15 Mai 1891

La pluie collait mes cheveux à mon visage, mon chapeau étant tombé plus tôt, mais je n’aurais su dire à quel moment. Mon regard fixait un point dans le vide alors que j’avais entouré ma taille de mes bras. Je tremblais de tout mon corps et sentait mon cœur au bord de mes lèvres, mais le choc ne me permettait pas de réaliser tout ce qu’il venait de se passer. Je réaliserais plus tard…

« Joséphine Morel. Je t’ai demandée il y a pas si longtemps d’être ma porte-parole, ma suppléante. »

Mon regard se déplaça légèrement vers celui de Loban. Ses lèvres bougeaient, mais mon cerveau n’arrivait pas à comprendre le sens des mots qui sortaient de sa bouche. Je compris néanmoins, au ton de sa voix, qu’il devait regretter la charmante proposition qu’il m’avait faite plus tôt. L’expression agressive qu’il afficha à son charmant visage par la suite me perça le cœur comme s’il venait d’y enfoncer son katana.

Loban tourna ensuite les yeux vers mon tuteur, à qui il s’adressa également. Il m’avait sauvée… Moi et bien d’autre, c’était bien vrai, mais sans lui, cette… cette créature… J’eus l’impression de perdre connaissance, car lorsque j’ouvris les yeux à nouveau, Devlin se trouvait maintenant devant moi : « Au moins, vous savez que je ne plaisante pas lorsque je vous demande de ne pas me suivre… Il va falloir que je mette en chasse. Mais cette fois-ci, ne me suivez pas… pour votre propre sécurité. En plus, vous avez besoin de repos. Je vous ramène à la maison: Effie et Conrad vous soigneront… Ils ont de l'expérience! »

Il m’adressa un sourire, mais une expression de douleur figea les traits de son visage. Aussitôt, je m’approchai de lui pour lui porter assistance; je n’avais pas eu le courage de me défendre moi-même et s’il souffrait maintenant, c’était en grande partie par ma faute (du moins, en étais-je convaincue). N’ayant aucune raison de rester sur le toit de la tour plus longtemps, j’aidai Devlin à descendre l’escalier. Je tenais son bras, mais j’avais l’impression d’en être accrochée plutôt que de réellement l’aider.

J’observai, en silence, le visage de mon tuteur alors qu’il allumait sa pipe et devinai que les choses seraient dorénavant bien différentes… J’avais hâte de retrouver la sécurité de la demeure de Devlin… Si sécurité celle-ci nous offrirait réellement dans l’avenir…

Tour de Londres, 1891.

Loban reprenait paisiblement son souffle, attendant patiemment que ceux qui lui étaient inconnus lui donnent leurs noms. Une seule fit sa rebelle et le Home Secretary nota bien son visage. Il comptait bien rendre la vie difficile à cette rebelle, comme il avait promis de le faire. Il regarda un peu l’assemblée misérable devant lui et constata qu’il y avait plus de blessés que prévu. Il fallait les conduire à l’hôpital. Mais après tout, ce n’était plus son problème. Peut-être le ferait-il pour Harry Downcry, qui ne parvenait même à tenir sur ses jambes. Il ferait venir une ambulance pour lui. Il nota donc les noms, certains lui disant vaguement quelque chose puis d’autres qui lui étaient parfaitement inconnus. Il ne ferait rien contre eux, n’ayant pas envie que l’affaire s’ébruite davantage. De plus, il ne voulait d’histoires avec Fergus en emprisonnant deux de ses membres, même si ceux-ci pouvaient facilement dire que le Home Secretary fricotait avec leur chef. Cependant, la réaction de la récalcitrante et de Fogg par rapport à Lydess en pleurs capta son regard. Surtout celle de l’homme à la carrure d’ours. Il la tenait proche de lui, comme si quelque chose de fort les relier. Cependant, il ignora parfaitement la remarque de Fogg à son égard, faisant néanmoins germer une idée désagréable sur la nature de sa relation avec Lydess.

Devlin entama à son tour un long monologue visant à l’atteindre, pensant que cela avait été une erreur de garder un vampire ici et tout un long discours s’ensuivit comme quoi il était chasseur. Grand bien lui fasse. Si cela pouvait le faire cesser de mettre son nez là où il n’avait pas y être. Même s’il venait de glisse qu’il aurait bien aimé étudier le vampire. Loban aussi à vrai dire. Et il aurait pu si leur petite bande n’était pas venue. Mais Devlin avait raison sur un point cependant : le vampire n’avait eu besoin de personne pour sortir de sa cage et faire son carnage. Ce qui signifiait presque que leur intervention, aussi périlleuse fut-elle, avait été nécessaire pour neutraliser la menace avant qu’elle ne fasse plus de dommages. Cependant, il n’avait pas eu suffisamment de temps pour en apprendre plus sur ces créatures que le jeune Loup ne pensait exister que dans des livres. Il n’y avait cependant plus grand-chose à faire. Il regarda simplement Devlin avec un sourire mauvais et insolent, bien que sa position hiérarchique lui permettait bien évidemment de faire ce qu’il voulait avec la vie du détective. Il n’avait jamais fait d’abus de pouvoir et l’idée le dégoûtait, mais dans un moment comme celui-ci, il devait avouer qu’il était plutôt tenter.

— Sachez, Mr. Stanton, que nous ignorions jusqu’à ce soir qu’il s’agisse d’un… d’un vampire. Grâce à vous tous, nous pouvons avoir une idée de ce qui nous et surtout vous menace à tous. C’est pourquoi je ferme les yeux ce soir et vous laisse partir. En faisant confiance à votre bonne foi pour ne pas apeurer toute la ville. Je n’ai pas honte d’affirmer que j’ignore encore tous des vampires et que cela remet en question pas mal de chose sur le folklore que nous connaissons. C’est pour cela que je vous somme de garder gentiment tout ce que vous avez vu pour vous. Je vous le répète une dernière fois. Vous êtes en possession de secrets confidentiels. Si vous les divulguez, je peux vous faire arrêter pour trahison.

