Jolie petite histoire...
Fille unique d’un amiral de la Royal Navy, Hestia Saint-Clair passa ses plus jeunes années à voyager à travers l'Europe. Insatiable de connaissances, quelle ne fut pas sa déception d’apprendre que son paternel était envoyé dans cette étouffante Londres. L'esprit aussi large que l'horizon vers lequel ils naviguaient jusqu'alors, les projets d’aventure farfelus de la jeune fille furent avortés avant même leur organisation. Voilà qu’après treize ans de quasi-liberté, Hestia découvrait la violente réalité de se soumettre aux exigences d'une société dont elle ne connaît presque rien. Mais faisant fi de ses réticences, la jeune fille s'évertua à être irréprochable et à ne jamais se plaindre… Brave fille, pourrait-on dire. Sage et obéissante, comme il était évidemment attendu qu'elle soit.

Les saisons passèrent avec une lenteur dont elle s’était habituée. À l'âge convenu, la charmante enfant devenue femme épousa un oncle fortuné. Elle n’attendait rien d’autre de lui que le respect, et c’est ce qu’il lui donna sans hésitation. S’il s’agissait bien d’un mariage d’affaires, leurs années de vie commune avaient été appréciées et d'une tranquillité étonnante. Malgré leur différence d’âge de presque vingt ans, la jeune femme n’avait jamais eu à redire sur son mari, toujours très attentionné en public. D'ailleurs, cette inhabituelle entente en agaçait plus d'un. Pas un jour ne passait sans une critique voilée et acerbe. Mari et femme, même sans partager de réelle passion amoureuse, s’étaient mis d’accord de les ignorer avec superbe et désinvolture.

Jusqu'au jour où le destin frappa. Alors que Madame revenait d'un séjour chez une cousine éloignée, quelques jours d’absence à peine, un terrible événement eut lieu… En arrivant à leur demeure principale, elle s’attendait à tout. Sauf à être accueillie par un silence glaçant qui s’accordait avec cruauté aux visages blêmes des domestiques. Son cœur pleurait d’un douloureux pressentiment. À peine arrivée dans le hall d'entrée, une odeur de putréfaction lui retourna l’estomac. Elle monta les escaliers quatre à quatre, priant pour que tout cela ne soit qu’une vaste plaisanterie. Devant la chambre de sa fille, une silhouette recroquevillée attira son attention. Nicodème, son mari, se trouvait dans un état alarmant. Fiévreux, son regard ne reflétait plus qu’une immense souffrance.

Hestia n’arrivait plus à parler, les mots restaient coincés dans sa gorge. Poussée par un dernier élan de courage, elle ouvrit la porte, la main tremblante… Pauvre Helen. Elle était là, enfant d’une douceur incomparable et qui n’avait rien vu de la vie. Un sourire flottait encore sur ses lèvres roses. Elle était vêtue de sa robe préférée, ses boucles blondes retombant avec légèreté derrière elle. « Je l’emporterai avec moi, Mère, où que j’aille. » avait-elle dit, riant et tournoyant sous le soleil… Elle ne lui avait pas menti. Pendu, son corps diaphane, d'une beauté singulière et presque divine, s’élevait au-dessus du sol. Spectacle macabre d’une fleur qui s’était fanée. Son geste malheureux était resté sans une seule explication.

Après cette épreuve, Nicodème fut interné en asile. Découvrir sa fille sans vie avait eu raison de son bon sens, et le réconfort de son épouse resta malheureusement vain. Il n’était cependant resté guère longtemps entre les murs blancs de l’institution, car le pauvre homme avait préféré mettre fin à cet état second dans lequel il s’était perdu. Quant à Hestia, elle vécu une terrible année. Ne pouvant supporter les regards désolés de ses pairs, elle s’isola de tout. Comment pouvait-elle reprendre la gestion des affaires familiale, alors même qu’elle s’imaginait reproduire un geste malencontreux. Mais Nicodème avait été un mari plus que convenable et elle n’aurait pu assez le remercier pour sa tendresse, aussi conventionnelle soit-elle.

Au bord du gouffre, Hestia prit sur elle de s'effondrer davantage et s'acharna à sauver leur nom. Un moyen comme un autre de faire son deuil, n’est-ce pas ? Hestia aimait sa fille, elle l'aimerait toute sa vie – être mère avait été une source de souvenirs merveilleux qu’elle ne voulait oublier. Aujourd’hui, elle songeait pourtant que jamais plus elle ne supporterait ce regard d’adoration que les jeunes enfants ont pour leurs parents. Et d'une certaine manière, elle avait aussi aimé son mari. Pas d'un amour comme elle se l'imaginait dans sa jeunesse, mais elle avait apprécié sa compagnie. Il avait des défauts, elle en avait aussi. Rien qu’elle ne nierait, mais l’un comme l’autre ils n’avaient pas cherché la perfection.

Trois ans après le drame, la santé de la jeune femme est encore fragile, mais elle panse patiemment ses blessures. Le temps fait lentement son travail. Elle arrive de nouveau à respirer en la présence d’enfants et commence même à leur enseigner le piano. On lui demande d’ailleurs régulièrement de jouer à des réceptions mondaines. Parallèlement, elle se replonge dans ce qui a été son activité favorite : la peinture. Sa technique affûtée comme des crayons, vous la trouverez dessinant des scènes aux couleurs pastel et chatoyantes, comme pour combler le vide en elle. Quoiqu’on en dise, Hestia Saint-Clair n’est pas heureuse. Du moins, elle ne l’est plus. Pour autant, elle s’essaie à retrouver les petits plaisirs de la vie.

Dans la vraie vie, je suis...
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<t>Cate Blanchett</t> → <y>Hestia Saint-Clair</y>