Et, devant cette immense silhouette sombre, la panique reprit la fille de joie. Voir ainsi la prostituée déguisée en son ex femme, n'allait elle pas lui causer de la peine, voire le mettre en colère ?  Torturée par cette insupportable attente, la jeune rousse se hâta de toussoter, comme si elle craignait de voir s'éteindre la toute petite flamme de courage qui soudain s'était  allumée :

- J'ai terminé. J'espère que ce n'était pas trop long.

Cet élan de hardiesse acheva de vider le peu de forces qu'il restait à Lucy. Son teint devint cireux, tandis que la danse fébrile de ses jambes s'endiablait. Elle lutta encore un instant, voulant paraître forte et polie auprès du pasteur. Mais le corps ne suivait plus son obstination, aussi, très vite, Lucy prit de nouveau la parole, d'une petite voix blanche qu'elle tâchait de ne pas rendre inquiétante :

- Je vais m'asseoir Révérend...Si ça ne vous dérange pas

Et, sans même attendre de réaction, Lucy tira une chaise à elle et s'y affala littéralement. Il s'en était fallu de peu. Les murs commençaient à danser autour d'elle. Respirant profondément, la fille de joie ferma les paupières un instant et y posant ses paumes fraîches, espérant ainsi reprendre quelque peu contenance.

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Jonathan R. A. Williams
Jonathan R. A. Williams

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Je n'aime pas me décrire...mais on me dit quelqu'un de gentil, tolérant envers beaucoup de choses; et il est vrai que le Seigneur m'aide à voir le bien dans le cœur de tous. Cependant, cette même capacité me rends aux yeux des gens très fanatique et naïf. Je n'avais jamais vu les choses sous cette angle, mais il faut croire que les gens ne voient en moi qu'un pasteur de pacotille. S'il y a une facette de moi que j'apprécie particulièrement, c'est le fait que je sois quelqu'un de très romantique ! Même si tout le monde préfère dire que je suis quelqu'un de niais...mais ne croyez pas que je sois stupide, car il m'arrive d'être très fier et impulsif. Je ne suis pas très courageux, mais je ferai toujours de mon mieux pour protéger les gens que j'aime, comme mon petit frère. J'ai aussi une profonde attirance pour les rousses. On me surnomme Quasimodo à cause de mon apparence quelque peu trapu -et certes poilu bien que blond, par opposition à la magnificence de mon frère.
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MessageSujet: Re: Un ange foule les pavés de l'Enfer [Jonathan] Un ange foule les pavés de l'Enfer  [Jonathan] - Page 2 Icon_minitimeDim 26 Aoû - 22:43



Un ange foule les pavés de l’Enfer

« Printemps 1891 »

City of London

Serrant ses poings contre la table de cuisine, Jonathan soupirait profondément, à intervalles réguliers qui suivaient la cavalcade de ses pensées. Il n’avait pas à rougir de toutes d’entre elles. Il s’agissait de songes lointains, qui ne mettaient pas forcément en cause la jeune prostituée. Tellement de choses dans sa triste vie méritait d’être repensé. Mais elles avaient toutes un dénominateur commun : la lâcheté dont il faisait preuve. Aucun courage ne battait sous la soutane de jais. Rien d’autre qu’une longue attente. Le pasteur n’avait jamais été capable de se lever contre les regards, se laissant manipuler par les belles pensées et les on-dit cachés dans la foule. Tant le voyaient s’élever en berger des pauvres, arguant de paroles encourageantes la misère humaine. Il était le cliché de la population, cet homme blond aux yeux bleus à la peau pâle, venu dans sa grande miséricorde aider les plus démunis avec un sourire de dents blanches. Pour arranger les choses, il n’avait pas la prétention de prêter à son visage la beauté d’un ange. Il ressemblait à tout le monde, mais jamais il ne s’était senti plus seul qu’une fois le livre biblique refermé sur son hypocrisie. Quand Jonathan avait fini par rencontrer Lucy, il pensait avoir trouver une amie, qui au-delà de toute religion le regardait pour ce qu’il était vraiment ; il pensait pouvoir s’ouvrir, montrer l’homme qu’il était avant le ministre de culte. Mais ce n’était pas ainsi qu’elle souhaitait le voir. Il le sentait, comme un mauvais pressentiment qui s’associait à son mal-être intérieur.

Jonathan n’en restait pas moins un être humain, brûlant d’une passion qu’il ne craignait que trop de comprendre -même de mésentendre. Une émotion grandissante qui n’aidait en rien à adoucir le caractère parfois trop bouillant du jeune homme. Fermant les yeux, il ne put s’empêcher de repeindre le visage de son amie dans le creux de son esprit. Son corps se rappelait encore fermement de leur étreinte secrète, au milieu d’une ruelle défaite de Whitechapel. Un contact physique au-delà du raisonnable, fait dans l’ardeur désespérante de l’instant, un remerciement. Il en aurait encore tremblé s’il n’était pas glacé. Le pasteur savait que cet étrange sentiment qui grondait dans son coeur n’était pas fait que de bonnes choses. En témoigner toute une rancoeur retournant son estomac, alors qu’il la cherchait au profondeur de ce qui se faisait de moins salubres dans le quartier. Jonathan avait ressenti le dégoût à l’idée de perdre de cette femme l’idée fantasmée et inexistante qu’il se faisait d’elle. Une simple pauvre dame, qui en aucun cas ne vendait son corps si pur à la perversion humaine. Il savait ô combien ce masque d’ignorance n’était que vil subterfuge pour ne pas voir la vérité en face. Mais l’inverse aurait été trop dur. Comment supporter la simple réalité, que cette femme faisant battre son coeur puisse être tous les jours tenu par des hommes qui n’en méritaient pas même le regard ? Que derrière son visage fatigué sommeillait les nuits de pêchés, les cheveux défaits. Il ne le supportait tout simplement pas. N’était-il pas mieux alors d’ignorer tout bonnement les élans de son corps, s’abandonnant à la mauvaise personne ? A une dame qui ne pourrait jamais être entièrement sien, bien publique à la moralité inexistante… qui aurait pu continuer de chercher un autre emploi ? N’était-ce pas là orgueil mal placé que de désirer la pureté arrachée par le désespoir de la pauvreté que personne jamais n’a désiré ?

Le dilemme était trop profond et n’avait la place de s’étendre, enfermé dans ce corps restreint à l’esprit renfermé dans sa propre lâcheté. Jonathan le savait. Ce n’était pas son ex-femme qui l’avait rendu ainsi. Il l’était depuis le début. Incapable de prendre des décisions pour lui-même, de faire force de caractère. Il s’était laissé façonné par un père, avait repris son rôle dans le temple protestant, s’était laissé marié à une femme manipulatrice et stérile. Aujourd’hui, c’était la bienséance d’une société ; et la pureté idéologiquement romantique d’un corps,  dont le coeur était peut-être libre depuis toujours. Qu’était donc l’amour, si ce n’était la passion d’un coeur avant celle d’un corps ? Ses mains serrèrent davantage le rebord de la table, alors que l’eau bouillante sifflait sa fin. Versant l’eau dans les deux tasses remplis de rose -d’un vieux sachets de thé laissé là par son ex-épouse- jusqu’au trois-quart, Jonathan soupira une nouvelle fois, dans l’étrange symphonie de son mal-être cornélien. Tout ceci n’était certainement qu’une méprise. Quand bien même il éprouvait toutes ces émotions, tremblant littéralement sous le moins contact de cette femme, buvait la moindre de ses paroles et craignant pour sa vie… c’était donc cela, ce sentiment que l’on nommait l’amour ? Le véritable, celui qu’il prônait dans ses longs sermons, ceux-là même pour lesquelles il avait sauvé la jeune femme, afin de l’inviter à en venir voir l’un ? Il se mordit les lèvres, penchant le dos sous le poids de sa propre médiocrité.

Des pas se firent alors entendre dans son dos, claquant le sol. Faisant volte face, toutes les diverses inquiétudes de Jonathan s’effondrèrent dans le néant. Ce qui vit devant ses yeux dépassaient toutes ses attentes, n’ayant pas même la présomption de la rassurer sur son prétendu retard. Finalement, la jeune prostituée avait mis la robe noire, même sans son aide. Le résultat dépassait tout ce que le pasteur aurait pu imaginer, lui faisant perdre l’espace d’un instant, tout sens avec la réalité. Tout ce qu’il fut capable de faire, ce fut de l’observer, la bouche légèrement entrouverte comme un poisson cherchant vainement l’air. Cette soyeuse robe noire seyait à ses formes avec une sobriété si élégante, épousant sa fine taille et s’évasant sur ses hanches avec finesse. Elle semblait déjà loin, la tenue outrageuse au corsage éliminé, dévoilant ouvertement le sommet impétueux de sa poitrine blanche. Le tissu recouvrait ses bras de porcelaine, montant col jusqu’à son cou délicat. Cette tempérance permettait à son visage de reprendre en importance,  le rendant plus lumineux et plus beau encore, aux yeux de Jonathan. Ce dernier sentait son coeur manquer des battements, à mesure qu’il ne cessait de détailler la jeune femme comme s’il la voyait pour la première fois. Pas une seule seconde il n’avait eu l’impression de voir son ancienne épouse, cette dernière manquait d’austérité, à un tel point qu’elle paraissait vulgaire en n’importe quel tenue. Pourtant, ici la robe lui donna une nouvelle fragilité, une seconde peau emplie de la pureté virginale de cette couleur du deuil. Son dos légèrement courbé par la fatigue et les mauvais traitements, la blancheur de sa peau que les cernes ne venaient que souligner avec le plus grand effarement, ses cheveux…  même abîmés, Jonathan ne pouvait s’empêcher de les voir magnifique ; tout ceci aidait à la rendre si fragile et captivante que jamais.

Il crut y voir la réponse à ses questions. L’aimait-il particulièrement plus à cette seconde qu’avant parce qu’elle représentait physiquement alors tout ce qu’il pouvait rêver ? S’il avait eu une réponse à cette simple question, peut-être parviendrait-il à mettre un point final à son déchirement intérieur. Mais ce fut à cette seconde que Lucy s’assit, le priant de l’excuser. Elle s’effondra sur la chaise pour prendre son visage entre ses mains, vision terrifiante s’il en était pour le pasteur. Ce dernier se précipita sur elle, furieusement inquiet. Jamais il ne l’avait vu aussi mal en point, elle qui avait toujours levé la tête haute face à tous les problèmes. Jonathan se souvenait de ce jour où elle s’était occupé de son coeur meurtri, lui qui était ivre d’alcool et de colère, alors qu’elle venait de se faire agresser, bleus aux poignets comme témoin. Fallut-il bien qu’elle fut au bout d’elle-même pour montrer autant de faiblesses à son interlocuteur. Le pasteur s’agenouilla auprès d’elle, se tenant à la table :

- Que… que vous arrive-t-il.. ? Vous n’avez quand même pas mis le corset, je vous avais dit que vous n’en aviez pas besoin… ne prenez pas le risque de vous étouffer.

Ce fut avec une voix profondément inquiète, qui savait se faire poser comme l’on parle à une de ses brebis. En ce même temps, Jonathan se risqua à toucher autour du ventre de la jeune femme, avec beaucoup de douceur. Il voulait être sûr qu’elle n’ait pas trop serré le vêtement, surtout en connaissance de cause. La prostituée avait bien insisté sur le fait de ne pas apprécier cet étrange accessoire. Après quelques timides tâtonnements, il peut enlever sa main avec sûreté : aucun signe de la texture dure et contraignante d’un corset à travers le tissu de la robe. Il n’avait certes aucune expérience en terme de mode féminine, mais il connaissait leur matérialité ; n’avait-il pas été celui qui rangeait derrière les essayages de son ex-épouse, tandis que celle-ci gueulait à tout rompre sur son inutilité, même en terme de goût ? Oh, comme elle avait pu être de mauvaise humeur quand sa servante n’était pas disponible. Mais à ce moment précis, le pasteur ne s’inquiétait pas de ses anciens souvenirs. Ce qui l’affolait intérieurement, ce fut ce mal dont la jeune femme semblait souffrir sans oser se confier. Jonathan ne pouvait pas deviner, il n’était pas médecin. Un peu gêné, il se releva et partit chercher les deux tasses de thé à la rose.  Ce n’était pas grand-chose, mais il les posa sur la table, en rapprochant un de la prostituée, en même temps qu’une chaise pour s’asseoir au plus proche d’elle. Après un silence qu’il ne parvenait à rompre, Jonathan finit par laisser son inquiétude prendre le dessus sur sa timidité. Toussotant quelque peu à son tour, le prude pasteur prit légèrement l’une des mains recouvrant son doux visage :

- Lucy, ne vous excusez pas… vous avez eu une journée difficile… se faire agresser par un tel individu, ce n’est pas rien, vous avez le droit de ne pas être bien. Prenez tout votre temps, nous ne sommes pas à la pièce… j’espère que ce thé vous plaira, au moins il vous réchauffera.

Tout en prononçant cette dernière phrase, Jonathan posa la douce et féminine main proche du thé. Au vu de l’eau qui avait bien bouilli, la tasse devait émaner une bonne et agréable chaleur qui devait même se sentir de là. Une fumée satinée s’élevait de chacune des deux coupoles, installant une ambiance chaleureuse entre les deux individus miroirs. Le pasteur arracha son regard à cette vision méditative et tenta de regarder la jeune femme ; chose difficile tant elle était à présent si belle et si respectable, qu’elle réveillait en lui tant de soupirs indécents. Il lui fallait pourtant bien s’exprimer. Ce qu’il fit finalement après avoir pris une profonde inspiration :

- Je dois vous avouer quelque chose. Vous… vous… mmh. Jamais je ne vous ai vu aussi belle qu’en cet instant. Cette r...robe... sublime tout vot...v….votre être, vous avez eu ra...raison de la choisir.