Il releva le menton et se redressa, son visage étant devenu beaucoup plus calme depuis quelques minutes.

— Je vais faire venir une ambulance pour Mr. Downcry. Ceux qui veulent se faire soigner ont le droit d’y monter aussi. J’en informerai les gardes et les infirmiers.

Il se tourna vers celle qui n’avait pas dit son nom. La seule qui trouvait encore le moyen de faire sa maligne dans tout ce chaos alors que même Devlin Stanton n’avait pas trop fait le fanfaron.

— Quant à vous, Madame ou Miss, j’aurai votre nom. Quitte à vous rendre plus recherchée que Fergus Lynch ou Jack l’Eventreur. Dernière chance donc de me donner votre identité et de rentrer tranquillement chez vous ou votre portrait finira aux côtés des plus grands criminels de la ville. Navré mais je n’ai ni la patience ni la clémence pour des cas comme vous ce soir.

Il s’approcha de Lydess et lui fit un signe de tête pour lui dire de venir. Une fois que tout le fut parti, il prit avec précaution Harry dans ses bras qui n’était, fort heureusement, pas très épais et donc pas très lourd, pour le conduire au pied de la Tour et l’installer dans un fourgon.

15 Mai 1891

Lord Sawyer, qui avait suivi son maitre sur le toit de la tour, était néanmoins demeuré caché, tremblant de tout son corps, pendant le terrible affrontement qu’il y avait eu entre les aventuriers d’un soir et les créatures mortes-vivantes. De son côté, le jeune fossoyeur avait combattu les quelques êtres cauchemardesques qui avaient osé s’approcher de lui ou de Melanie. Il avait été chanceux; contrairement à bien des gens, il n’avait reçu aucune blessure et seuls ses cheveux plaqués contre son crâne par la pluie et ses habits froissés témoignaient de sa participation au combat.

Le Home Secretary, sans qui l’issue du combat aurait pu être bien différente, demanda à connaitre les noms des gens dont il ignorait toujours l’identité. Obéissants, les deux jeunes gens s’étaient approchés de lui et ce fut Melanie qui donna leurs noms. Dick eut un sourire; tout le monde à Londres le connaissant, sans le connaitre. Il était le fossoyeur, le gardien du cimetière, celui qui veille le repos des morts… Mais jamais on ne demandait son nom.

À la suite de la jeune veuve, Dick ajouta, après avoir plongé son regard dans celui de Loban : « Nous devrions vous remercier… (il tendit une main vers le Home Secretary)… Et si vous avez besoin d’aide pour vous débarrasser de tout ça… (Dick n’eut pas besoin de désigner les cadavres qui jonchaient le sol pour que l’on comprenne que c’était d’eux qu’ils parlaient)… j’ai l’habitude des cadavres… » . Le fossoyeur adressa un clin d’œil complice à Loban avant d’accompagner Melanie vers la sortie.

Avant de descendre, il tourna la tête dans toutes les directions à la recherche de son fidèle compagnon canin : « Lord Sawyer, nous rentrons! ». Aussitôt, la pauvre bête tremblante sortit enfin de sa cachette et suivit son maître et la jeune femme; tout était terminé… Mais l’était-ce réellement?

16 mai 1891.

Les coups de minuit retentirent dans la nuit londoniennne, le vent portant par bourrasques violentes les effluves sonores des carillons de Big Beng. La nuit est loin de s'être achevée, mais elle pourra à présent se terminer dans le réconfort. Le Loup a récupéré d'un œil sombre toutes vos informations, notant instantanément vos visages en plus des noms qui les composent. Vous serez désormais fiché dans le secret si vous en veniez à commettre une nouvelle exaction. De son épée, il vous guida jusqu'à la sortie de la Tour, celle-là même que vous aviez emprunter pour entrer. De cette fameuse porte de service, il fit lever la Garde sous les regards incompréhensifs.

Libre de partir vous étiez, libre malgré les dangers que vous avez pris, et même ceux que vous avez peut-être amené inconsciemment sur la Capitale. Car à présent, vous sentez au plus profond de votre âme que votre monde a changé. L'univers tel que vous le croyiez existant n'est plus, vous savez qu'il existe au delà de vos valeurs des idéaux plus sombres, plus violentes. Vous savez que le monde n'est pas qu'un jeu d'échec entre les gouvernements de pays humains, qu'il y a une nouvelle faction, une facette de votre quotidien que les rumeurs et les murmures transportent mais que personne jamais n'a imaginé possible, même dans les règles les plus fous.

Vous regagnez les réconforts douillets de vos lits dans la nuit moite, humide et trempée par la pluie qui essuiera le sang de la Tour de Londres. Ceux qui ont été blessé seront transporté à l’hôpital sans autre délai. Ne pensez pas une seule seconde que les frais de soins seront à la charge du gouvernement, car quoiqu'il se passe, vos blessures n'auront rien à voir avec ce bâtiment, vos paroles ne seront que foutaises. Peut-être trouverez-vous des âmes qui croiront à votre histoire mais mettez-vous à leurs places. Auriez-vous cru leurs yeux globuleux et leurs langues pendus, si l'on vous avouez que les légendes étaient vrais. Vos souvenirs sont irrémédiablement transformés et peut-être verrez-vous encore des ombres dans vos cauchemars.




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