Jonathan finit par perdre son regard dans le reflet sombre de sa tasse, les joues d’une rare rougeur. Rarement, si ce n’était jamais, il n’avait fait un compliment aussi direct sur la prostituée. Souvent il avait loué sa cuisine, même ses progrès en lecture. Mais faire des éloges sur sa beauté, cet incroyable beauté qui touchait le timide pasteur en tout ce qu’il aimait, le rendait fou de bien des façons. L’outrecuidance de son acte, de ses paroles qui n’étaient qu’à la lisière de ce qu’il pensait réellement. Au delà de tout cela, Jonathan espérait qu’elle ne prenne pas mal ses paroles, qu’elle ne les interprète à contre courant : le pasteur la trouvait magnifique en toute occasion, et pas seulement apprêtée telle une simple bourgeoise.


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MessageSujet: Re: Un ange foule les pavés de l'Enfer [Jonathan] Un ange foule les pavés de l'Enfer  [Jonathan] - Page 2 Icon_minitimeJeu 13 Sep - 15:43



Un ange foule les pavés de l’Enfer

« Printemps 1891 »

Ruelles de Whitechapel

La voix délicate et légèrement flûtée de Jonathan déchirait avec peine la brume épaisse qui empêchait à Lucy d’avoir les idées claires. Ses mains pâles et légèrement tremblantes s’écartèrent de ses paupières. La fille de joie eut la surprise de voir la haute silhouette du pasteur agenouillée devant elle, le visage à hauteur du sien, la main appuyée au rebord de la table. Lucy lui jeta un regard perdu. Elle ne l’avait même pas entendu arriver. Il semblait évoquer le corset. Elle ne comprenait pas, elle était trop fatiguée. Lorsque les larges mains chaudes se promenèrent légèrement sur sa taille, l’effleurant plus qu’elles ne la touchait, la prostituée resta quelques secondes interloquée. Ivre de lassitude, figée dans un état de prostration imbécile, Lucy paraissait comme inconsciente de l’audace du vertueux pasteur, qui allait jusqu’à poser ses mains sur ses hanches, alors que le simple de fait de la regarder dans les yeux lui embrasait les joues. Lorsque le Révérend se fut assuré que la fille de joie ne s’était pas imposée la maltraitance de l’instrument de torture qu’était le corset, il se releva avec hâte, gêné de la hardiesse de son geste. Lucy aurait aimé chercher à le retenir. Mais tout allait trop vite et elle était bien lasse. En se laissant choir sur cette chaise, l’émotion et la fatigue de cette éprouvante soirée étaient comme tombées sur ses épaules, lui faisant plier l’échine sous un tel fardeau. La jeune rousse entendit vaguement une chaise être tirée près d’elle, tandis que Jonathan s’y asseyait, après avoir déposé au préalable une tasse fumante devant elle.

Lucy regarda la tasse. Un embrun délicat s’en échappait, une odeur délicate de rose, sucrée et raffinée. La fille de joie serra ses mains tremblantes de froid et de fatigue autour de la tasse. La chaleur qui en émanait lui parut délicieuse. Mais la petite lueur de paix qui pointait doucement s’évanouit, et la jeune rousse tressaillit lorsque Jonathan, plus hardi ce soir qu’il ne l’avait jamais été, se saisit d’une des mains qu’elle avait de nouveau posé sur ses joues, pour la garder dans la sienne. Doucement, avec le ton délicat et mesuré de quelqu’un qui a peur de blesser par la moindre maladresse, le Révérend la rassurait ; oui, il était normal que Lucy soit brisée de fatigue et d’horreur. Oui, elle avait le droit d’être faible. Non, s’avouer parfois vaincu n’était pas honte. La prostituée n’avait ni la force ni l’envie de lui prouver le contraire ce soir. Jonathan, comme toujours, avait raison ; elle était éreintée, secouée, avait eu froid, faim et peur. Pouvait-on lui demander l’impossible après tout ? Aussi Lucy, bercée au sein du nuage brumeux de son esprit, se laissa aller à ce qu’elle n’avait jamais osé durant sa vie ; elle se laissa dorloter. Le pasteur était toujours là, aux petits soins, avait toujours la bonne solution et les bonnes idées. Qu’il était bon et chaud de se retrouver en cette compagnie rassurante, qui semblait un cocon à la douceur invincible, dont les remparts assuraient un confort dont elle découvrait seulement les délices. Aussi, lorsque Jonathan lâcha sa main pour la poser de nouveau vers le thé qu’il venait de servir, l’invitant à le boire, Lucy ne se fit pas prier et y posa les deux mains autour du récipient.

Lentement, avec des gestes faibles et mesurés, la prostituée souleva la tasse fumante et la porta à ses lèvres ; et le miracle d’un breuvage chaud, luxe que Lucy ne pouvait guère souvent se permettre, n’ayant pas accès à l’eau chaude, se produisit avec une incroyable rapidité. Les membres de la jeune femme semblaient se dégourdir sous la chaleur qui irradiait son corps tout entier, s’alanguissant dans une paresse douillette, tandis qu’elle sentait ses pommettes se colorer légèrement. Le goût délicat de la rose éveillait la gourmandise de Lucy. Aussi continua-t-elle à siroter sa boisson lentement, avec délices. Elle se sentait bien mieux. Toujours aussi harassée, mais l’esprit plus clair et plus alerte, la fille de joie tâchait de reprendre contenance, malgré tout légèrement honteuse de cet accès de faiblesse contre lequel, pourtant, elle ne pouvait rien. Son esprit, en se remettant de ses émotions, prenait conscience, soudain, des hardiesses du prude pasteur. Et, rougissante, elle baissa le nez vers sa tasse, comme pour en scruter le fond, en se souvenant des larges mains qui parcouraient sa taille et ses hanches. N’osant plus lever la tête, elle aussi prise d’une incontrôlable crise de timidité qu’elle ne connaissait pas et dont elle se servait pour rire de Jonathan parfois, elle l’entendit prendre une inspiration, se préparant sans doute à prendre la parole. Le cœur de la fille de joie manqua un battement. Que s’apprêtait-il donc à dire qui nécessitait un tel courage ? Et Lucy écouta, le visage baissé, le cœur comme figé, le premier, l’unique compliment d’un homme qui avait jamais vanté sa beauté. La prostituée ne se souvenait pas avoir déjà entendu qu’elle était belle. Elle se savait un objet de désir. Mais il n’y avait rien de gratifiant à appeler au stupre passager, aux vices les plus éhontés et à la misère sexuelle de toutes les couches sociales de la capitale anglaise. Dans ce compliment, qui semblait une louange, il y’avait la pureté chaste de celui qui s’émerveille de l’apparence d’une icône sacrée, mêlée au désir, humain et masculin certes, de la possession de ce corps adoré dont le détenteur ne voulait en aucun cas la profanation. Rose d’émotion, de plaisir et d’une pudeur qu’elle ne s’expliquait pas, la fille de joie risqua un œil vers ce pasteur d’ordinaire si réservé et qui avait franchi tant de barrières ce soir.

Jonathan avait adopté la même posture que Lucy. Ses joues recouvertes d’une fine barbe blonde s’embrasaient jusqu’aux pommettes, et son regard d’azur était si profondément perdu au fond de sa tasse qu’il semblait projeter de s’y noyer. La prostituée s’imaginait aisément l’énergie qu’avait dû déployer le pasteur pour combattre cette timidité intérieure qui faisait rage en son âme et pour adresser à la jeune rousse un compliment aussi direct. Lucy était peu bavarde. Epuisée, comme égarée, elle n’avait pas répondu aux précédentes tirades de Jonathan. Et le voir ainsi, en proie au tourment devant le silence de la fille de joie, les traits tendus par l’angoisse d’une réaction négative, faisait peine à voir. Il fallait que Lucy soit bien cruelle pour le laisser souffrir ainsi sans rien dire. Oui mais voilà, elle ne savait que lui dire. L’émotion lui étreignait la gorge, et la fatigue l’empêchait de trouver une réponse satisfaisante, un remerciement mesuré, chaleureux, dont la gratitude serait à la hauteur de la louange. La catin aguerrie qui relevait ses jupes jusqu’à dix fois par nuit pour gagner son pain noir, soudain devenait muette, malade de pudeur et d’émotion, vacillant sous le compliment chaste d’un homme d’église vierge qui n’avait jamais touché son ex-femme. Elle ne pouvait pas, ne voulait pas laisser Jonathan dans cette posture. A cet instant, Lucy aurait beaucoup donné pour être plus dégourdie, plus sociable et plus délicate. Empêtrée dans cet embarras affectif qu’elle avait toujours cherché à éviter, tourmentée par la vision du pasteur souffrant de son silence et par son incapacité à le rassurer comme il le mériterait, la fille de joie, presque inconsciemment, eut un profond soupir, qu’elle regretta tout de suite.

Car Lucy commençait à connaître le Révérend, et ne savait que trop comment son cerveau inquiet risquait d’interpréter ce soupir qui n’était que l’aveu brutal et maladroit de l’incompétence de la prostituée en matière de relations affectives. Comment parvenir à exprimer sa gratitude et son émotion, tout en faisant transparaître la réciprocité du sentiment qu’il lui avouait ? Pour sûr, les mots s’entremêleraient, et les remerciements de Lucy parviendraient à Jonathan sous la forme piteuse d’un amas inintelligible de mots sans suite. Le seul moyen de lui faire comprendre sans briser son mutisme, était le regard. Mais il aurait fallu pour cela qu’un des deux protagonistes lève les yeux de la tasse de thé pour laquelle ils semblaient se passionner. Décidément, la prostituée se devait de réagir. Le supplice du pasteur avait assez duré, et il avait montré ce soir un tel courage en affrontant sa maladive timidité que Lucy lui devait bien de surmonter elle aussi sa lassitude et cette étrange pudeur qu’elle ne se découvrait qu’avec lui. Réfrénant à grand peine un autre soupir, celui-ci destiné à lui faire prendre courage, la fille publique lâcha sa tasse pour poser une de ses frêles mains blanches sur celle du pasteur, l’enjoignant ainsi à lever les yeux vers elle, tandis qu’elle-même n’osait toujours pas s’y risquer, fixant la large main, plus burinée que la sienne, malgré une qualité de vie bien supérieure à la sienne. Et la force qu’elle semblait puiser dans cette large paume lui fut d’un grand secours lorsqu’elle se décida enfin à prendre la parole, brisant par-là l’insupportable attente de Jonathan :

- Merci…Je…je suis très touchée…Mais c’est la robe qui est…très jolie…Vous savez…je…

La fille de joie déglutit à l’idée de poursuivre et de s’aventurer à ouvrir son âme à un homme, ce que, jamais au cours de sa vie elle n’avait eu la bêtise ou la faiblesse de faire. Afin de se donner du cœur pour se jeter dans ce précipice sentimental qu’elle sentait dangereux et abyssal, Lucy s’empara vivement de la seconde main de Jonathan, la serrant avec force de ses doigts frêles, cherchant par-là à insuffler dans ses propres veines le même courage dont il avait fait preuve ce soir. La chaleur qui en émanait lui fit un bien fou, et sans se laisser le temps de se reposer sur ses lauriers, la prostituée continua sur sa lancée :

- Je…Enfin…On ne m’a jamais dit quelque chose d’aussi…gentil…Enfin…que j’étais belle…Mais…Ca m’était égal…Ça me fait plaisir parce que…Parce que c’est vous…Enfin je veux dire…C’est votre avis…qui me fait plaisir…Parce que je vous trouve très….Enfin…J’aime bien être…avec vous…Alors ça me fait plaisir que…enfin…que vous me trouviez jolie…

Lucy avait parlé très vite, et le résultat était un échec. Jamais elle ne réussirait à exprimer de manière claire et intelligible ce sentiment de confort et de chaleur qu’elle éprouvait en compagnie du Révérend, cette certitude que rien de mal ne pouvait lui arriver, que sa présence lui apportait une protection contre tous les maux de la terre. Jonathan avait une solution à tous les problèmes. Ses décisions étaient toujours sages et réfléchies. Et Lucy la solitaire ne s’était jamais sentie aussi heureuse qu’en sa présence délicate et discrète, qui pensait à tout et anticipait ses inquiétudes. Comment donc pourrait-elle lui exprimer cette confiance qu’elle ressentait en sa compagnie, cet arrachement que lui provoquait de trop longues absences, cette obsession de ce visage pas même beau, adulé comme une icône sacrée, apparition omnisciente du méandre de ses rêves et du flux d’ordinaire placide de ses pensées. Non, décidément elle n’y parviendrait jamais. Elle aurait mieux fait de se taire, elle s’était rendue ridicule. Et Lucy était si fatiguée et au bout de ses forces, que ses joues ne parvinrent même pas à s’embraser. Elles devinrent plus pâles encore, si cela était possible, tandis que le regard clair se baissait de nouveau sur les mains entrelacées. Les doigts blancs de Lucy serraient toujours les grandes mains, s’y accrochant avec ferveur, malgré le tremblement de ses doigts qui trahissait son émotion, sa gêne et la honte de sa déconfiture.

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Jonathan R. A. Williams
Jonathan R. A. Williams

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Je n'aime pas me décrire...mais on me dit quelqu'un de gentil, tolérant envers beaucoup de choses; et il est vrai que le Seigneur m'aide à voir le bien dans le cœur de tous. Cependant, cette même capacité me rends aux yeux des gens très fanatique et naïf. Je n'avais jamais vu les choses sous cette angle, mais il faut croire que les gens ne voient en moi qu'un pasteur de pacotille. S'il y a une facette de moi que j'apprécie particulièrement, c'est le fait que je sois quelqu'un de très romantique ! Même si tout le monde préfère dire que je suis quelqu'un de niais...mais ne croyez pas que je sois stupide, car il m'arrive d'être très fier et impulsif. Je ne suis pas très courageux, mais je ferai toujours de mon mieux pour protéger les gens que j'aime, comme mon petit frère. J'ai aussi une profonde attirance pour les rousses. On me surnomme Quasimodo à cause de mon apparence quelque peu trapu -et certes poilu bien que blond, par opposition à la magnificence de mon frère.
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Un ange foule les pavés de l’Enfer

« Printemps 1892 »

City of London

L’attente fut longuement, incroyablement déroutante même alors que Jonathan plongeait son regard dans la profondeur sans fin de sa tasse de thé. Celle-ci réchauffait ses mains, soulageant quelque peu le glaçant silence qui s’instaurait entre les deux jeunes gens. Plus le temps passait, plus le pasteur songeait que ses compliments avaient été pris de travers. La situation était si rocambolesque, défrayant toutes les histoires qu’il avait pu lire dans ses romans de gare. Que pouvait-il se cacher dans l’esprit délicat et emmuré qu’était celui de Lucy ? Elle était un véritable mystère pour lui, ses actes comme ses paroles. Tout l’interrogeait et lui faisait repenser tout ce qu’il avait pu établir sur sa personnalité. Le dégoût qu’il avait au début ressentit, lié à la facilité et l’envie qu’elle semblait avoir de se mettre à nue presque gratuitement, pour le simple remerciement le plus primaire… à bien y repenser, le chaste pasteur avait tant méprisé cette employée bien trop zélée à son goût ; quand bien même sa beauté l’avait hypnotisé à la première seconde et que sa cuisine ait aidé à la réhabiliter dans son esprit. Ne dit-on pas que l’on atteint finalement le cœur d’un homme avec son estomac ? Au fur et à mesure, elle l’avait profondément touché, il s’était senti ému par ce petit bout de femme. Avant toute chose, il voulait l’aider. Mais la boue pécheresse qui l’entourait, engluant ses bras de porcelaine, était impossible à laver, il s’en rendait compte jour après jour : cela lui brisait le cœur.

Sa quête paraissait parfaitement vaine, Jonathan peinait à en être conscient. A chaque fois qu’il tentait une approche, un geste tendre, une entraide, quelque chose le retenait en arrière en lui disant que tout ceci n’était qu’une mauvaise idée. Peut-être était-elle l’ultime tentation du Seigneur, avec sa beauté fragile et délicate, ses longs cheveux roux de sorcière, trop parfaite pour être réelle avec sa condition perverse. Sortant de ses terribles songes, le pasteur prit une profonde gorgée de rose. La saveur précieuse s’écoulait dans sa gorge, revigorant la sécheresse de son corps. Il avait si peur de sa réaction.

Dans cet endroit qui ravivait tant de souvenirs, Jonathan poussa un long soupir. Jamais il n’avait même pris un thé avec son ex-femme, à cette table qui était autrefois la leur. Ce n’était pas faute d’avoir essayer. Mais aujourd’hui était un autre jour, et la femme qui était attablée à ses côtés valait tant plus que ce monstre impie. Elles avaient ce même teint blanc, cette même chevelure flamboyante… mais toute comparaison pouvait s’arrêter là. Même la manière de porter la robe différenciait les deux femmes. Lucy ressemblait parfaitement à une honnête dame, d’une élégance qui n’était trahie que par la fatigue de ses yeux, et ses cheveux brouillons qui voletaient un peu partout, tenant comme fil d’araignée dans les airs. Ils brillaient en suspens à la lumière froide du plafonnier, si beau. Jonathan aurait pu passer des heures à l’observer, tout comme il en passait lorsqu’il lui apprenait à lire ; que tête baissée, elle se concentrait à lire. Fragile enfant qui apprenait à nouveau comment revenir à l’humanité, dépasser son état d’objet, de vulgarité salement dévoré par l’impudeur, et revivre à travers la conscience de soi retrouvée. Il ne savait pas -ou voulait sciemment ignoré- que ce cadeau pouvait être de ceux empoisonnés. Ne se rendait-il donc pas compte qu’il pouvait faire souffrir la jeune femme, en la faisant grandir de son état primaire, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus être capable de supporter son propre état de délabrement sociale ? Que ses attentions déguisés la détruisent volontairement tel qu’elle pouvait être, en la rendant dépendante de lui ? Jonathan n’était pas si innocent qu’il pouvait paraître, et le pire : c’était qu’il l’ignorait très certainement lui-même.

Il fut arrêté dans le trouble de ses songes par une douce pression sur sa main. La paume encore brûlante de thé, Lucy prit la sienne. Main que Jonathan serra à son tour, le coeur battant. Il leva le regard vers le sien, qu’il ne rencontra pas. Timide comme encore jamais à son accoutumé, la prostituée gardait le visage prostré vers sa tasse. Le pasteur profita pourtant de cet instant pour l’admirer à nouveau, dans cette belle robe qui sublimait sa véritable beauté, sans passer par les artifices vulgaires d’un odieux décolleté. Elle prit une profonde respiration à son tour, et prenait son temps pour parler d’une voix faible. Un remerciement sobre, doux, qui sonna comme une véritable mélodie aux oreilles du jeune homme. Il aurait aimé pouvoir la reprendre aussitôt sur ses paroles, en disant que la femme qui porte l’habit est tout aussi coupable de la beauté de celle-ci que le vêtement en lui-même. Jamais il n’avait trouvé cette robe belle sur son ex-épouse, tant elle la désacralisait avec toute son horreur habituelle. Mais elle, c’était si différent, elle était parfaite. Ce qui l’empêcha de parler au-delà de sa voix, ce fut la prise de sa deuxième main dans la sienne. Une nouvelle source de chaleur, tandis que Jonathan serra avec tout autant d’attention la petite paume. Les longues paroles qui vinrent ensuite, firent rougir tout son corps. Que jamais on ait pu lui dire qu’elle était belle, ce à quoi le pasteur ne savait pas s’il se sentait outré ou honoré.

Elle était tout simplement heureuse que ces compliments viennent de lui avant tout. Cette simplification extrême de ces paroles rapides et décousues furent un véritable choc. Jonathan plongea son regard dans le sien, à la première occasion qu’il lui fut donné de le faire. Cette sorte de confession la mettait dans une fragilité sans précédent, ressemblant à une petite poupée de porcelaine que l’on avait le devoir de protéger.  Il voulut la prendre dans ses bras, mais il n’osait pas. La table les séparait de toute façon. Devant lui, la prostituée devenait de plus en plus blanche et terrifiée, se pétrifiant sur place. Il était hors de question qu’elle reste dans un pareil état : il était de son devoir de la protéger, de l’aider. Tout son cou était emprunt d’une chaleur intenable, ses joues ne pouvant paraître plus rouge. Finalement, continuant de serrer les petites mains dans les siennes, il les réunit pour les encercler de ses larges paumes. Très délicatement, Jonathan déposa un baise-main sur ses phalanges :

- Vo...vous… vous êtes plus que jolie… je… je vous trouve … magnifique.

Le pasteur s’était lancé, et déglutit à son tour de cette première prise de parole courageuse. Lui aussi, était pétrifié de l’intérieur. Mais abandonner maintenant, s’enfuir comme il avait tellement l’habitude de faire, de  parcourir l’appartement de long en large pour le simple plaisir de trouver quelque chose à faire… cela serait laisser Lucy à l’abandon solitaire de son être, de ses paroles sorties droit de son cœur. Jonathan voulait y rendre hommage comme il se le devait.

- Vous… vo.. vous vous doutez bien que … je ne fais pas ce genre… de compliments… à n’importe qui. Je suis… également heureux… d’être en votre compagnie… j’aime quand…. vous êtes... là.

«Quand je peux vous voir. Quand je sais que je suis le seul à pouvoir admirer votre incroyable beauté, que dans la sécurité des murs je sais que personne d’autres ne vous touchera, ne vous violentera, n’abîmera la pureté de votre visage si triste. Quand vous êtes là, c’est que vous n’êtes pas dehors, vous n’êtes pas dans les ruelles sales à vomir votre honneur et le peu du reste de votre âme, vous n’êtes pas en train de vendre votre corps, vous n’écartez pas mécaniquement votre féminité pour vous souiller. Quand vous êtes là, vous êtes à moi...» Toutes ces choses qui criaient instinctivement et insidieusement en lui. Des choses qu’il se refusait à avouer, honteux et monstrueux. Essayant de faire taire ces voix en lui, il serra davantage encore les mains, osant même une simple caresse du pouce sur les frêles phalanges. Timidement, il essaya de capter son regard, pour la remettre à l’aise d’un sourire :

- En tout cas… j’ai… je suis content que vous ayez… accepté mon invitation. J’ai hâte que vous puissiez assister à l’un de mes sermons, j’espère que je ne vous décevrais pas. Je… je les écris moi-même vous savez… ? Je trouve cela plus intéressant pour vraiment parler aux fidèles, c’est plus personnel.

Jonathan n’osait plus faire le moindre geste, obnubilé par l’idée d’aider la jeune femme à sourire à nouveau. Il tenait ses mains pour qu’elle n’eut pas l’impression d’être abandonner, continuant de les tenir proche de lui. Il s’inquiétait pourtant de sa faiblesse évidente, de sa peau fantomatique. Sa fragilité de femme devenait  lentement une fragilité maladive qui n’était pas pour lui plaire. Fronçant doucement les sourcils, il demanda d’une voix attentionnée, se rapprochant un peu plus d’elle. Le pasteur retira même une de ses mains pour prendre l’épaule de Lucy :

- … peut-être est-ce que vous avez faim ? Je vous sens faible… Je suis un si mauvais hôte, à ne vous avoir proposer que du thé… je peux chercher quelque chose si vous le souhaitez ?

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Lucy E. Wood
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MessageSujet: Re: Un ange foule les pavés de l'Enfer [Jonathan] Un ange foule les pavés de l'Enfer  [Jonathan] - Page 2 Icon_minitimeMer 17 Oct - 19:05



Un ange foule les pavés de l’Enfer

« Printemps 1891 »

Ruelles de Whitechapel
Jonathan leva ses yeux clairs vers Lucy. Et, à l'instant même ou le regard céleste se posait sur elle, la fille de joie sentit ses ultimes forces l'abandonner. C'était donc ici que s'achevait dans un bégaiement misérable sa légendaire prudence. C'était donc lui l'homme qui lui faisait rompre son serment si longtemps inviolé. A nue enfin, Lucy, prise d'un tremblement craintif, sentait la puissance que son pitoyable aveu avait remis entre les paumes larges du pasteur. Que pourrait-elle désormais contre lui, à  présent qu'elle lui avait donné l'unique chose qu'elle n'avait pas monnayé ? La fille des rues qu'aucune ordure n'avait réussi à briser complètement, soudain courbait l'échine devant lui, l'homme d'église qui rougissait de sa nudité d'albâtre et qui lui offrait gîte, couvert et éducation  sans rien lui demander d'autre que sa compagnie.

C'était cet homme prude et chaste, cet homme immense au regard d'enfant qui l'avait vaincue. C'était ce sourire gêné, authentique, ce trouble devant un désir que jamais un homme n'avait cherché à réfréner, ces précautions inconnues qui venaient enfin à bout de sa longue résistance. Coutumière de la souillure, Lucy s'était targuée de ne plus la craindre ; aucun humiliation, aucun vice ne la feraient tomber plus bas. Elle ne craignait plus rien désormais, puisque, dans ces ruelles de Whitechapel, pour quelques pences, elle avait touché le fond de l'horreur. Sa solitude seule restait, pilier qu'avec orgueil elle avait songé inébranlable, mais soufflé par la brise tiède des égards de ce grand homme de Dieu aux épaules larges et au regard embrumé par les cieux.

Le pasteur la regardait. Et il grandissait encore, sa puissance déployée, semblant sentir et deviner la fragilité de Lucy qui s’abandonnait à lui, bien plus que lorsqu'elle se laissait étreindre par un client de passage, au fond d'une ruelle sale, les jupes relevées sur ses cuisses pour la promesse de quelques piécettes. Et Jonathan, dans cette humilité qui lui était propre, ne semblait pas s'enorgueillir de cet ascendant suprême qu'il prenait sur la prostituée. Car, si il lui avait toujours été supérieur, il s'était, dans l'esprit de Lucy, orchestré ce soir une révolution ; ces petits aveux qui pourraient sembler anodins à un spectateur de la petite scène, ébranlaient la fille de joie à la hauteur de ce qu'elle peinait encore à concevoir ; elle ne pouvait plus rien désormais contre Jonathan. Et lui, sans doute conscient de cette suprématie absolue qu'à force de patience et d'égards il avait conquis, n'en tirait pas profit. Il se contentait de serrer un peu plus les petites mains froides, pâles et tremblantes dans les siennes, larges et chaudes. Lorsque ses lèvres effleurèrent les doigts blancs de la prostituée, elle leva cette fois son regard vers lui, son regard bleu qui n'avait plus rien de clair, brumeux de fatigue, de désir, de trouble et d'angoisse. Jonathan réiterait son compliment, dans une louange exacerbée qui faisait découvrir à Lucy un sentiment bien féminin qu'elle ne se connaissait pas ; la coquetterie. Entendre le pasteur lui répétait qu'il la trouvait belle la parait d'une joie orgueilleuse inconnue d'elle jadis, d'une profonde satisfaction de femme désirée, malgré la gêne qui lui fit de nouveau bien vite baisser le nez vers sa tasse, tandis qu'elle tâchait de marmonner :

- Oh...Je...Révé...Je...Merci...

Et, tandis qu'elle perdait de nouveau courage, s’abandonnant à son mutisme naturel, Jonathan, lui, continuait de parler, exprimant la joie qu'il ressentait de partager la compagnie de la prostituée, semblant devoir se justifier sur l'authenticité de ses déclarations que Lucy n'avait jamais songé une seule seconde à mettre en doute. Pourtant, quelque chose, une chose vague, que la prostituée ne parvenait même pas à définir,  semblait vouloir gâter la perfection de cet homme idéal qui ne lui voulait que du bien. Lucy ne savait pas ce qu'était l'amour, ni même les égards, la prévenance ou la tendresse. Mais au fond de son âme, dans ses gènes de femme, la prostituée savait qu'il devait se passer quelque chose.

Et une frustration vague, peut être mêlée d'un peu de vexation, s'insinua en son coeur, se diluant au désir ardent qui bouleversait ses veines un peu plus à chacune de ses rencontres avec le pasteur. Une autre femme qu'elle aurait tout de suite deviné ce qu'elle attendait sans le savoir ; lorsque Jonathan avait effleuré les doigts blancs de ses lèvres, lorsqu'il lui avait avoué  le trouble que lui inspirait sa beauté, il aurait du l'embrasser. Et Lucy, attendant quelque chose qu'elle ne connaissait pas et qui ne venait pas, voyait sa patience s'amenuiser dans un accroissement de son désir contre lequel le prude homme de Dieu semblait mettre toutes ses forces à résister. Cet abandon salvateur allait il un jour mettre fin aux tourments de Lucy, que la chair torturait devant ce refus acharné d'un homme qui, pourtant, selon ses dires, la voulait si ardemment ?

A dire vrai, il devenait difficile à Lucy de réfléchir désormais. Les effets du thé s'estompaient, et l'intolérable fatigue reprenait ses droits sur le corps grâcile et affaibli de la prostituée, exigeant ses quelques heures de mauvais sommeil quotidien. Elle ne savait guère si elle rêvait ou non la caresse légère qu'exercait le Révérend Williams sur ses mains. Il parlait de ses sermons, et cette ferveur céleste dans sa voix semblait l'animer de nouveau. Il paraissait sincèrement heureux que Lucy ait accepté cette invitation et, rien que pour cette joie, franche et vraie, elle était heureuse d'avoir accepté.

Qui aurait pu parier qu'un jour la prostituée désabusée qu'était Lucy frissonnerait de hâte à l'idée d'écouter un sermon dominical ? Sûrement pas la principale intéressée, qui aurait sans doute ri en haussant les épaules. Mais Lucy n'était plus sûre de rien désormais, et c'était cette incertitude, profonde et abyssale, qui la rendait anxieuse, craintive presque, devant le seul homme qui lui ait jamais voulu du bien. Égarée dans les méandres d'un épuisement physique et nerveux, la prostituée répondit aux deux dernières tirades du Révérend, d'un ton vague et presque éteint :

- Je ne comprends pas...Je suis très touchée...Ne croyez pas que...Oh...Je veux dire...Je suis très touchée que vous aimiez ma compagnie...Mais. ..Un homme comme vous...Je ne comprends pas...Je n'ai rien et sans vous, je ne saurais même pas lire...

Loin d'elle l'idée de passer pour une ingrate. Car Lucy était honorée plus que de raison de l'affection manifeste que lui témoignait un homme tel que le Révérend Williams. Mais tout ceci n'avait aucun sens. Elle n'avait aucune éducation, aucune naissance, aucun bien. Son seul atout, il s’évertuait à se le refuser, avec toute l'ardeur que la foi insufflait dans cette âme pure. Alors pourquoi s'encombrer de cette bonne à rien, déchue, perdue ? Par pur bonté d'âme ?  Uniquement par devoir chrétien ?  Lucy n'y croyait pas. Il n'était pas dans le rôle du berger d'apprendre à lire à ses moutons, de les complimenter ou même de se complaire en leur compagnie de pécheurs. Non décidément, quelque chose se tramait, quelque chose qui échappait aux deux protagonistes, jouets de leur propre destin et soumis à cette obsession frénétique qui soudait leurs coeurs. La chétive Lucy s’abandonnait, déjà vaincue, alors que le prude Révérend semblait encore déployer ses forces contre cette attirance improbable qui n'était guère sage. Et Lucy, après avoir exprimé son incompréhension, craignant déjà d'avoir heurté la sensibilité extrême de l'homme de Dieu, se décida à lui faire part de son admiration ;

- Vous les écrivez ? Je suis sûre que ce doit être magnifique...Mais je ne savais pas que les pasteurs faisaient ça...d'où je viens...Dans la campagne...Le pasteur...Il lisait des passages de la Bible...C'est tout...

Le silence se fit de nouveau. Et la tension était telle que Lucy comprit soudain pourquoi Jonathan, lors des moments de gêne, lui parlait de tout et de rien, par longues tirades ininterrompues. Si la fille de joie n'avait pas été si lasse, son instinct aiguisé par ce désir latent lui aurait peut être suggéré de faire ce premier pas que Jonathan n'osait pas.

Mais, brisée par la fatigue, Lucy ne serait à l'initiative de rien ce soir. Cette soirée  s'achèverait comme les autres, platonique, appesantie par ce désir latent, étouffé par la gêne, la pudeur, ainsi que tous les principes moraux que leur union aurait piétiné. Et la prostituée, grâce à cette prudence instinctive naturelle à toutes les femmes, sentait qu'il n'était pas à elle d'agir. Jonathan sans doute lui garderait rancune d'avoir initié ce qui relevait du domaine de l'homme, et peut-être son orgueil et sa virilité en seraient blessés.

Aussi Lucy ne ferait rien. Malgré ce désir brûlant qui irradiait l'ensemble de ses veines, qu'elle ne s'expliquait pas, malgré l'azur de ces yeux qui lui faisait baisser son propre regard, malgré cette envie urgente de s'enfouir de nouveau au creux de ces grands bras, elle n'en ferait rien. La fougue dûe à l'élan de panique qui l'avait jetée dans les bras du pasteur était déjà dissipée, distillée par les vapeurs de gêne mutuelle et de désir réfréné qui régentaient les moindres faits et gestes des deux protagonistes. Lucy, soudain, se sentit affreusement triste ; ce qu'elle attendait ne viendrait peut être jamais. Et, après tout, le Révérend n'était pas à blâmer dans cette inextricable situation ; tenter de résister au péché démoniaque qu'elle représentait, s'interdire la faute de luxure avec une créature aussi souillée que l'était Lucy, n'était-ce pas là les fondements même de la moralité chrétienne ?  Que reprocher donc à Jonathan, qui restait dans son personnage, avec toute l'authenticité de son âme pure qui résistait tant bien que mal aux souillures des vices ?

Rien. Lucy était à blâmer dans cette histoire. Quelle impudence après tout. S'était elle regardée ?  Des années de trottoir, de rue et de faim, pas la moindre éducation, pas le moindre bien ; une moralité vendue au diable pour du pain et un lit. Si Jonathan, dans sa lutte acharnée pour la préservation de sa vertu, restait dans son rôle, elle en revanche outrepassait largement le sien, en croyant pouvoir attendre quoi que ce soit d'un bourgeois vertueux et respecté. C'était, après tout, à la prostituée aguerrie qu'elle était de ne pas tomber amoureuse. Quel piège stupide. Des années de fange et d'humiliations par la gent masculine, pour bêtement et follement s'enticher du premier homme étant bon avec elle.

Lucy n'avait pas encore conscience d'être  tombée amoureuse du Révérend Williams. Seule, une tristesse immense lui écrasait l'âme et lui comprimait le coeur en cet instant, se sachant enferrée dans une impasse ou la fin ne lui apparaissait que vaguement, tragique, inéluctable. Lorsqu'une des larges paumes du pasteur se posa sur la frêle et blanche épaule, la fille de joie leva sur l'homme de Dieu un regard plein mélancolie. Sa fatigue l'emportait sur sa faim, et elle se sentait soudain trop laide, trop souillée et trop pauvre pour ce bel appartement. Un petit sourire triste éclaira à peine sa face blanche de peines lorsque cet homme qu'elle adulait et considérait comme un roc trouva une énième excuse pour se déprécier. Jonathan avait plus fait pour Lucy que n'importe quel homme en vingt cinq années de misère, et voilà qu'il était soudain un hôte épouvantable parce qu'il avait omis de lui offrir à manger. On pouvait trouver cette manie de se rabaisser agaçante, mais on ne pouvait en revanche en vouloir bien longtemps à ce pasteur hors du commun qui se mettait en quatre pour faire le bien sans jamais être satisfait de lui même. Le ton de sa voix se faisant doux et délicat, la fille de joie tâcha de décliner l'invitation, malgré ce désir qui la poussait à rester près de lui :

- Non, merci...Je vous en prie ne vous dérangez pas...Il est si tard...Je suis trop fatiguée pour avoir faim...Je vais rentrer, j'ai assez abusé de votre bonté pour ce soir.

Ce disant, Lucy regardait toujours Jonathan de ses yeux tristes, cherchant à lui faire comprendre les raisons profondes de cette mélancolie à laquelle elle même n'entendait rien. Il ne fallait pas qu'il lui en veuille, mais loin d'elle l'idée d'abuser de sa bonté, et, après quelques heures de sommeil, peut être le peu d'optimisme qui la caractérisait refairait-il surface.
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Je n'aime pas me décrire...mais on me dit quelqu'un de gentil, tolérant envers beaucoup de choses; et il est vrai que le Seigneur m'aide à voir le bien dans le cœur de tous. Cependant, cette même capacité me rends aux yeux des gens très fanatique et naïf. Je n'avais jamais vu les choses sous cette angle, mais il faut croire que les gens ne voient en moi qu'un pasteur de pacotille. S'il y a une facette de moi que j'apprécie particulièrement, c'est le fait que je sois quelqu'un de très romantique ! Même si tout le monde préfère dire que je suis quelqu'un de niais...mais ne croyez pas que je sois stupide, car il m'arrive d'être très fier et impulsif. Je ne suis pas très courageux, mais je ferai toujours de mon mieux pour protéger les gens que j'aime, comme mon petit frère. J'ai aussi une profonde attirance pour les rousses. On me surnomme Quasimodo à cause de mon apparence quelque peu trapu -et certes poilu bien que blond, par opposition à la magnificence de mon frère.
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MessageSujet: Re: Un ange foule les pavés de l'Enfer [Jonathan] Un ange foule les pavés de l'Enfer  [Jonathan] - Page 2 Icon_minitimeJeu 1 Nov - 19:10



Un ange foule les pavés de l’Enfer

« Printemps 1892 »

City of London

La nuit avait apporté son voile sur le monde depuis un moment maintenant. Depuis les fenêtres de l’appartement, on voyait encore les lumières des lampadaires ; tremblantes, scintillantes, elles étaient les derniers fragments de jour dans l’obscur capitale. On pouvait encore les voir malgré les épais rideaux qui cachaient les vitres. Mais ce n’était malheureusement rien de tout cela qui découpait les ombres de nos deux êtres humains en perdition. Juste la lumière puissante, froide, imposante, de l’unique ampoule du plafond. Jonathan préférait bien mieux les lueurs en demi-teintes des bougies, bien que plus coûteuse. L’ambiance y aurait été plus intimiste, plus délicate, plus prompte à l’observation silencieuse et à la méditation. L’ampoule cassait, elle rompait le symbole et creusé le sillon d’une réalité bien trop dur pour être accepté. Elle mettait à nue la stupidité de leurs actes, personne ne pouvait se cacher dans une vague sombre occasionnée par la danse d’une flamme. Aucune fluctuation, juste des faits. Cela mettait le pasteur dans une position inconfortable. Il se contentait de tenir l’épaule de la jeune femme, s’en voulant d’avoir été un piètre hôte. Ce n’était pas avec du thé chaud que l’on soignait un ventre peiné. Tout au mieux, il avait réchauffé son corps blanc et glacé du vent hivernal. Il s’en voulait de ne pas pouvoir faire plus. Oh, il aurait pu, mais tout ce que cela impliquait le pétrifiait.

Pouvait-il lui demander d’être sa cuisinière personnelle ? Inventer quelques prétextes pour lui donner un emploi stable et superficielle, afin qu’elle put s’en tenir loin des rues et des mécréants ? Lui redonner foi et purifier son âme, un objectif bien chevaleresque. Jonathan ne savait pas, il n’avait jamais su. La tâche lui semblait si immense qu’il ne pensait pas être capable de la mener à bien. Il avait peur qu’elle ne voit mal à travers ses propositions, qu’elle ne prenne peur d’une possession lente mais inexorable. Ses doigts se crispèrent sur son épaule. La voix douce et fragile de Lucy s’échappa alors, pour dire des phrases peu construites, sous l’effet d’une fatigue visible. Elle ne comprenait pas que le pasteur donna tellement d’importance à sa présence, elle qui n’était rien et qui n’avait appris qu’à travers lui. Lui apprendre à lire, Jonathan n’aurait pu rêver meilleur expérience. Polir une perle brute, sauvage, désirable. La couvrir d’attentions, et recevoir en retour la plus délicate des inclinations. Le coeur du jeune homme battait à rebours, honteux de ses pensées impures, heureux de ses paroles inquiètes à elle. Pour seul réponse, il lui offrit un tendre sourire. Comment pouvait-il effectivement expliquer toute l’attention qu’il lui apportait ? Il aurait été mentir de dire que le pasteur aurait fait ça à n’importe quel autre personne. C’était tombé sur elle, dans cette froide nuit d’hiver où la prostituée avait voulu obtenir de lui sa pièce du soir. Il n’aurait pas invité un homme dans son lit, ni même une vieille femme. Dès la seconde où son regard s’était posé sur elle, Jonathan s’était senti happé, coupable, méprisable. Peut-être était-ce pour cette raison qu’il avait tenu à lui enseigner la lecture, l’écriture.

Au milieu de tout cela, l’implacable vérité de leurs natures : lui, un bourgeois pasteur, berger des opprimés mais vivant confortablement dans son train-train quotidien, au milieu de ses regrets et de ses livres… et elle, une prostituée rompue à la triste et immonde réalité. Même dans ses romans, rien de semblable ne s’était jamais produit. On n’élevait pas ces objets à des rangs d’êtres humains. Elles ne valaient pas mieux qu’un animal qu’on payait pour en jouir de sa chair dévorée. Perdue leur dignité, anéantis les espoirs d’ailleurs quand on offrait les derniers remparts de notre humanité à la faiblesse des hommes. Lucy pouvait-elle être sauvé de cet enfer, de son âme maudite et des marques sur son corps ? S’il y parvenait, est-ce que l’esprit pervers de Jonathan continuerait de vouloir son bien contre vent et marées ? Même s’il se posait beaucoup de questions, la réponse à celle-ci était évidente : bien sur que oui.

Lorsqu’elle déclara être bien trop fatiguée pour avoir faim, le sourire de Jonathan s’abaissa à son tour. La jeune femme voulait rentrer, ne pas lui voler davantage de son temps. Son triste regard le déchirait à l’intérieur. Pourquoi repartir dans le froid, retourner dans l’affreux monde extérieur quand leur petit monde se plaisait à lui-même ? Inquiet, Jonathan reprit ses mains, les serrant plus encore. Tel un petit oiseau, elle glissait et s’échappait. L’extérieur terrifiant et glacé n’était pas une place pour une personne comme elle. Dehors, il n’y avait que la lumière des lampadaires pour la guider jusqu’aux ténèbres de Whitechapel, cet endroit d’où on ne sortait pas indemne. Ce quartier que tous évitent, sauf les fous et les malades, ceux qui n’ont rien à perdre, ceux qui se cherchent, les malsains se complaisant dans la douleur d’autrui, ceux qui ont encore quelque chose à prouver, les chevaliers en manque de dragon à tuer, d’âmes à sauver, les meurtriers en manque de proie facile. Toutes ces personnes des autres quartiers qui se plaisaient à voir en Whitechapel le lieu où les lois s’abolissaient, où tout était permis, le bien comme le mal. Non, Jonathan ne pouvait pas lui permettre d’y retourner ce soir, ce n’était pas le bon soir. Pas après l’agression qu’elle avait subi plus tôt. Ce n’était pas il y a si longtemps maintenant, mais le souvenir restait tenace. La rage, la rancœur, toute reversée sur cet homme qui n’était rien d’autre qu’une autre âme perdue dans un monde sans foi ni loi. Il l’avait massacré sans se soucier de son état. Peut-être était-il mort plus loin dans la ruelle. Le pasteur n’y pensait pas -quand bien même Dieu était le seul à pouvoir faire justice lui-même.

- Ne soyez pas bête. Il est hors de question que je vous laisse repartir là-bas à cette heure. Vous pouvez dormir ici, vous aurez le lit de la chambre pour vous toute seule ! Faites comme chez vous, vraiment…

Mais Lucy avait raison sur une seule chose : il se faisait tard. Et le sermon qui devait avoir lieu demain se présenter aux premières lueurs de l’aurore. Il fallait préparer l’église, la nettoyer. Jonathan avait déjà fait l’achat de plusieurs fleurs pour agrémenter le décor -petite coquetterie dont il ne se lasserait jamais. Il n’aimait pas le faste des grandes églises catholiques, dans le style de la cathédrale Saint-Paul. Il y avait mit les pieds une fois, lors de son éducation religieuse. C’était grand, ça en mettait pleins les yeux. Entre autre, c’était joli à visiter mais difficile de ressentir quelque chose de sincère -à son sens. Quelque chose qui aurait en tout cas attrait à la vraie foi, et pas juste à l’impression de grandeur et de fantastique qui s’en dégageait ; comme la sensation d’être soi même un peu prince lorsque l’on marche sous les coupoles. Mais il ne voulait pas conduire la jeune femme dans la riche cathédral. Le modeste pasteur qu’il était voulait le conduire à sa propre église, à ses propres croyances, sous la coupole de son influence. Une âme qu’il voulait gagner, soigner. Avec délicatesse, Jonathan leva la prostituée, tenant toujours une de ses mains et gardant son coude dans une autre pour l’aider dans son geste. Elle ne semblait de toute façon pas assez éveillée pour l’en empêcher, aller contre sa volonté. Aussi l’amena-t-il jusqu’à la chambre, prenant soin de l’aider à monter les marches, soutenant son coude, soutenant sa hanche. Son contact si proche, si doux. Il était si heureux, de deux êtres n’en formant qu’un empli de tendresse et de prévenance.

Lorsqu’ils furent dans la chambre, Jonathan l’assit sur le lit. C’était un grand lit qui aurait largement permis à deux personnes de prendre leur aise, mais il ne voulait pas qu’elle crut que c’était à cette seule finalité. Il n’y avait nul par autre où dormir, dans la cave sous son église. Ici, il y avait un canapé. Le pasteur ne pouvait pas juste ignorer cette donnée. Alors il alla dans l’armoire, s’occupa à sortir une plus grosse couverture pour la jeune femme et récupéra quelques draps pour lui. C’était des vieux gestes mais il s’en souvenait encore. Tout en la laissant commencer à retirer ses bottines ou tout autre chose dont il n’y avait plus besoin sur l’instant, Jonathan chercha une vieille chemise de nuit à son ex-femme, ne trouvant peu de choses autre que de charmantes nuisettes. Ce n’était pas non plus handicapant pour dormir, après tout, il devait aller au canapé. Il en sortit une pour l’hiver, et la posa sur le lit à ses côtés. Alors qu’il s’apprêtait à sortir, main sur la poignée, le pasteur jeta son regard au sol.

- Pourquoi vous n’arrêteriez pas ? Trouvez un emploi sûr… vous saviez cuisiner, maintenant vous savez lire et écrire… pourquoi vous restez comme ça ? Comment vous vous êtes persuadée que vous ne valiez rien de mieux ?

Était-ce la fatigue qui teinta sa piètre confession de cette nuance de reproche ? Il ne s’était pas rendu compte d’à quel point ses paroles pouvaient être dures. Mais cette question lui brûlait les lèvres depuis tellement de temps. Cette question qui était en quelque sorte la synthèse de tout ce qui les différencier et surtout les séparer. Cette unique et simple question, empêchant l’union de cette passion évidente qu’ils se refrénaient tout deux pour de mauvaises raisons. Le sommeil porte conseil, dit-on.

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MessageSujet: Re: Un ange foule les pavés de l'Enfer [Jonathan] Un ange foule les pavés de l'Enfer  [Jonathan] - Page 2 Icon_minitimeMar 13 Nov - 16:27



Un ange foule les pavés de l’Enfer

« Printemps 1891 »

Ruelles de Whitechapel

Les larges paumes du pasteur se saisirent une fois de plus des petites mains de Lucy. Le visage grave de l’homme de Dieu n’avait exprimé aucune colère face aux déclarations de la fille de joie. Seule, la pression que ses doigts exerçaient sur ceux de la prostituée, semblait avoir reflété une inquiétude vive, un agacement certain ou une lueur de mécontentement. Elle savait que ce refus, exprimé clairement, pourrait déplaire au Révérend. Malgré ses égards et son authentique bonté, Jonathan restait un homme, de bonne situation de surcroît. Son éducation, son quotidien, sa religion, le monde tout entier dans lequel il baignait depuis sa naissance, l’incitait à potentiellement se froisser devant les refus d’une femme, de plus basse extraction que lui qui plus est. Etait-ce ce sursaut d’orgueil masculin qui l’avait, presque imperceptiblement, fait tressaillir de colère ? Ou peut-être ne s’agissait-il après tout que d’une inquiétude véritable, une peine sincère de voir Lucy décliner la généreuse invitation d’un lit de plumes et de soie pour une paillasse au fond d’un coupe-gorge, qu’il fallait rejoindre à pied en plein cœur d’une nuit sépulcrale ? La fille de joie n’aurait su le dire, et, à la vérité, elle commençait à perdre courage et à déjà regretter ses paroles. Certes elle restait persuadée qu’elle avait opté pour la solution la plus sage. Mais les mains chaudes et fortes du pasteur la ramenèrent soudain à sa propre faiblesse, et à sa lassitude si grande que soutenir le poids de ses paupières lui demandait un effort considérable. Marcher de ce beau quartier jusqu’à sa tanière lui paraissait soudain un exploit inenvisageable. Sans doute tomberait-elle de fatigue de tout son long sur le pavé, à mi-chemin du trajet.

Heureusement l’homme de Dieu déclina avec fermeté la proposition de Lucy, non sans en souligner la bêtise au passage. Comment lui en vouloir ? Même elle ne croyait pas en ses dires. Il lui offrait même son lit pour la nuit. Et la véhémence que la fille de joie aurait mis dans son refus en temps normal, se mua en une moue pathétique de quelqu’un qui, vidé de ses forces, se soumettait sans plus combattre. Elle se laissa enlever de sa chaise comme une enfant, semblant un poids plume pour le Révérend Williams qui ne sourcilla même pas en la redressant de toute sa hauteur, alors que ses jambes ne paraissaient même plus la porter. Jonathan la conduisit jusqu’à sa propre chambre avec beaucoup de prudence, usant de mille précautions infinies, d’une patience extrême lors de la montée des marches qui sembla durer une éternité. La réalité s’embrumait aux yeux de Lucy, et elle croyait rêver ce bras autour de sa taille, cette paume qui cerclait son bras. Avachie contre le roc qui la soutenait sans effort aucun, la fille de joie, confiante, s’abandonnait tout à fait, se délectant des embruns de lavande qui s’échappaient des vêtements, de la gorge et des cheveux du pasteur de Whitechapel. Lucy se laissa asseoir comme une poupée de chiffon sur le lit de plumes. Son séant semblait s’être installé au creux d’un nuage. Ce confort inouï intensifia sa fatigue. Brisée de lassitude, la prostituée regardait vaguement la haute stature devenue floue du Révérend qui s’affairait devant les immenses armoires. Jonathan était coutumier de ces crises d’agitation nerveuse, dont les soubresauts le prenait lorsqu’il souhaitait dissimuler un malaise ou une pudeur.

La jeune femme s’extirpa quelque peu de sa torpeur lorsqu’un vêtement atterrit délicatement à côté d’elle. Lucy s’empara d’une main fébrile du tissu blanc brodé au fil d’or d’exquises fleurs délicates au niveau de la gorge, des épaules et des manches. Ces dessins délicats étaient rehaussés par la blancheur immaculée du vêtement, que des rubans de satin dépassant de glissières au cou et aux poignets permettaient de lacer à sa guise. La miséreuse se questionna vaguement sur l’utilité d’un tel luxe déployé sur un tissu qui ne se voyait pas. Sa réflexion, assombrie par le sommeil omniprésent, n’avait pas duré plus de quelques secondes. Mais ce bref laps de temps suffisait amplement au prude pasteur lorsqu’il cherchait à fuir une situation qui affolait son extrême timidité. Aussi, à peine Lucy avait-elle baissé les yeux sur la chemise de nuit que le Révérend avait déposé à son intention, que, déjà, il avait la main sur la porte. La jeune rousse n’avait pas réellement pris conscience de l’invitation de Jonathan, et ne pensait vraiment pas qu’il allait lui céder son ancienne chambre nuptiale à elle seule, pour aller se blottir au fond du divan du salon. Si Lucy avait été en pleine possession de ses capacités, elle aurait pourtant vite compris qu’il s’agissait là d’une idée empreinte de l’extrême galanterie que le pasteur révélait à son égard.

Mais tout cela était ridicule, et un brin de révolte fouetta l’esprit ensommeillé de la fille de joie. Elle avait senti le chaste Révérend frémir dans ses bras. Elle l’avait vu s’enivrer de l’odeur de sa chevelure, de même qu’elle avait vu l’étincelle de désir embrumer la clarté de son regard. Allait-il vraiment pelotonner avec peine sa haute stature sur un divan, uniquement pour laisser à une prostituée l’immensité de son lit au fond duquel on pouvait dormir à deux sans même jamais se frôler ? Et puis, Lucy avait envie qu’il reste. Une de ces envies viscérales, qui aiguise les nerfs déjà à vif d’impatience et de désir inassouvi. Il en avait autant envie qu’elle, elle le savait. Cette auto-pénitence chrétienne que s’infligeait le pasteur de Whitechapel avec beaucoup de d’application avait tendance à agacer la fille de joie, surtout ce soir, ce soir ou le désir d’enfouir l’horreur de son existence dans les brumes de lavande émanant du cou de Jonathan devenait presque vital.

Son bras se tendit dans un geste affolé vers le Révérend qui était sur le point de fuir sa présence. Il allait visiblement la laisser seule ici. Lucy se devait de réagir promptement, afin de saisir l’infime chance qu’il lui restait de garder encore le pasteur auprès d’elle. Et elle ouvrait la bouche d’un air précipité, s’apprêtant à lui prier de rester, lorsque lui-même prit la parole avant elle. Il semblait réfléchir à ce qu’il allait dire, planté sur le seuil de la porte, la main sur la poignée, le regard fixant le sol. Et sans doute devait-il peser ses mots, car son discours était très mesuré, hésitant, prononcé d’une voix douce et incertaine. Lucy n’en croyait pas ses oreilles et même elle avait cru rêver les premières paroles du Révérend, divagant dans les brumes d’un demi-sommeil. Mais elle était tout à fait réveillée désormais, et sa bouche qui s’était entrouverte dans une supplique avortée restait béante devant ce grand tableau naïf qui dépeignait si peu la réalité de la misère et dont l’ombre du jugement, à peine voilé, la frappait en plein cœur. Comment un homme si cultivé, si ouvert et si bienveillant, pouvait-il se révéler si crédule ? S’imaginait-il réellement que Lucy, fraîchement débarquée de sa campagne, s’était vue offrir nombre d’emplois stables de cuisinières ou de bonnes, déclinées d’un revers de main pour sombrer avec un vertige délicieux dans les affres de la rue, de la violence et du sexe monnayé ? Le pasteur de l’amour croyait-il vraiment que Lucy avait fini par se complaire dans ce rôle de support à la misère sexuelle des bas-fonds londoniens, se délectant de sa position d’esclave, soumise aux plus viles déchéances masculines, victime consentante immolée au désir de stupre dans toute sa primauté bestiale, violente, dégoûtante ? Lucy s’était résignée, certes. Mais il ne s’agissait ni plus ni moins qu’un instinct de survie, propre à chaque être humain, une insensibilité salvatrice, muant en automatisme l’insupportable d’autrefois. A Londres, seule la prostitution lui avait tendu les bras et l’avait empêché de mourir de faim. Alors Lucy l’avait accueillie avec résignation, décidée à vivre malgré tout, malgré la promesse de l’horreur omniprésente, du froid, de la faim et des tourments quotidiens infligés par ses bourreaux. Pouvait-on réellement croire qu’une femme puisse préférer la peur glaciale de la rue, les coups, les violences et les rapports brutaux, à un emploi douillet d’employé de maison, logée, nourrie et blanchie par une famille aisée qui lui réserverait un coin de cheminée les jours d’hiver ? Soudain Lucy eut l’image eut l’image d’elle-même, en petit bonnet et tablier blancs, vêtue avec la sobre propreté des gens de maison, humble, le visage déparé de ses habituelles cernes bleuâtres, de ses joues émaciées et des occasionnelles traces de coups qui laissaient çà et là leur trace funeste, au gré de l’envie de l’agresseur. Un léger rire nerveux secoua un instant ses épaules.

Que répondre à cela ? La question était rhétorique, et, dans la bouche de quelqu’un d’autre que Jonathan, elle friserait l’insulte. Mais Jonathan, malgré tout, restait homme. On ne pouvait lui demander de se déparer complètement de son éducation, qui lui dictait que les prostituées étaient des âmes perdues, vendues au diable, vicieuses par instinct et par plaisir. Il était étrange d’ailleurs que ce soit le refuge des pires vices de l’humanité qui soit ainsi mis en cause, et non les déverseurs de ces mêmes vices. Lucy leva les yeux vers le Révérend Williams, qui gardait les siens obstinément vissés sur le plancher. De toute évidence, il regrettait déjà ses paroles. Mais il les pensait. Elles devaient même lui brûler les lèvres depuis fort longtemps, à l’amertume qui transparaissait dans ce discours qu’il avait voulu délicat. La jeune femme croyait comprendre, sans pouvoir l’exprimer. Malgré une irréprochable sincérité, le pasteur de Whitechapel n’avait visiblement aucune idée du quotidien de Lucy. Son désir de comprendre était authentique, mais comment le pourrait-il ? Son statut d’homme, de pasteur, de bourgeois l’éloignait trop de ce que pouvait ressentir une femme seule qui se vendait pour avoir un peu moins froid ou moins faim le soir même, vivant avec l’omniprésente éventualité d’être retrouvée égorgée, rouée de coups ou morte de froid au milieu des ordures parsemant l’asphalte de Whitechapel.

Lucy ne savait pas bien quoi répondre. Elle était profondément blessée, mais elle ne pouvait en demander trop à Jonathan. Il avait déjà fait montre d’une tolérance hors du commun envers quelqu’un de son espèce. Malgré tout, lui demander pourquoi était d’une indélicatesse qui glaçait le cœur de Lucy, semblant soudain être devenu d’une lourdeur de pierre. Cette notion de choix paraissait terriblement insultante, parce qu’elle suggérait que la prostituée avait préféré cette option à une autre. Cela impliquait une potentielle réflexion de la part de l’intéressée, qui, pesant le pour et le contre de plusieurs situations hypothétiques, aurait décidé de se tourner vers la prostitution, la jugeant moins pire qu’une autre, y trouvant quelque avantage, se complaisant dans cette profession peut-être. Etait-ce vraiment Jonathan qui se trouvait ce soir-là devant une Lucy aux prises d’un homme qui s’acharnait sur elle à l’en étouffer, suffoquée par la violence du coup qu’il l’avait immobilisée, luttant contre la nausée infligée par les vapeurs d’alcool qui émanaient du monstre ? C’était sa réalité qu’il avait vu ce soir, une réalité qui n’était pas édulcorée par les sermons pastoraux ou les discours bourgeois. Il avait vu cette réalité, cette horreur de ses propres yeux ; et pourtant, il se demandait toujours si la jeune femme choisissait cette vie. Lucy lui en voulait, car il aurait du comprendre qu’elle la subissait. C’était une évidence. En douter, c’était croire que la prostituée ait pu se complaire dans ce quotidien qu’il avait pourtant traversé, tel un éclair. Comment pouvait-il le croire ? Réveillée, le dos courbé par une incroyable tristesse qui lui écrasait les épaules, Lucy fixa ce visage gêné qui ne la regardait pas, ce visage d’un homme qui n’avait pas voulu la blesser sans doute, mais qui pensait ce qu’il disait. La voix de la jeune femme s’éleva à peine, dans un murmure étranglé par la peine, d’où ne pointaient qu’une infime once de colère et d’indignation, tant la mélancolie prenait le dessus ;

- Vous insinuez que j’y prends du plaisir, Révérend ?

La réponse pouvait paraître insolente. Pourtant il n’y avait aucune véhémence dans cette remarque, simplement le constat de ce qu’elle ressentait et comprenait des questions pleines de sous-entendus de Jonathan. De même l’appellation de Révérend était revenue naturellement, sans calcul aucun. Mais Lucy, sous ces reproches insidieux qui se voulaient bienveillants, avait retrouvé ce jugement moral et chrétien qui lui était désagréable et la mettait mal à l’aise. Elle avait l’impression de redevenir une petite enfant effrayée devant ces grands hommes en noir qui sermonnaient ses moindres actes de petite fille comme des péchés mortels. Et, en plus de la peine que Jonathan venait de lui infliger avec innocence, s’ajoutait la douleur de ressentir cette désagréable émotion pour lui. C’était la première fois qu’elle le voyait ainsi, comme un homme de Dieu moralisateur, enclin à la culpabilisation des âmes. Mais, une fois de plus, cette facette faisait partie du personnage d’un pasteur, et l’idiote était une fois de plus Lucy dans cette histoire, qui avait follement cru qu’un homme de Dieu pourrait, mieux qu’elle-même peut-être, comprendre ses maux, son quotidien et sa misère, sans émettre ne serait-ce que l’ombre d’un jugement.


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« Printemps 1892 »

City of London

Ses mots avaient enfin dépassé le cadre privé de ses sombres pensées. Toutes ces ombres tourbillonnant dans son esprit sans personne à qui les murmurer. Il avait jusqu’à cette peur insidieuse d’en parler à son Seigneur, tant la situation était à la fois risible et tragique. Si c’était une épreuve fomentée par le Divin, il y avait échoué depuis longtemps. Et cette défaillance lui faisait perdre pied. C’était la première fois. L’équilibre tant recherché se prenait dans le voile virginal d’un amour défendu, dans ses désirs refoulés, dans l’image sublimé de cette pécheresse au triste passé. Seulement voilà, cette femme douce et fragile n’en restait pas moins une souillure. Elle portait au corps la marque des impures, cette impression vivace et sordide d’un vêtement que l’on use jusqu’au bout de ses coutures pour la jeter ensuite sur le sol. Défaite, fanée, le coeur absent. Lucy était tout ça à la fois, et pourtant tellement plus. Elle était un véritable être humain, qui l’écoutait, souriait quand il lui souriait. Ses cheveux ne sentaient pas l’alcool des poivrons, sa nuque ne transpirait pas le mortier. Jonathan trouvait ses mains douces, et que le reflet de ses mouvements sentait la poussière. Il n’y avait pas d’autre mots pour expliquer cette sensation âcre, lourde mais éventée -comme un ancien souvenir, propagé par celle qui faisait le plus vieux métier du monde. Elle n’essayait pas de le cacher avec du parfum bon marché. Elle était pure et brutale, honnête et forte. Tout ce qu’il n’était pas, mais qu’il essayait de se faire passer pour.

Peut-être était-ce pour cela que le pasteur était tellement en colère. Parce qu’elle ne cherchait pas vraiment à s’extirper de ce que le destin avait choisi pour elle, mais qu’elle y faisait face avec une dignité morbide et troublante : alors qu’elle avait désormais plus de cartes en main qu’elle n’en avait jamais eu. Lui non plus, n’avait jamais essayé de sortir de ce chemin qui avait été le sien. Soumis à son père, soumis à son ex-femme, soumis à son Dieu, il ne savait rien faire d’autres que prier jusqu’à s’en écorcher les genoux sur l’autel. Prier pour les autres, prier pour ses proches jusqu’à en oublier le monde tout autour. Cette jeune femme devant elle, ne pliait devant personne. Son esprit était libre et droit, sans dieu ni maître. Il n’y avait que l’aspect matériel de son être qui pouvait être pris. Jamais personne n’aurait ni son coeur, ni son âme. Peut-être était-ce pour toutes ces raisons, qu’après la colère de lui être visiblement inférieur, lui venait la colère de l’aimer de tout son âme. Il ne valait rien, petit lapin bien dressé qu’il était, face à cette bête sauvage. Un renard que l’on attachait en laisse pour faire des tours de cirque, mais qui restait aussi auguste qu’un lion - à l’image de cette crinière le long de sa poitrine. Mais sa propre fierté d’homme le torturait, souhaitant fort, si fort que ce renard gagne sa liberté -car on lui avait offert un couteau pour mordre sa laisse. Rien ne pourrait le faire changer d’avis à ce sujet : c’était de la complaisance. Les mots étaient durs, mais il ne pouvait s’empêcher d’y penser -depuis plusieurs semaines maintenant.

« - Vous insinuez que j’y prends du plaisir, Révérend ? » Le couperet tomba violemment sur la nuque de Jonathan, qui écarquilla les yeux, choqué. Rien ne sortit entre ses lèvres fermement serrées. La colère lui montait dans les membres comme des bulles piquantes. L’accusation était sale, injuste, et manquait cruellement d’objectivité. Jamais il n’avait sous-entendu parler chose. Il fallait être un idiot pour ne pas s’imaginer qu’elle le provoquait. Le renard sortait les griffes et parlait de sa voix nasillarde. Cette phrase simple, qu’elle n’avait même pas prononcé sous le coup d’une colère légitime, était si légère et dite de manière si insignifiante… que cela acheva d’énerver le pasteur. Ce dernier ferma la porte qu’il avait légèrement entrouverte, d’un coup rude qui vit vrombir gravement la porte. Il ne la regardait pas. Son regard fixait le sol. S’il la regardait, il pleurerait à coup sûr. La fatigue emportait également les restes de son esprit, et il n’avait jamais été connu pour être un homme viril et dur. C’était même bien tout le contraire. Mais sa voix ne sortait pas de sa gorge sèche, elle s’était cachée pour ne plus souffrir. Violemment, il frappa la porte du poing et baissa la tête. C’était la première fois qu’il était en colère contre elle.

- C’est ainsi que vous m’insultez... ? Vous pensez que j’ai fait tout ça pour vous, en pensant que vous n’étiez qu’une vulgaire bonniche qui « y prenez du plaisir » ?! Si je vous ai hébergé… que je vous ai appris à lire… c’était pour vous donner des armes, pour vous en sortir. Est-ce que vous avez seulement essayé depuis ? Je ne sais pas depuis combien de temps vous êtes dans la rue, je ne veux même pas savoir ! J’ai pensé que vous étiez différente, et je le pense toujours…

Jonathan cacha son visage sous l’ombre de son bras toujours collé contre la porte. Puis il murmura, pour lui-même plus que pour elle, dans un soupir éreinté qui brûlait sa gorge nouée :

- Comment osez-vous…

 Le pasteur se mordit la lèvre, sans savoir quoi dire de plus. Cette phrase l’avait touché bien plus profondément qu’il n’y paraissait. C’était comme si son coeur se brisait en mille morceaux. Qu’elle ose ainsi sous-entendre la chose qu’il cherchait par dessus tout à oublier, à ne pas croire. Quand la moindre pensée de son corps suppliciée lui donnait envie de vomir et de la sauver de son mal. Comment pouvait-on être aussi ingrate ? Jamais il ne l’aurait aidé avec autant d’efforts, ne lui aurait prêté son lit, ne lui aurait appris à lire, à écrire par la suite… si ce n’était pour qu’elle soit libre. Son sang bouillonnait, il avait tellement mal. Elle n’avait au final même pas répondu à sa question, comme si ce n’était pas si important. En lui opposant une nouvelle question, c’était comme pour lui faire signifier qu’elle s’était résignée à un point si profond dans son être, que changer lui était impossible. Le renard se serait-il finalement fait domestiqué par le malheur ? Quelque part, Jonathan avait rêvé à des folies. Pouvoir atteindre son coeur, et qu’elle change finalement… peut-être même un peu pour lui. Que son âme devienne pur, et qu’ils puissent se regarder sans rougir. Etait-ce le rêve de trop ? Oh, il avait placé tant d’espoir en Lucy, sans même s’en rendre compte. Ce n’était que maintenant que tout semblait s’effondrer, qu’il voyait tout le mal qu’elle lui faisait.

Entre se cacher dans le canapé de l’étage du bas, ou s’asseoir aux côtés de la jeune femme, le pasteur ne sut pas quoi choisir. Il ne voulait pas terminer cette soirée sur cette note si désastreuse. Pas après l’avoir sauver, l’avoir aider une fois de plus. Il ne voulait pas s’arrêter. Pour couper court à ces réflexions, il partit s’asseoir de l’autre côté du lit, là où elle n’était pas. Lui tournant ainsi le dos, Jonathan se frotta compulsivement ses larges mains, frottant ses phalanges les unes aux autres. Cela l’occupait, surtout qu’elle pouvait à tout instant décider de partir. Retourner là où ils semblaient mieux la comprendre. Sa frêle personne était la plus proche de la porte de sortie. Si Lucy décidait de partir, il ne l’empêcherait pas. Jonathan prendrait cela comme l’ultime décision, la réponse finale à tous ses questionnements. Il enfonça son visage dans ses bras croisés sur ses genoux, et soupira. Ses ongles s’enfoncèrent dans les manches de sa soutane. Son corps était las, fatigué ; son esprit, tout aussi fourbu de lamentations, quémandait les premières heures de sommeil.

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Lucy E. Wood
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Un ange foule les pavés de l’Enfer

« Printemps 1891 »

Ruelles de Whitechapel

Lucy savait qu’elle avait été insolente. Elle regrettait déjà les mots terribles, échappés de ses lèvres frémissantes de colère et de chagrin. Car la fille de joie, abattue et peinée, avait sciemment cherché à blesser le Révérend. Elle semblait avoir réussi au-delà de ses espérances, et ce triomphe sordide, qu’elle n’avait désiré que quelques secondes, lui fit bien plus mal que les mots de Jonathan. Comment avait-elle pu ? Certes, elle ne s’imaginait guère cette réaction ; mais Lucy savait pertinemment, en lui parlant de la sorte, qu’elle outragerait l’homme de Dieu dans sa vertu, lui prêtant des idées auxquelles il ne pouvait pas même songer et qui le rendaient malade d’horreur. La simple pensée que l’on puisse faire du mal à Jonathan suffisait d’ordinaire à la faire trembler d’indignation. Et voilà qu’elle était comme tous les autres désormais, ceux qu’elle exécrait, ceux qui abusaient de la bonté sans failles, un peu naïve, de cet homme de Dieu qui faisait exception dans la sphère cruelle et méprisante de la bourgeoisie anglaise. Lucy eut soudain terriblement honte, et eut un sursaut lorsque la porte, dont le Révérend tenait toujours la poignée, claqua violemment. La jeune femme leva les yeux, terrifiée d’avoir pu provoquer la colère d’un homme si bon. Avait-elle tant de pouvoir ? Il était effrayant pour une fille de rien, méprisée de tous, de s’apercevoir que sa parole, d’ordinaire sans valeur, pouvait avoir un tel impact sur quelqu’un d’aussi influent qu’un pasteur londonien. Lucy ne tirait nul orgueil, nulle satisfaction de ce constat qui, à l’inverse, l’attristait. Inconsciemment, elle avait encore fait l’erreur de considérer Jonathan comme n’importe quel homme, en lui jetant au visage une phrase qui, de la part d’une catin méprisable, aurait rendu indifférent tous les autres. Tous sauf lui. Il ne la regardait pas, le regard obstinément baissé vers le sol, mais elle, elle le regardait ; son visage était blême d’une rage difficilement contenue, les traits durcis par cette juste colère mêlée au chagrin que semblait lui avoir inspiré l’insolence de Lucy.

Jamais, durant toutes ces années d’humiliation et de vices Lucy ne s’était sentie si minable, misérable et honteuse. Elle savait à quel point il était aisé de toucher cet homme dans son hypersensibilité, et elle avait frappé en plein cœur, sciemment mesquine et crue face au pasteur dont elle connaissait la chasteté effarouchée. Tout cela était très laid, certes, mais ce n’était pas une méchanceté froide, gratuite ou calculée qui avait poussé Lucy. Elle n’avait réagi que sous la colère et la douleur, elle aussi peinée des mots de Jonathan, qu’il avait prononcé d’une voix basse et calme, presque avec douceur. Mais, là où il n’y avait eu que de la maladresse chez le Révérend, la fille de joie, sous l’impulsion de la fraîche blessure infligée, avait cherché à vexer et à choquer. Elle qui ne perdait que si rarement le contrôle de ses nerfs, déplorait surtout que ce soit Jonathan qui ait eu à les subir. Chaque seconde passée auprès de lui la déparait de sa superbe. Elle n’était plus désormais que l’ombre de cet automate insensible, sans aucune émotion, à mesure que la confiance entre eux deux s’accroissait. Elle ne savait plus rester impassible, froide et fière devant le seul homme qui lui eut jamais témoigné de la bonté et, à présent, elle avait mérité son courroux et était bien décidée à le subir, malgré un effroi grandissant et inconnu, celui d’être blessée en plein cœur, d’être abandonnée ou rejetée. Et cette peur devenait soudain bien plus grande que celle des insultes des clients dont elle se moquait ou des coups qui finissaient par s’effacer au bout de quelques jours. Ce qu’elle avait toujours redouté se déroulait, sous ses yeux, personnifié par ce grand et pasteur qui lui avait donné de son temps, ouvert sa cuisine et son lit. Lucy n’était plus indépendante désormais. La conscience de cette révélation la glaçait d’effroi, mais, courageusement, elle se décidait à la regarder en face ; elle ne s’en sortirait plus seule, affectivement du moins. La prostituée qui survivait à la rue depuis tant d’années, aguerrie à tous les maux, ne se sentait plus capable de revenir à une existence ou Jonathan ne serait plus là. Et c’était cette éventualité, inenvisageable, qui la faisait soudain trembler devant le pasteur, non la violence qu’il mettait dans ses gestes, car elle savait qu’il ne s’en prendrait pas à elle, et que, si c’était le cas, ce serait bien préférable à l’abandon dans lequel il pouvait la laisser.

C’est pourquoi, si elle eut un nouveau sursaut devant le large poing qui s’abattit sur la porte, ce fut plus de surprise que de peur qu’il n’en vienne aux mains. Lorsque la voix du pasteur se fit entendre, Lucy eut bien plus peur de ce qui allait suivre, et peut-être même aurait-elle préféré une gifle. Au moins, les coups étaient une douleur connue d’elle, tandis qu’elle ignorait ce qui l’attendait là. Debout, prête à subir bravement la sentence qu’elle méritait, elle écouta. Et Lucy avait eu raison d’être anxieuse ; elle eut très mal, bien plus que lors de son agression de tout à l’heure, d’un mal inconnu, un imbroglio indéfini de sentiments qui rendaient son cœur aussi lourd qu’une pierre, lui nouait l’estomac et semblait vouloir l’empêcher de respirer. C’était une forme de honte, mêlée du chagrin d’avoir déçu la seule personne dont l’avis importait pour elle. Le regret était sans doute l’émotion dominante du mal-être que lui infligeait les mots de Jonathan et cette appréhension vague, mais persistante, qu’il ne lui pardonnerait pas. La bonté du pasteur avait donc un but ; il croyait pouvoir aider Lucy à s’extirper du bourbier insalubre qu’était sa condition de prostituée, en lui donnant les bases primaires d’une culture qui lui permettrait d’accéder à des sphères, peut-être aussi pauvres, mais au moins honnêtes. Une fois encore, la fille de joie tombait des nues. Elle ne savait rien faire d’autre. En quoi savoir lire l’aiderait à trouver un emploi d’employée de maison, de bonne à tout faire ou même d’aide-cuisinière ? Si, dans la fraîcheur de ses seize ans, rien ne lui avait été proposé, elle doutait fort qu’on l’emploie maintenant, même sachant lire, avec une dizaine d’années de vide dans ses activités. Car il est clair que personne, pas même le plus humble et le plus pauvre des ouvriers, n’engagerait sous son toit une ancienne prostituée. Pour le restant de ses jours, Lucy serait une paria, une parvenue, et aucun maître de maison n’accepterait de déshonorer son épouse et ses filles en abritant son sous toit une engeance pareille, même repentie.

Jonathan était une exception, une âme naïve à la bonté d’enfant, et c’est pourquoi il n’avait sans doute pas songé à cela. Lucy se rendait bien compte, que, pour lui, ses questions étaient légitimes, parce qu’il pensait, sincèrement, que, si elle l’avait voulu, elle aurait pu faire autrement. Et cette sauvageonne qu’était la jeune femme n’avait pas eu la présence d’esprit de songer à tout cela avant de l’attaquer de front, lui qui ne lui aurait jamais fait du mal gratuitement ? N’avoir quasiment aucun lien social depuis des années n’excusait pas l’indélicatesse de Lucy envers celui qui s’était montré si bon avec elle. Il lui avait donné de la confiance, de la bonté, du temps, il la pensait différente. Jamais personne d’autre n’aurait ces égards pour la créature qu’elle était, et le seul remerciement qu’elle lui avait octroyé était de le blesser. La rue avait peut-être finalement achevé son œuvre et rendu Lucy laide au point de faire du mal à quelqu’un comme Jonathan. Se sentant petite, vile et méprisable, la fille de joie resta plantée stupidement, soufflée par le couperet des mots de Jonathan qui tombaient, durs dans sa colère et son indignation. Elle ne savait même pas quoi répondre, ne parvenait même pas à réfléchir convenablement. Elle aurait tant aimé effacer cette phrase idiote, se taire et revoir le sourire réconfortant que le pasteur bienveillant lui offrait. Mais l’heure n’était pas eux désirs idiots de refaire le passé. Lucy se devait de réparer les dégâts qu’elle avait causés, d’essayer au moins. Mais le pire n’était pas arrivé. Ce fut quand Jonathan enfouit son visage dans son bras, quand, dans un murmure brisé, il fit part de son indignation, quand la peine qu’elle lui avait infligé s’étala au grand jour enfin, ce fût à cet instant que Lucy eut le plus mal. Elle se serait maudite, elle se serait frappée devant le mal qu’elle avait causé. Etait-elle donc si mauvaise ? Si tel n’était pas le cas, il fallait le prouver et réagir vite.

Le pasteur l’avait contourné, allant s’asseoir à l’autre bout du lit, le plus loin d’elle que possible. Elle se tourna, et cet éloignement, ainsi que ce dos immense, ployé sous la peine dont elle était la coupable, acheva de lui briser le cœur. Ainsi, pour la deuxième fois en une seule soirée, ce qui n’était pas arrivé à Lucy depuis des années s’opéra. Elle baissa les armes. Se levant avec hâte, contournant le lit elle aussi, la prostituée s’agenouilla à même le plancher, à hauteur des jambes de ce grand homme recroquevillé par le chagrin qu’elle lui avait infligé, et saisit ses mains qu’il triturait l’une dans l’autre, dans un geste d’évidente nervosité. Elle resta ainsi, les mains crispées sur les siennes, posées sur les genoux recouverts de l’habit noir du sacerdoce, tandis qu’elle baissait la tête, l’enfouissant presque dans les jambes du Révérend, n’osant pas le regarder :

- Je…Je ne voulais pas…Mais…si tu savais !! J’ai cru que tu pensais que je le faisais exprès, mais si j’avais pu faire autrement, je te le jure, je l’aurais fait !! C’est juste que ça m’a fait tellement de peine que tu croies que…Je te suis si reconnaissante pour ta bonté, mais, soyons réaliste, tu es une exception !! Qui voudrait d’une ancienne prostituée chez soi ? Je ne pourrais jamais rien faire d’autre désormais…Tu sais je…Enfin…C’est stupide…Mais l’homme de tout à l’heure…J’ai dit non parce que…Des fois…Je pense à toi et…Oh…Je ne sais pas…Je me dit…Je me dit que tu ne trouverais ça vraiment pas bien alors…Je ne peux pas…Je n’arrive pas…Mais si je ne le fait pas, qu’est-ce que je vais devenir ? Oh, je te demande pardon, pardonnes moi je t’en prie !!

Jamais, même dans ses heures les plus sombres, Lucy n’avait été plus pitoyable. Brisée de fatigue, à genoux devant un homme dont elle implorait le pardon, des larmes plein les yeux et la gorge sèche, elle était pathétique de faiblesse et de renoncement à toute dignité. Même le tutoiement lui était venu naturellement, comme si elle abandonnait toutes les armes, avouant tout désormais par ce « Tu », qu’il occupait constamment ses pensées sans qu’elle sache pourquoi et, surtout, qu’il était la seule personne au monde à pouvoir lui faire autant de mal. Tâchant de dissimuler son visage pathétique dans les grandes jambes du Révérend, s’agrippant à ses larges mains, elle abandonnait à ses pieds, piteusement, en rachat pour l’insulte qu’elle lui avait faite, la seule chose qu’il lui restait, et qu’elle avait conservé comme une relique, se battant bec et ongles dans la fange des années durant pour la conserver intacte ; sa dignité.

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Jonathan R. A. Williams
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Je n'aime pas me décrire...mais on me dit quelqu'un de gentil, tolérant envers beaucoup de choses; et il est vrai que le Seigneur m'aide à voir le bien dans le cœur de tous. Cependant, cette même capacité me rends aux yeux des gens très fanatique et naïf. Je n'avais jamais vu les choses sous cette angle, mais il faut croire que les gens ne voient en moi qu'un pasteur de pacotille. S'il y a une facette de moi que j'apprécie particulièrement, c'est le fait que je sois quelqu'un de très romantique ! Même si tout le monde préfère dire que je suis quelqu'un de niais...mais ne croyez pas que je sois stupide, car il m'arrive d'être très fier et impulsif. Je ne suis pas très courageux, mais je ferai toujours de mon mieux pour protéger les gens que j'aime, comme mon petit frère. J'ai aussi une profonde attirance pour les rousses. On me surnomme Quasimodo à cause de mon apparence quelque peu trapu -et certes poilu bien que blond, par opposition à la magnificence de mon frère.
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MessageSujet: Re: Un ange foule les pavés de l'Enfer [Jonathan] Un ange foule les pavés de l'Enfer  [Jonathan] - Page 2 Icon_minitimeJeu 14 Fév - 1:17



Un ange foule les pavés de l’Enfer

« Printemps 1892 »

City of London

Le calme de la chambre était glaçant, anesthésiant. Un silence terrifiant s’imprégnant dans chaque souffle, dans la moindre ombre, dans la lumière vacillante d’une ampoule fatiguée. Le lit était confortable, il fallait bien cela. Les draps d’une blancheur de nacre vacillaient sous le poids de leurs deux corps pieusement éloigné. Jonathan se mordit les lèvres, perdu dans une douleur qu’il n’osait comprendre. Cette lame plantée dans son cœur, dans tout ce qu’il avait cru. Cette jeune prostituée deviendrait-elle sa plus grande défaite ? Il en avait guidé, des âmes, tout au long de sa longue carrière solitaire. Combien en avait-il sauvé : un certain nombre, dirait-il. Combien s’était noyé sur le chemin de la rédemption : il n’en avait aucune idée. Ceux qu’il n’était parvenu à raccrocher à son troupeau ne venaient pas lui tenir le compte de leurs péchés nouveaux. Le pasteur essayait d’aller de l’avant, ne pas se retourner sur ses échecs afin de mieux guider les plus méritants vers la lumière.

Si Lucy devait lui glissait entre les mains, sa figure sans âge se transformerait en fragments de verre cisaillant sa paume. Au creux de ce miroir brisé, Jonathan pouvait voir le naufrage de ses derniers espoirs. Il avait tant cru à son pardon. Jonathan y avait mit l’énergie rédemptrice de sa propre âme ; en la sauvant, peut-être s’était-il vu se sauver lui-même. Le bruit de la jeune femme se levant précipitamment lui fit courir un frisson dans l’échine. S’en irait-elle, s’échappant à la vérité mise en lumière pour mieux courir les obscurités franches de la ruelle ?

Pourtant, il fut bien obligé d’en croire la moindre parcelle de son corps quand Lucy s’agenouilla devant lui. Elle lui prit ses mains roides à force de nervosité. Leurs quatre paumes tremblaient à n’en plus pouvoir, frémissant du froid embaumant la pièce trop longtemps vide. Pourtant leurs corps brûlaient d’évidentes paroles singeant les bonnes manières ; fustigeant leurs organes vitaux comme une coulée de lave en fusion. Ils n’étaient que de piètres acteurs, se jouant de bonnes mœurs dans une scénette parfaitement ridicule. Elle baissa la tête sur ses genoux, il en rougit. Ce n’était pas du tout le moment. Ses paroles commencèrent à couler le long de ses jambes, des paroles pleines d’une cruelle sincérité qui achevèrent le solide pasteur. Celui-ci resta statique pendant quelques secondes. Ce fut comme un courant électrique qui parcourut ses pauvres membres ramassées sur lui-même. La renarde continuait d’être persuadée de la cruelle fatalité de son destin. Que le pasteur n’était qu’une exception emplie d’une bonté exceptionnelle car personne d’autre n’accepterait de porter une quelconque attention à une ancienne prostituée. Toute la détresse qu’elle mettait dans son message lui glaça les os. A tel point qu’il commençait à se demander si au final, il n’avait pas raison. Si lui-même, l’être se croyant pur par excellence, s’était obstiné à la voir se changer afin de lui plaire, alors il n’y avait aucune raison pour que les autres ne pensent la même chose. « Non, je ne prendrais pas cette femme à mon service, à moins qu’elle n’ait prouvé sa valeur comme honnête femme. » C’était alors le serpent qui se mordait la queue. Le cycle infernal de la pauvreté auquel personne ne faisait confiance. Jonathan se mordait à présent si fort les lèvres qu’une pointe de sang y parvint.

Lucy avait beau lui prêter tous les hommages possible à quelqu’un de sa pieuse stature, il voyait clair dans son propre mensonge. A trop vouloir faire la morale, il se rendait à présent compte qu’il était comme les autres. Jugeant piteusement la belle rousse pour ses pêchés, et non pour les lumières qui se cachaient dans son cœur blessé. La prostituée continua son discours embuée de larmes brûlantes : si elle avait refusé de coucher avec cet homme, causant la bataille qui s’en était suivie, c’était uniquement parce qu’elle pensait à lui. Qu’il n’aurait pas trouver cela bien. Le pasteur était la cause de son malheur ; si la femme-objet n’était plus capable de vendre son corps à cause de son cœur, c’était la fin de sa misérable vie. Jonathan l’avait acculé au pied du mur, imprégné ses pensées et s’était rendu indispensable à son être entier. Tout son insoupçonnable plan s’était déroulé sans le moindre accroc. Un plan machiavélique dont il n’avait soupçonné l’existence jusqu’à ce que le dénouement ne se soit offert à ses yeux. A cette seconde précise, le pasteur dominait l’âme et le corps de cette pauvre femme. Cette dernière n’avait eu que le malheur de le croiser au sortir de son église. S’imaginait-elle que déjà à cet instant, elle avait signé le pacte d’un terrible vœux ? Sa fierté de femme forte, foudroyant tout ceux qui avaient tenté de faire plier son esprit… détruite par la simple bonté d’un homme.

Elle s’écroulait à ses pieds, poupée de chiffon offerte à son ultime jugement. Jamais sensation de puissance n’avait autant fait de mal. Le pasteur sentit sa respiration s’accélérer, devenir de plus en plus lourde. Tout autant de sentiment contraire qui le prenait à la gorge sans qu’il puisse prononcer le moindre mot. Plus que jamais, il eu envie d’elle. Ce désir le faisait se sentir insupportablement sale. La voir défaire ses dernières armures mentales face à lui, lui supplier son pardon, jusqu’à voir plier son cou sur ses genoux. Ce moment où elle aurait eu le plus besoin d’une épaule conciliante et de toute cette fameuse bonté… Jonathan était incapable de le lui prodiguer. Peut-être que s’il avait ouvert son cœur plus tôt, rien de tout ceci ne se serait passé, mais le lien qu’ils partageaient aurait-il était aussi fort ? Le jeune homme avait eu tant peur de n’être attiré que par sa beauté, peut-être s’était-il volontairement retenu jusqu’à ce qu’elle lui ait montré tous les travers de sa personnalité ? Maintenant qu’il se trouvait devant sa bien-aimée défaite par la peine, son esprit passait en revu tous les instants qu’ils avaient passé ensemble et l’intégralité des émotions qu’il avait pu ressentir. Avait-il été véritablement conscient de s’être lentement insinué dans son esprit jusqu’à en avoir pris entièrement possession, jusqu’à la rendre dépendante de lui… Il aurait été mentir de dire qu’il n’aimait pas cela. La détresse de Lucy le rendait fou ; chaud de cendres longuement gardés en secret. Jonathan se détestait d’être aussi mauvais, de savourer le malheur d’autrui. Il ne valait pas mieux que quiconque, il avait échoué.

Récupérant une de ses mains, ses doigts coururent le long des cheveux défaits de la prostituée. Des reflets roux scintillèrent faiblement à la lumière ocre. Lentement, sa paume descendit jusqu’à son cou ; son pouce caressa sa joue. Ce contact lui redonna vie dans ses poumons. Le pasteur prit une profonde respiration et chercha à redresser le visage de Lucy. Inconsciemment, il lui souriait ; et dans l’océan lointain de son regard, tout l’amour et l’envie qu’il ressentait jaillissait d’encre :

- Je voudrais bien d’une ancienne … pr..prostituée chez moi.

Le mot avait eu du mal à sortir, mais la phrase était là. S’il suffisait que d’une personne pour briser l’inlassable cercle de la douleur, alors Jonathan se devait de l’être. Devenir un chevalier au cœur pur ou le pire des manipulateurs, tout ce qu’il voulait, c’était venir en aide à la femme qui occupait toutes ses pensées. Puis prenant sa deuxième main plus fermement dans la sienne, le pasteur l’aida à remonter sur le lit -à côté de lui, tout proche de lui. Qu’il avait été bête de penser qu’effectivement, n’importe qui pouvait laisser passer le fait qu’elle fut une ancienne créature de mépris – lui même n’avait su faire le pas, et n’était toujours pas sur de pouvoir le faire au cœur de sa foi. S’il n’était pas le premier à donner sa grâce, jamais Lucy ne pourrait faire son premier pas dans la lumière d’une nouvelle vie. Il le voyait bien à présent et se détestait d’avoir été ainsi un gamin capricieux. On ne choisissait pas sa vie ; il avait inconsciemment rejeté sur la prostituée la faute de son état, même s’il se donnait bonne conscience de par sa bonté.

- C’est à moi de vo… de te demander pardon. J’ai été aveugle… à tellement de choses. Je pense… s...souvent à toi aussi et j’ai… peur. Si peur de cette vie que tu mènes. J’y pense bien plus que tu ne l’imagines… et à chaque fois, j’ai l’impression de pouvoir en mourir. Je veux…

Le pasteur avala péniblement sa salive, ne sachant comment poursuivre cette phrase. Avait-il le droit de la poursuivre ? Je te veux pour moi. Des mots d’un égoïsme infini, qu’il pensait du plus profond de son corps. Se faisant, Jonathan essuya du revers de sa main les larmes sur le visage de la jeune femme. Il ramassa les quelques mèches de ses tempes, contemplant toujours sa figure d’un air solennellement admiratif. Son autre main faisait le tour de son dos, confortant sa prise sur sa taille. Il la tenait si fort contre lui, craignant qu’elle ne glisse comme un songe. Ne pouvait-il donc pas dire qu’il l’aimait ? L’ambiance devenait cruellement électrique, délogeant tous les sentiments les plus enfouis. Dans les méandres de ses obscurs pensées, Jonathan n’avait plus assez de mot pour décrire à quel point il la trouvait belle ; à quel point la sensation de son corps menue pressée contre lui le rendait tout simplement heureux. Si heureux qu’il se sentait pouvoir en pleurer. Brisant la montée des larmes qui lui venaient au bord des cils, ses iris passèrent de son regard à ses lèvres. Ce soir, il en avait besoin. Aussi, du haut de toute son inexpérience mais de sa soif indicible, il l’embrassa avec une délicatesse toute tendre. Ce n’était pas son premier baiser, ce n’était certainement pas le sien non plus. Cela dit, il s’agirait peut-être là de leur premier baiser amoureux – celui qui voulait vraiment dire quelque chose. Son cœur battait à s’en rompre les sangs. Il la serra très fort contre lui, caressant ses cheveux dont il savourait la texture entre ses doigts. Tout ceci était bien plus qu’il ne pouvait en supporter. Mais Jonathan ne pouvait la lâcher, faire face au reflet de ses sentiments dans le miroir de son regard.
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Un ange foule les pavés de l'Enfer [Jonathan]

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